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Ruptures conventionnelles : enfin la paix sociale ?

publié le 2009-01-22

 

Entretien avec Sylvain Niel, avocat en Droit social d’entreprise au cabinet Fidal

Rupture conventionnelle

Quel bilan tirez vous de l’introduction de la rupture conventionnelle comme nouveau mode de rupture du contrat de travail ? La simplicité promise est-elle au rendez-vous ?

Ce n’est pas tant la simplicité qui était recherchée, mais l’existence d’un mode de séparation consensuel au sein de l’entreprise. Nous réclamions à corps et à cris depuis des années cette avancée. Mais les pouvoirs publics redoutaient qu’elle ne représente une source de dépenses supplémentaires pour l’Unedic. Et nous rétorquait aussi qu’en théorie, rien n’empêchait une entreprise de procéder à une rupture conventionnelle avec son collaborateur,

Sauf que le handicap majeur d’une telle démarche c’était à l’époque l’absence de prise en charge au niveau de l’assurance-chômage, puisque seules les personnes licenciées ou ayant quitté volontairement l’entreprise dans le cadre d’un plan social (PSE) pouvaient toucher le chômage.

Les partenaires sociaux ont entendu ce besoin et l’ont, à mon sens, entièrement satisfait : ils ont mis en place un outil qui correspond au besoin que les entreprises avaient de pacifier la  séparation.

En quoi la rupture conventionnelle est-elle un instrument de « pacification » selon vos termes des relations salarié-employeur ?

Jusqu’ici le code du travail ne prévoyait que des modes de séparation brutaux, soit à l’initiative de l’entreprise, pour faute ou dans le cadre d’un licenciement économique, soit à l’initiative du salarié, qui présentait alors sa démission sans toujours respecter les préavis.

Désormais, il n’est plus nécessaire de s’envoyer la vaisselle à la figure pour pouvoir quitter l’entreprise ou négocier le départ du collaborateur. On ne mettra plus la pression sur les personnes pour justifier une faute ou une cause réelle de licenciement. Jusqu’à la loi du 25 juin, il n’existait rien dans la jurisprudence entre le licenciement ou la démission. Procéder à l’un ou à l’autre avait nécessairement pour conséquence de rendre épouvantables les relations professionnelles et de dégrader le climat social. Avec la rupture conventionnelle, nul besoin de formuler des griefs, la négociation se joue en deux ou trois entretiens.

Quelles sont les difficultés rencontrées dans la mise en place de cet outil ?

J’en compte deux. D’abord l’articulation de la rupture conventionnelle avec un plan de compression des effectifs. Pourquoi ? Parce que la loi du 25 juin 2008 exclut expressément la rupture conventionnelle comme mode opératoire d’un licenciement économique. C’est là la plus grande difficulté, car nul ne pouvait imaginer une telle récession dans certains secteurs d’activité, et aujourd’hui avec des entreprises qui n’ont plus les moyens de se payer des plans sociaux de qualité, la tendance est forte de négocier des départs individuellement au moyen de ce nouveau mode de rupture conventionnelle. C’est une fraude à la loi, dont les entreprises ne sont pas toujours conscientes. Certains de mes clients ont été contactés par l’inspection du travail une fois arrivés au seuil fatidique de dix ruptures conventionnelles et alors que ces ruptures avaient été homologuées par la Direction départementale du Travail : l’administration les a alors sommés de s’expliquer sur leur bien-fondé et de donner la preuve que les salariés avaient été remplacés. Donc il existe un risque réel de détournement de ce mode de rupture.

Autre difficulté il existe une incohérence entre la loi et l’accord national interprofessionnel concernant les indemnités.  La première prévoit que les indemnités sont celles prévues par la loi ou par la convention collective, tandis que l’Accord national interprofessionnel, étendu en juillet 2008 dispose qu’elles ne peuvent être inférieures à l’indemnité de licenciement. Selon moi, l’ANI n’a pas à s’appliquer si ses dispositions sont contraires à la loi.

Est-ce une procédure beaucoup utilisée ? Xavier Bertrand a annoncé dans son bilan 20 000 ruptures conventionnelles depuis la promulgation de la loi. Existe-t-il encore beaucoup de réticences ?

Les entreprises en ont de moins en moins de réticence, car elles voient bien les avantages que représente la rupture conventionnelle par rapport au départ négocié, qui suppose de convenir avec le salarié d’un motif de licenciement, de transiger sur une somme qui s’ajoutait à l’indemnité conventionnelle de licenciement et le paiement du préavis. Le départ négocié – toujours fustigé par la Cour de cassation – a un coût financier bien plus élevé que la rupture conventionnelle, qui n’impose pas de préavis et ne prévoit que l’indemnité légale de licenciement, bien souvent inférieure à l’indemnité conventionnelle.

