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– article paru le 25 aout 2015 –

Comment construire une bonne représentation de la réalité de l’immigration dans un pays ? Que faut-il mesurer ? Avec quelles notions ? Dominique Anxo, économiste, professeur au Département d’Economie et Statistique de l’Université Linné à Växjö analysait en 2015 pour Metis la question en Suède. Dans cet article, il montre comment ce pays a une connaissance fine des mouvements de populations liés au travail ou, de plus en plus, à l’immigration politique et humanitaire. 

L’immigration a changé de nature

En 1940, la population de Suédois nés à l’étranger était juste de 1 % !

Durant la seconde guerre mondiale, cette proportion a rapidement augmenté pour atteindre 7 % en 1970 et 11 % à l’aube du 21° siècle. Selon les statistiques suédoises de 2015, environ 16,5 % de la population actuelle est d’origine étrangère (foreign born). La composition de cette population a considérablement changé depuis une cinquantaine d’années.

Jusqu’au milieu des années 1970, il s’agissait surtout d’une immigration en provenance des pays nordiques et européens. En 1970, 60 % des résidents en Suède nés à l’étranger venaient d’un autre pays nordique, en particulier de Finlande et plus de 90 % venaient d’Europe de l’Ouest, Italie, Grèce et Yougoslavie. Après la crise pétrolière, la politique d’immigration suédoise est devenue, comme dans les autres pays, beaucoup plus restrictive. À l’exception des travailleurs nordiques et de réfugiés d’Amérique latine et des pays d’Europe de l’Est, l’immigration de travail a marqué une pause. La proportion de réfugiés, politiques ou humanitaires, ainsi que de personnes venues dans le cadre du regroupement familial, a augmenté tandis que la part des travailleurs étrangers diminuait fortement. Depuis le début des années 1980, les immigrants viennent surtout du Moyen-Orient, d’Asie et du continent africain, puis dans les années 90, de l’ex-Yougoslavie. En 2014 : 15 % viennent des pays nordiques, 21 % du reste de l’Europe et 64 % de pays non européens. De plus, durant les vingt dernières années, on constate une plus grande hétérogénéité des immigrés en termes d’origine et le passage d’une immigration de travail à une immigration humanitaire et politique.

Depuis le milieu des années 70, la situation des immigrés sur le marché du travail s’est dramatiquement dégradée et les différences de revenus entre eux et les Suédois de naissance a beaucoup augmenté, à raison des problèmes d’emploi. Une grande partie des immigrés humanitaires et des réfugiés politiques des années 80 ne sont jamais entrés sur le marché du travail malgré des besoins de recrutement et un taux de chômage bas. Au début des années 90, avec la forte récession économique et une augmentation sans précédent du chômage, la situation des immigrés s’est détériorée, et plus encore avec l’arrivée de réfugiés fuyant les conflits du Moyen Orient. Selon Eckberg (Ekberg J., 2011. Will Future Immigration to Sweden Make it Easier to Finance the Welfare System? European Journal of Population), environ 100 000 réfugiés sont arrivés de l’ex Yougoslavie, principalement de Bosnie-Herzégovie.

Malgré une amélioration de la situation de l’emploi dans la seconde moitié des années 90, leur intégration sur le marché du travail est restée très faible jusqu’à la crise de 2008, surtout pour ceux venant de pays non européens. Bien que les taux d’emploi suédois soient parmi les plus élevés d’Europe, les nouveaux arrivants demeurent dans une situation très critique comparés à l’ensemble de la population. En 2014, le taux d’emploi des Suédois de naissance était de 83,4 % pour 66,7 % s’agissant des migrants (5,1 % de taux de chômage pour 15,5). Et bien que le sujet de l’emploi des migrants soit parmi les priorités gouvernementales, leur situation ne s’est pas améliorée durant ces 20 dernières années.

Comment les statistiques suédoises sur l’immigration sont-elles construites ?

La Suède n’a pas à proprement parler de « statistiques ethniques » mais utilise trois critères principaux pour identifier les immigrants : le pays de naissance, la nationalité et l’ascendance suédoise (background) c’est-à-dire le pays de naissance des deux parents :

– Le pays de naissance. On identifie alors les personnes nées en Suède et celles nées à l’étranger pour lesquelles on mentionne leur durée de séjour (plus ou moins de 5 ans). Pour les personnes nées en Suède, on distingue celles dont les deux parents sont nés à l’étranger (immigrants de 2° génération), ceux dont l’un des deux parents est né à l’étranger (également immigrants de 2° génération) et ceux dont les deux parents sont nés en Suède (natives).
– La nationalité. On distingue les étrangers nés à l’étranger ou en Suède des Suédois (qui peuvent être nés à l’étranger).
– Le « background » suédois. On distingue : 1) le background étranger qui caractérise les personnes nées à l’étranger ou en Suède de parents nés à l’étranger ; 2) le background suédois pour les personnes nées en Suède avec un ou deux parents nés en Suède.

Il est intéressant de comparer le nombre d’immigrants en se basant sur l’une ou l’autre des définitions. Comme indiqué précédemment, en 2014, la proportion de population née à l’étranger est de 16,5 %, soit 1,6 million de personnes. La même année, la part de la population née à l’étranger ou ayant un parent né à l’étranger est de 21,5 %, soit 2,05 millions de personnes.

À propos des ménages et des familles, les statistiques suédoises distinguent les familles avec un background étranger (tous les membres) et les familles avec un background suédois (dont un membre au moins a un background suédois). Elles donnent également des renseignements sur le genre, l’âge, les pays d’origine, le niveau d’éducation, la position sur le marché du travail, la profession, la durée de séjour en Suède, ainsi que les raisons de l’installation dans le pays.

Les statistiques suédoises fournissent aussi des informations sur les flux migratoires. Ces statistiques officielles sont basées sur le recensement de la population et incluent les « natives » que les migrants. En 2014, environ 120 000 personnes sont arrivées en Suède (50 000 femmes et 70 000 hommes). Cette même année, 51 000 personnes ont quitté la Suède. Le solde migratoire est donc de 69 000 ; il faut préciser que 1 % des « arrivants » sont des Suédois revenant de l’étranger. Parmi les immigrants de 2014, le groupe le plus important est celui des personnes venant de Syrie (26 000 alors qu’ils étaient 500 auparavant).

Par ailleurs, comme dans de nombreux pays, l’accès aux données individuelles est restrictif et fait l’objet d’un processus d’autorisation auprès des autorités. De plus, une Loi de 2004 sur l’éthique de la recherche oblige pour tout projet utilisant des données individuelles à soumettre une demande à un Comité d’Éthique qui évalue la qualité, la faisabilité et la validité éthique de la recherche proposée.

Quelles mesures de soutien pour l’emploi des immigrants ?

La sensibilisation des politiques quant à la marginalisation grandissante des populations immigrées, surtout récentes, a conduit les gouvernements successifs à prendre des mesures pour leur insertion dans l’emploi. Les mesures d’activation du marché du travail les concernant (profiling, accompagnement renforcé, formations à la langue suédoise, subventions à l’emploi ciblées) sont prometteuses et les quelques évaluations conduites montrent qu’elles ont un impact positif sur les immigrants en difficulté. À l’instar des politiques anti-discriminatoires, ces interventions ciblées vont donc dans la bonne direction. Néanmoins, il y a des raisons de penser que les disparités entre « natifs » et immigrants sur le marché du travail perdurent, nécessitant la poursuite de politiques ciblées pour ces populations.

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Dominique Anxo