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Victor Castellani revient pour une corona-chronique… l’avant-dernière !

Marseille confinement

Libertés !

Un long silence. Qui s’est imposé, à vous, à moi. À la fois rien et trop à dire. Ou pour être plus précis, ne plus trop savoir que dire, qu’écrire. Ajoutez-y un grain de paresse, des moments de faiblesse et parfois de tristesse, parfois le bât blesse.

Je vous ai quitté au printemps et vous retrouve à l’automne. Un été aux couleurs d’un retour à une normalité encore limitée et très encadrée. Joies éphémères du déconfinement, de repas en terrasse, au restaurant, d’un certain retour à la vie d’avant. Je n’en abuse ni ne m’en lasse. Avec Muriel je me suis même offert le Sépia. Dans le jardin Puget là où mon destin marseillais s’est fait. Envie de nous retrouver, de joies simples dont nous étions privés avant que Delta vienne y mettre son nez. Le Vieux port a repris vie mêlant passants, chalands, étudiants, sa faune et toutes sortes de gens. Dans mon cher Panier, j’entends à nouveau les touristes déambuler, les gens s’interpeller, rire et même danser. Des jeunes qui chantent, hurlent même leur besoin de fête, de soirées.

J’en ai largement profité. Mes amitiés se sont physiquement renouées, mes amours entravées par la distance, se sont enfin libérées. Dix jours d’entre Nantes, Pornichet et Strasbourg, dix jours de confidences, d’intelligences et d’évidences, dix jours où le cœur se joignait enfin au corps. Les baisers n’étaient plus volés, je me laissais câliner, emporter, dévorer.

Nous sommes allés voir les mer(e)s, celle qui vit au rythme des vagues, entre plages et rochers, celle dont on nous annonce l’inexorable montée, celle aussi qui m’a enfanté, tout heureuse de notre félicité. Évidence d’une relation dont je rêvais depuis si longtemps, de sentiments chaque jour plus forts, plus exigeants, d’un être qui à tout instant répond présent. Nous ne visons pas encore pour l’instant, quelques centaines de kilomètres nous séparent encore un certain temps. Mais nous nous sentons proches, notre communication tient parfois de la communion.

Cet été donc j’ai recommencé à bouger. D’abord en Arles et en Camargue. Avec Cécile, mon amie descendue de Paris. Marais salés, marais salants, chevaux, taureaux, et bien entendu, flamants. Entre deux arbrisseaux se tient un concert sublime, cris d’animaux et chants d’oiseaux, brises et clapotis des eaux. L’esprit parfois souffle entre les roseaux. Pour être honnête, il y eut aussi une autre musique, beaucoup moins romantique, celle qui fait bzzzzzzzz, celle des moustiques. Piquent & collect, c’est la joie du rustique ! Après un tour en Alsace se succédèrent Pornichet, Lodève et puis Guéret. J’ai vu une Creuse entrepreneuse, démerdeuse, ripailleuse, en un mot heureuse, quoique parfois brumeuse. Des forêts, du vert, des amis, des jeunes y font leur vie, professionnelle, sociale et souvent solidaire, dans ce que certains disent être un désert. C’est là-bas que j’ai saisi l’étendue et l’hétérogénéité de celles et ceux qui contre le vaccin, le pass, contre Macron surtout, se sont rebellés. Une soirée, une quinzaine de trentenaires et moi. Tous sont instruits et éduqués. Les uns sont dans le soin, d’autres dans le bricolage, l’agriculture (bio [] ou la culture. Nous ne sommes que trois à être vaccinés. Les autres font tout pour y échapper. Médecines naturelles, manque de recul, société policière, effets secondaires, sans oublier la haine de Jupiter, tout y passe. J’ai tenté d’argumenter, mais je suis en minorité. Il vaut mieux laisser le sujet de côté sinon je sens qu’on va sévèrement s’engueuler. On peut, comme moi, ne faire aucune confiance à ce gouvernement, mais savoir raison garder, cependant. À Marseille je les ai vus par milliers défiler aux cris de Liberté et j’ai été très peiné de voir certains de mes amis ainsi récupérés par une extrême droite qui se sent les ailes pousser.

Temps de grandes mutations et d’extrêmes polarisations où peine à se faire entendre la voix de la raison. Époque du parler cash, médias à la recherche du moindre clash, Zemmour qui crache et qui rabâche, foules qui de lui s’amourachent, il est à craindre que derrière tout ce brouhaha de grands dangers se cachent. La droite croit pouvoir le rattraper en récupérant certaines de ses idées, va même parfois se renier, n’est-ce pas Monsieur Barnier, quant à la gauche, socialiste, écolo, insoumise, dispersée, déboussolée, elle n’arrive pas à percer.

