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Le dialogue social territorial se développe

publié le 2008-05-18

Entretien avec Annette Jobert, directrice de recherche au CNRS et membre de l’IDHE (Institutions et dynamiques historiques de l’économie).

jobert

Vous avez analysé les dynamiques de régulation territoriale en France, Italie et Allemagne, de quoi s’agit-il ?

Depuis environ quinze ans, nous observons en parallèle aux schémas classiques de la négociation collective ou de la concertation tripartite une diversification des espaces de négociation collective. Le territoire devient un espace pertinent de régulation économique et sociale sous l’influence de plusieurs facteurs. Tout d’abord le mouvement de décentralisation des Etats s’approfondit et touche désormais de nombreux domaines tels que l’éducation et la formation professionnelle, l’insertion des jeunes, les transports publics, le développement économique local, les questions d’innovation, la régulation des temps sociaux, l’accès aux services publics, etc. Le deuxième facteur est lié aux transformations de l’action publique qui vont dans le sens d’une participation accrue d’acteurs publics et privés dans les processus de délibération et la mise en œuvre des décisions.

Le territoire apparaît dès lors comme un espace particulièrement adapté à la réalisation de ces synergies et à la mobilisation de ressources diverses. C’est pour cette raison que les institutions européennes promeuvent le partenariat local qu’elles considèrent comme un instrument essentiel de la stratégie européenne pour l’emploi. Se conjugue à cela l’aspiration des citoyens à une plus grande démocratie locale, à l’établissement de liens de proximité fonctionnant comme des contrepoids à la mondialisation de l’économie. Dernière série de facteurs : les changements dans l’organisation productive et notamment le développement de la sous-traitance et des entreprises en réseaux, qui remodèlent les frontières de l’entreprise et favorisent les relations transversales entre les entreprises situées sur un même territoire et entre entreprises et acteurs locaux. Les processus de restructuration qui sont devenus des phénomènes permanents soulignent également l’ancrage territorial des entreprises, l’importance des marchés du travail locaux, la nécessité d’organiser une concertation territoriale aussi bien pour reclasser les personnels licenciés que pour engager des actions de réindustrialisation.

Quels sont les objets de ce dialogue social ?

Ce dialogue territorial se caractérise par une grande variété de sujets dont certains échappent parfois totalement à la négociation classique de branche ou d’entreprise. En Italie, par exemple, la sortie du travail au noir est un thème abordé par les pactes territoriaux qui s’intéressent aussi à des thèmes « marginaux » comme la réinsertion professionnelle des prostituées ou des prisonniers. En Allemagne, dans la région du sud-est de la Basse Saxe, les acteurs (municipalités, syndicats de salariés et d’employeurs, comités d’entreprise, université technique etc.) se sont concertés pour faire face à la diminution de l’emploi dans le secteur de l’automobile, en prenant une série d’initiatives pour diversifier les activités et susciter des processus d’innovation. Dans certains cas, ce dialogue social se situe dans une logique d’extension de droits existants.

En France par exemple, dans le département du Tarn, ce dialogue a ainsi permis de faire bénéficier les artisans d’avantages généralement réservés aux salariés des grandes entreprises. Dans d’autres cas, il a pour objectif de faire mieux connaître des droits existants, de pousser les acteurs locaux à se les approprier et à veiller « collectivement » à leur bonne application. Dans les Pyrennées-Atlantiques, les organisations professionnelles de l’hôtellerie-restauration, les organisations syndicales et la Direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle ont élaboré une brochure sur les droits des travailleurs saisonniers à destination des professionnels et des saisonniers. Dans un site touristique de la côte méditerranéenne, cette concertation a abouti à la création d’une maison des saisonniers. Les offices d’HLM, les structures syndicales territoriales, la municipalité se sont retrouvés pour réfléchir en commun à la question cruciale du logement de ces salariés. Voilà typiquement un problème qui ni la négociation de branche, ni la négociation d’entreprise ne peuvent régler. Ces multiples expériences se concrétisent dans des accords de programmation, des projets, des chartes, des engagements réciproques. Et parce que, souvent, le dialogue social territorial ne débouchent pas sur des règles formelles et contraignantes, on évoque à leur sujet la notion de « soft law ».

Quels sont les apports de ces expériences ?

Il faut souligner l’importance de la dimension cognitive de ces expériences de dialogue social territorial. L’établissement de diagnostics communs établis par des acteurs nombreux et d’origine diverse, la recherche de solutions communes et leur mise en œuvre sont autant d’éléments favorisant un apprentissage collectif en rupture avec les schémas de la négociation classique. Ce dialogue territorial est en particulier une source de relégitimation des organisations syndicales au regard des autres acteurs et aussi des salariés car il manifeste leur intérêt pour d’autres thématiques que celles relevant du contrat de travail et des conditions de travail des salariés. Mais il remet aussi en cause le modèle traditionnel de représentation des syndicats qui correspond au modèle vertical de la négociation collective incluant les branches et les entreprises. E

n Allemagne, par exemple, le DGB, principale confédération syndicale, a bien des structures régionales mais pas véritablement de stratégie régionale même si les conventions collectives sont conclues dans un cadre régional. Dans tous les pays, l’un des obstacles majeurs à un engagement plus fort des syndicats vient de la faiblesse des structures locales interprofessionnelles des organisations syndicales et de leur moindre légitimité par rapport aux structures professionnelles. Les organisations patronales rencontrent ce même type de difficultés. Ce qui explique que souvent, ce dialogue local reste davantage porté par des individus que par des structures.

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