Risques psychosociaux : donner de la marge aux salariés
publié le 2008-03-01
Entretien avec François Desriaux, président de l’Andeva, Association nationale de défense des victimes de l’amiante, rédacteur en chef de la revue Santé et travail
Vous êtes président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante qui existe depuis douze années, comment est née cette association ?
Le point de départ, c’est en 1985 avec la publication du livre « Les risques du travail, pour ne pas perdre sa vie à la gagner ». Le collectif d’auteurs, composé de médecins du travail, de chercheurs, de médecins inspecteurs, a continué de se réunir régulièrement afin de jouer un rôle d’alerte sur l’existences d’atteinte à la santé des travailleurs.. Sous l’impulsion des recherches du toxicologue Henri Pézerat, qui avait repéré le drame de l’amiante en milieu professionnel, nous avons créé l’Andeva. L’exposition professionnelle à ce cancérogène allait provoquer chaque année le décès de 3000 salariés, alors que les risques étaient connus de bien des personnes. L’Etat avait complètement abandonné ses prérogatives de prévention des risques à un comité entièrement contrôlé par les industriels. Ce comité a agi comme un lobby dont le seul but était d’éviter une interdiction de l’amiante. Il fallait absolument lever le voile sur ce drame qui risquait de demeurer invisible. Pour cela, il fallait engager des procédures judiciaires contre les industriels. Nous avons organisé une première conférence de presse en mai 1995. Mais l’attention est rapidement retombée jusqu’au jour où un responsable d’un établissement scolaire avait fait fermer la documentation qui contenait de l’amiante. Cet événement a marqué un tournant car, à partir de ce moment, l’opinion publique a pris conscience d’un risque qui ne concernait pas seulement les salariés. Malheureusement, je ne suis pas certain que nous puissions répéter cette vaste mobilisation sur d’autres problèmes affectant aujourd’hui les salariés.
La mobilisation d’un mouvement social est parvenue son objectif d’interdiction de l’amiante, elle a de nouveau été très active en 2006 dans l’affaire du porte avion Clémenceau, est-ce que cela traduit une défaillance des acteurs traditionnels ?
La question de l’amiante comme le scandale du sang contaminé ont révélé la même défaillance du système de santé publique. Le mélange des rôles des principaux acteurs a empêché de garantir les conditions de base d’une bonne politique de prévention. Au lieu de cela, les risques ont souvent été minimisés voire ocultés. Dans le cas de l’amiante, la position des organisations a été difficile du fait du chantage à l’emploi auquel elles ont été confrontées. Il leur fallait arbitrer entre un risque différé de cancer, la maladie se déclarant plusieurs années après l’exposition au cancérogène, et la menace de perdre tout de suite son emploi. Le rôle de la médecine du travail doit être également interrogé. Il a sans doute manqué un regard épidémiologique pour que la médecine du travail puisse agir efficacement. Mais il y a eu des cas où certains médecins avaient connaissance des risques et où ils n’ont pas rempli leur mission d’alerte. L’ancien médecin du travail de l’usine Férodo Valéo dans la Calvados a été mis en examen pour blessures et homicides involontaires et non assistance à personne en danger. Est-ce que nous avons tiré les leçons de l’amiante ? Il y a indéniablement eu une prise de conscience et des changements dans le système de prévention. La réglementation a été renforcée mais nous rencontrons toujours des difficultés pour la faire appliquer.
Quels sont les leviers permettant aujourd’hui d’améliorer les conditions de travail ?
Cela dépend des sujets. Ces leviers ne sont pas les mêmes lorsqu’il s’agit de substances cancérogènes et lorsqu’il s’agit de problématiques liées au travail et à son organisation. Dans le premier cas, l’application de la réglementation, l’aide à la substitution des produits dangereux et, le cas échéant, la sanction par le contrôle ou le recours à la justice, sont autant de moyens d’action. En revanche, lorsque l’on aborde les problèmes des troubles musculo-squelettiques (TMS), les risques psychosociaux, lorsque le travail remet en cause les valeurs morales des individus causant une souffrance éthique, la pensée de la prévention est plus complexe. Il est nécessaire de mettre le travail en débat. La question est de savoir comment redonner des marges de manoeuvre aux salariés. La grande difficulté, c’est qu’il y a dans les entreprises de moins en moins de gens pour porter ces questions. Il faut que le monde des associations et les organisations syndicales travaillent ensemble comme cela a déjà commencé avec l’amiante.
Propos recueillis par Frédéric Rey
Laisser un commentaire