Afghanistan. Les Américains y étaient depuis 20 ans. En quelques jours tout a foutu le camp. L’armée, le président ont cédé la place aux talibans. Entre résister, se cacher ou émigrer, comment ne pas comprendre le dilemme de milliers de gens qui ont cru à la force et aux valeurs de l’Occident ? Russie et Chine en rient, évidemment. Nous sommes partis si lâchement. Mais pas question d’ouvrir nos portes à ces « hordes de migrants ». L’Europe sur ce point se rallie à Orban. Pour des murs, des barbelés coupants, nous ne sommes pas à court d’argent. La question de l’accueil est complexe évidemment. Nos sociétés sont en partie malades d’une mixité non digérée, d’un développement qui laisse tant de quartiers de cités de gens de côté. D’un islam qui n’a que faire de notre laïcité. De cette dernière qui en retour a multiplié les beaux discours sans percevoir ni répondre aux appels au secours.

Sylvie qui rit et Tapie le bandit

Insécurités matérielles, naturelles, culturelles, Marseille est malheureusement bien placée pour en parler. Pendant 50 ans, la ville a préféré ne pas voir, évité, contourné ce qui pouvait la plomber, l’empêcher d’avancer. Les pauvres du centre n’ont certes pas été expulsés. Autour on a construit, réhabilité, modernisé, mais sans jamais les intégrer. Avec le MUCEM, Euroméditerranée, des croisiéristes par milliers, la ville a joué les apparences et fait croire qu’elle avait changé. Il fallait attirer, et, sans vraiment le dire, remplacer. Mais au quotidien les difficultés se sont accumulées : écoles et transports scandaleusement négligés, habitat délabré, saleté, incivilités qui ne cessent d’augmenter, qui peinent à compenser son incroyable beauté, ses calanques, son port, sa gouaille, sa simplicité, sa luminosité. Aux dernières municipales, de ce chemin funeste la ville s’est écartée. Elle a choisi de faire confiance, malgré quelques soubresauts et des manœuvres qui auraient pu être évitées, à une nouvelle équipe, composite, rajeunie, féminisée. Qui a besoin de temps, de vision, mais aussi d’argent. Car non seulement la ville est sous-administrée, mais elle est très, trop lourdement endettée. Pour y remédier, un projet, Marseille en grand, l’enfant d’une alliance entre Payan et notre président. Les moyens sont très importants, mais ce qui compte vraiment c’est le chemin et le temps. Pourvu que municipalité et métropole, politiquement opposées et à couteaux tirés, trouvent des arrangements. Sinon ce serait désespérant. En attendant, la ville a rendu hommage à St Tapie. Oublié sa grosse part de bandit. Du Tapie dont beaucoup d’ouvriers « repris » ont gardé le souvenir du monstre qui licencie et puis s’enfuit. Alors que personnalités et supporters se retrouvaient à la Major, j’étais invité à une projection — prévue depuis longtemps — qui faisait parler les ouvrières de chez Wonder. Racontant leur mai 68, le patron, la chaîne, la CGT et puis Tapie. L’une d’elles racontait lui avoir cassé sur la tête un parapluie. Deux mondes dont l’un est semble-t-il déjà tombé dans l’oubli.

Ici, et pour finir de vous narrer mon été, le ciel est rarement gris. Et ce malgré quelques fortes intempéries qui témoignent d’une nature toujours en vie. Le climat n’est plus comme avant et connait de gros dérèglements. Cela ne fait sans doute que commencer. Dans leurs corps, les jeunes que mon asso fait discuter disent désormais les sentir, les éprouver. En attendant, je me suis baigné presque tout l’été, et ce jusqu’au week-end dernier. J’ai fréquenté Niolon, le Frioul, la Vieille Chapelle et très souvent les Catalans, j’ai bronzé, soigné un teint hâlé. Et même parfois maté, émoustillé, maillots échancrés, poitrines bombées et torses musclés. Heureusement qu’il y a des femmes voilées, des ados agités, des balles perdues pour empêcher la sève de déborder !

Cependant, l’été n’a pas toujours été léger. Cela fait un moment que je devrais vous parler de Sylvie. Elle et Dominique son mari m’avait en décembre 2015 et entre deux hospitalisations accueilli, hébergé, choyé. Sylvie avait, entre autres bontés, le don de m’apporter chaque matin un plateau petit-déjeuner qu’un cinq étoiles aurait pu envier. Pleine d’énergie, elle a connu ensuite une série d’ennuis, à commencer par son licenciement de l’Opéra de Paris. Les messages se sont ensuite espacés, je la croyais très occupée entre actions en faveur des prisonniers, un nouvel appartement à emménager, la musique, le piano qu’elle n’a jamais quittés. Je m’étais lourdement trompé. Un jour, Dominique m’écrit. Un mail avec pour seul objet Sylvie. Tout de suite j’ai eu peur, pensé au pire, cru qu’il y allait de sa vie. Elle n’en était pas là, mais devait désormais affronter une terrible maladie, qui vous dévore, vous envahit. Tardivement diagnostiquée, ce sont de lourds et longs traitements qui devaient très vite lui être prodigués. Depuis, elle a terriblement souffert, au point de vouloir tout arrêter, perdu sa belle et rousse chevelure, vomi, craché, douté de tout. Les Diafoirus 1, 2, 3, 4 comme se plaît à les appeler Dominique se sont succédé, parfois pour des propos sans pitié, sans vouloir, ni sans doute pouvoir, se prononcer. J’ai cru notre Sylvie menacée, emportée. Et puis, oracle du Diafoirus sérénissime, le traitement aurait finalement marché. Bien qu’il lui reste encore une opération puis un long marathon, notre amie peut respirer, espérer. À mon tour un jour de lui faire déguster un plantureux petit déjeuner !

