7 minutes de lecture

La négociation d’entreprise déborde des frontières

publié le 2008-05-18

Entretien avec Elodie Béthoux, sociologue, maître de conférences à l’ENS de Cachan, membre du laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie (IDHE).

Quand la négociation transnationale d’entreprise a-t’elle commencé à se développer ?

elodie

Ce sujet apparaît dès les années 1960 : dans un contexte d’internationalisation des entreprises, la question de l’organisation d’une régulation à un niveau supranational est portée notamment par des acteurs nord américains à travers une importante littérature syndicale et académique qui s’intéresse aux conséquences de cette mondialisation sur les relations professionnelles. Les premières structures transnationales de représentation des salariés sous forme de comités mondiaux voient le jour dans les secteurs de l’automobile ou de la chimie. Dans les années 1980, les premières tentatives de négociation émergent dans l’espace européen chez BSN-Danone notamment, dont l’expérience pionnière mérite d’être rappelée. A partir de 1986, des rencontres européennes sont organisées entre l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, du tabac et des secteurs connexes (UITA) et la direction du groupe. Ces rencontres annuelles organisées au siège du BIT à Genève ont conduit à l’adoption en 1988 d’un premier avis qui recense quatre thèmes sur lesquels la direction de BSN et l’UITA produiront de nouveaux textes communs sur la promotion de l’information économique et sociale, l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, la formation qualifiante et le droit syndical au sein des entreprises du groupe. Parallèlement à ces premières expériences, la création des comités d’entreprise européens, surtout après la directive du 22 septembre 1994, contribuera au développement de la négociation transnationale dans la mesure où ces comités sont eux-mêmes mis en place au terme d’une négociation, menée à l’échelle européenne, entre la direction d’une entreprise multinationale et les représentants des salariés européens qui forment le « groupe spécial de négociation ».

Lorsqu’on parle aujourd’hui de négocation transnationale d’entreprise, on fait référence à des accords distincts qui sont généralement conclus soit à un niveau européen, soit à un niveau international, quelles sont les relations entre ces deux mouvements ?

Nous retrouvons en effet actuellement une négociation transnationale qui, dans certains cas, se limite au périmètre européen, et dans d’autres cas, a une portée mondiale à travers les accords cadres internationaux (ACI). Selon un recensement dressé par la DG Emploi et affaires sociales de la Commission européenne, il existe quelques 150 accords transnationaux, dont 60 accords cadres internationaux (la grande majorité de ces ACI sont conclus par des entreprises d’origine européenne), 80 accords européens et 10 accords mixtes. Outre la différence du champ couvert, les textes européens et textes mondiaux se distinguent aussi en partie par leur contenu. Les ACI traitent plutôt des droits sociaux fondamentaux et des droits syndicaux en référence aux principes définis par l’OIT. Les textes européens portent davantage sur des thèmes répondant aux préoccupations européennes : l’établissement du dialogue social, l’égalité des chances, la santé et la sécurité, la formation, la gestion des compétences ou les restructurations.

Quel rôle joue le comité d’entreprise européen ?

L’implication des CEE prend plusieurs formes selon d’une part, que cette instance intervient aux côtés des fédérations syndicales européennes, internationales et/ou nationales ou intervient parfois seule, et selon, d’autre part, que l’instance européenne est signataire ou non du texte adopté. Ce rôle joué par le comité d’entreprise a suscité de nombreux débats notamment avec les fédérations syndicales internationales ou européennes qui s’interrogent non seulement sur la capacité mais surtout sur la légimité de cette instance d’information et de consultation à endosser une fonction de négociation. Si la controverse a été à un moment très intense, il semble qu’elle l’est un peu moins aujourd’hui. La question qui prime actuellement étant surtout de donner plus de poids à la négociation transnationale. On peut parler aujourd’hui d’une sorte de « division du travail » entre les acteurs de ce mouvement qui poursuivent des objectifs différents selon le niveau d’intervention. A côté du développement des ACI, les fédérations syndicales internationales ont toujours comme objectif premier la syndicalisation – dans les pays où celle-ci est moins présente – la négociation européenne vise davantage une consolidation des droits sur ses thèmes de prédilection.

La Commission européenne a proposé en 2005 la définition d’un cadre pour la négociation transnationale, à quoi cela servirait-il ?

La Commission a fait cette proposition, prenant acte du développement important de ces pratiques qui restent cependant très différentes les unes des autres. Il s’agit pour elle de formaliser les démarches existantes et de leur donner plus de lisibilité et de se doter d’un cadre plus contraignant, notamment avec des dipositifs de suivi et de mise en oeuvre des mesures. Suite à cette proposition d’un cadre optionnel, un rapport émanant d’un groupe d’experts européens a avancé des recommandations dans l’idée qu’une directive européenne pourrait préciser un certain nombre de points : les conditions précises dans lesquelles une négociation transnationale pourrait être engagée, la mise en place d’un groupe commun de négociation sectoriel ou d’entreprise, la nécessité de parvenir à des accords écrits et enregistrés par la Commission, les procédures de mise en oeuvre de l’accord et la mise en place d’un système bipartite de contrôle de l’application de l’accord. Mais sur la définition d’un tel cadre, nous retrouvons une opposition entre BusinessEurope, hostile au principe d’un encadrement préfèrant s’en remettre à un engagement sur une base individuelle des entreprises et non collective, et la Confédération européenne des syndicats qui souhaite que cette négociation transnationale se développe dans un cadre européen. La Commission devrait publier en juin une communication sur cette question en mettant l’accent sur l’intérêt, pour l’heure, d’une évaluation fine de ces démarches de négociation, qu’elle a commencé à recenser, plus que sur la nécessité de se doter dans l’immédiat d’un cadre européen.

Propos recueillis par Frédéric Rey

Print Friendly, PDF & Email
+ posts