De plus, la négociation supposait parfois de mettre sous pression les salariés pour arriver à la négociation, en leur signifiant un mécontentement vis à vis de leur travail, voire des blâmes écrits. La rupture conventionnelle n’exige pas que soient formulés des griefs.

Pourtant, les DRH redoutaient que la rupture conventionnelle n’ouvre la boîte de Pandore. Pourquoi ?

Un tiers des ruptures conventionnelles sont à la demande des salariés. Les DRH ont eu peur que la démission disparaisse et que les personnes exigent pour quitter l’entreprise le bénéfice d’une rupture conventionnelle, celle-ci étant indemnisée contrairement à la démission.

On se rend compte avec l’expérience qu’il vaut mieux intégrer la rupture conventionnelle dans les pratiques de l’entreprise et non pas la rejeter. J’ai ainsi l’exemple d’un groupe où un cadre avait négocié une rupture conventionnelle avec l’un de ses salariés avant que le DRH n’exerce son droit de rétractation.

La crainte de contentieux est-elle encore réelle ?

Cette crainte s’explique d’abord par des facteurs d’ordre psychologique, les DRH ne sont pas très sûrs de l’outil, ils préfèrent négocier, transiger. Ils ont aussi peur des conséquences juridiques, ce qui est un tort. La rupture conventionnelle ne peut être contestée qu’au titre du vice du consentement : le salarié doit renverser la charge de la preuve, au terme des 34 jours que représente au total à la fois l’homologation puis le droit de rétractation, et prouver que le consentement a été obtenu par la violence, qu’il y a eu erreur ou dol – il pensait signer une promotion – pour que la rupture conventionnelle soit annulée par le juge.

La plupart des contentieux ont lieu autour du licenciement, parce que le licenciement est par nature un acte violent et qui fait que, psychologiquement, les gens ont envie de se défendre contre les accusations qui ont justifié leur départ.

En revanche c’est vrai que contrairement au départ négocié où la transaction interdit en principe toute action judiciaire puisqu’elle est censée avoir purger tous les contentieux existants, la rupture conventionnelle n’interdit pas au salarié d’attaquer ensuite pour non paiement d’heures supplémentaires ou pour discrimination par exemple.

En Europe, la rupture conventionnelle est monnaie courante. Pourquoi la France ne l’a-t-elle adoptée qu’en 2008 ?

Notre code du travail est le plus ancien et beaucoup de ses principes ne sont même plus adaptés au droit communautaire. Reconnaître la rupture conventionnelle, c’est le minimum que l’on puisse attendre d’un code du XXIe siècle.

REPERES

Qu’est ce que la rupture conventionnelle ?

Créée par les partenaires sociaux français signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur le marché du travail, repris par la loi du 25 juin 2008, la rupture conventionnelle est un accord amiable, distinct du licenciement et de la démission, et ne peut pas être imposé par l’une ou l’autre des parties. Elle ne peut être utilisée dans le cadre des plans sociaux et plans de sauvegarde de l’emploi.

Un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) peut dorénavant être rompu d’un commun accord entre l’employeur et le salarié, y compris pour un représentant du personnel ou un délégué syndical. L’employeur et le salarié peuvent convenir des conditions de la rupture du contrat de travail, qui donne lieu à la signature d’une convention. Celle-ci doit mentionner le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle, qui ne peut être inférieur à celui de l’indemnité légale de licenciement. Ces deux indemnités doivent être supérieures à 1/5e de mois de salaire par année d’ancienneté, montant auquel s’ajoutent 2/15e de mois par année après 10 ans d’ancienneté.

Cette indemnité bénéficie des mêmes exonérations fiscales et sociales que l’indemnité de licenciement, sauf si le salarié est en droit de bénéficier d’une pension de retraite d’un régime légalement obligatoire. La convention fixe également la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation. À compter de la date de la signature de la convention, chacune des parties dispose d’un délai de 15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation.

À l’issue de ce délai, une demande d’homologation doit être adressée au directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP), ou à l’inspecteur du travail pour les salariés protégés. Le DDTEFP dispose de 15 jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s’assurer du respect des conditions et de la liberté de consentement des parties. À défaut de notification dans ce délai, l’homologation est acquise. La validité de la convention est subordonnée à son homologation.

Un recours juridictionnel reste possible jusqu’à 12 mois après la date d’homologation de la convention. Au-delà, le recours est irrecevable.

En savoir plus ?

La rupture conventionnelle du contrat de travail à durée indéterminée

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