Reprises et cour d’assises

Depuis peu j’ai repris le théâtre. Joie du jeu, des retrouvailles. Nous abandonnerons Edmond, laissé pour d’autres horizons. La pièce qui nous est suggérée sera un mélimélo de textes de musiques, d’images et de passages sur l’amitié. Pour tout vous avouer, ce sujet de prime abord ne m’a guère excité. Le thème est a priori bien éculé. Mais notre prof a ce génie de savoir d’un mot tout transformer, de monter sur l’amitié une pièce qui peut vous transporter. En juin 2022 si tout va bien, vous serez invités ! Entretemps, j’ai fréquenté quelques salles obscures, envie de rire et de me divertir. Suis tombé par hasard sur Smaïn, l’enfant de Constantine. Comme nous il a vieilli et s’est bien épaissi. Mais le jongleur de mots a toujours le sens des douces-amères réparties, des pitreries empreintes souvent de rêveries. Ça ne vaut certes pas la Criée, à laquelle je me suis réabonné, mais, pour une première de l’été, cela m’a contenté.

Le boulot a lui aussi repris. Enfin façon de parler. Car nous travaillons, mais rarement nous nous croisons. Le télétravail s’est installé. Et de revenir les agents ne veulent guère entendre parler. Avant la pandémie, ils étaient sur 220 à peine 15 concernés. Aujourd’hui ils sont 160 à y avoir adhéré et nous devrions approcher les 200 d’ici la fin d’année. Bureaux vides, couloirs déserts, drôles d’ambiance. Une ou deux fois par semaine, j’essaie pour ma part de faire acte de présence. Un document à imprimer, des collègues que j’apprécie et espère rencontrer. Comme il est confortable de ne plus avoir chaque jour à y aller. Nous avons eu pour la première fois depuis dix-huit mois un séminaire en présentiel. On aurait pu choisir un de ces lieux face à la mer, mais non, on nous a rassemblés dans l’anonymat d’un Novotel. Malgré ce lieu un peu formel, quel plaisir de découvrir des gens dont on connaît tout juste le nom, de leur mettre un visage, un corps, des sons. De les entendre s’exprimer sur les attentes et leurs difficultés. De comprendre aussi la grande fatigue surgie de ces restructurations à répétition, où les avis du terrain ne comptent pas, où le sens ne se comprend pas, mais où ce qui est sûr, c’est que l’on taille dans les personnels à tour de bras.

Ces dernières semaines ce n’est pourtant ni au boulot, ni à l’asso, ni à la plage que j’ai eu la tête. Progressivement l’actualité m’a impacté, les émotions sont remontées et avec elles ma fragilité. Était venu le temps du procès dont longtemps j’ai cru qu’il m’indifférait. Je ne voyais pas ce qu’il pourrait m’apporter, encore moins réparer. Pour moi, pour tous celles et ceux qui sont morts, ont souffert ou souffrent encore. Je ne voyais pas non plus ce qu’il allait pouvoir révéler ou en quoi je pourrais contribuer : j’avais déjà l’impression de savoir presque tout sur ce qui s’est passé, la préparation, l’exécution, en France, en Belgique, en Syrie et ailleurs. Me constituer partie civile ne me paraissait pas non plus évident. A quoi bon ?

Et puis j’ai changé d’avis. Surtout par solidarité avec toutes les personnes touchées, blessées, tuées. Ne pas être avec elles, détourner mes oreilles, mes yeux me semblait égoïste, limite odieux alors que j’étais moi aussi concerné. Nous ne nous connaissons pas pour la grande majorité, mais, pour autant, notre destin a depuis ce fameux 13 novembre quelque chose de commun, de lié. C’est donc à cause de cela et parce que nous ne sommes pas qu’une somme d’individus, parce que sans justice il n’y pas de société, parce que sans justice c’est uniquement la loi du plus fort, que je me suis décidé à y aller, à témoigner.

Aujourd’hui nous en resterons là. Et la prochaine fois sera la dernière fois. Il ne faut pas abuser du Corona, ni de vous qui avez patiemment suivi mes pas. Quelques notes de musique venues du Brésil, signées du grand Gilberto Gil. Cucurrucucu, Paloma.

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