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Depuis 1990, l’industrie slovène a abîmé 20 000 personnes, leur maladie n’a jamais été prise en compte et ils n’ont jamais touché de compensation. En Slovénie, la reconnaissance des maladies professionnelles dépend du bon vouloir des employeurs, sauf pour l’amiante. La lutte de Metoda Dodič-Fikfak continue.

Amiante

Metoda Dodič-Fikfak est la figure de proue du mouvement pour la reconnaissance des maladies professionnelles en Slovénie. Titulaire d’un doctorat en épidémiologie de l’université du Massachusetts, sur l’exposition à l’amiante (1998), elle prend la direction de l’institut de médecine du travail de Ljubljana en 2001 (Klinicni institut za medicino dela, prometa in sporta, KIMDPS). Cet institut a contribué de manière décisive à la prise en charge les victimes de l’amiante en Slovénie.  

 

Vous avez été à la fois récompensée et attaquée pour vos prises de positions en Slovénie. Quelles sont les défaillances du système dans la prise en charge des maladies professionnelles ? Comment expliquez-vous le succès de votre institut dans le cas de l’amiante ?

Notre institut s’est distingué sur le projet très particulier de l’amiante. En général nous collaborons toujours étroitement avec les ministères de la santé et du travail, sans en dépendre financièrement, car nos activités de recherche sont entièrement financées par la caisse d’assurance nationale. Nous leur faisons part de nos résultats ou de nos conclusions. Mais notre avis pèse encore trop peu dans les décisions, qui dépendent de la donne politique et surtout de la personnalités des ministres en place.

 

En 1996, le ministère de la santé a lancé une grande enquête sur l’amiante. Je rédigeais alors ma thèse et j’ai donc rapidement rejoint le groupe de travail. La Slovénie a interdit l’amiante très tardivement, en 1996 seulement. Cette décision a fait l’unanimité auprès des professionnels après de nombreux décès. L’Institut a d’une part collaboré à la rédaction du projet de loi avec les parlementaires, d’autre part mené un projet de prospective nationale sur l’amiante, afin de tirer un bilan de l’utilisation de l’amiante entre 1946 et 1996 en Slovénie. Il s’agissait de définir de manière transversale l’ampleur des importations, de l’utilisation résiduelle, la permanence de ce produit et surtout son impact sur la santé. C’était une première historique.

 

Que s’est -il passé ensuite ? Comment les personnes exposées ont-elles été prises en charge ?

J’ai été fréquemment citées comme expert pour témoigner lors de l’attribution des compensations. Depuis 1998, nous avons reconnu 2000 cas de maladies dues à l’exposition à l’amiante (sur plus de 2 millions d’habitants). C’est la plus grande réussite de mon institut. Les personnes touchées ont été entièrement indemnisées, dans le cas d’un cancer du poumon, même si elles fumaient. Car la conjonction des deux facteurs : tabagisme et amiante est mortelle. Ce n’est pas une reconnaissance aisée dans les autres pays européens. La recherche continue à présent pour déterminer si la génétique influe sur la contraction de maladie. Nous travaillons avec l’institut de cancérologie dans l’observation des tumeurs. Nous tentons d’identifier les premiers signes de ces maladies pour développer des thérapies efficaces.

 

Mais c’est la seule maladie professionnelle qui soit vraiment reconnue en Slovénie. La reconnaissance des autres dépend du bon vouloir de l’employeur.

 

Pourquoi ? La reconnaissance des maladies professionnelles fait pourtant partie des exigences européennes ?

C’est justement le problème majeur en Slovénie. Personnellement c’est mon plus grand échec professionnel. Il remonte à 1999. J’étais alors très impliquée dans la refonte du système de santé slovène imposé par l’Europe, prélude à l’intégration en 2001. Comme notre législation devait s’accorder aux principes européens, nous nous sommes contentés de traduire la majeure partie de la législation communautaire en slovène. Quelle erreur ! Personne n’a réalisé que nous adoptions la pire des clauses concernant les maladies professionnelles.

 

La loi détaille quelles sont les maladies professionnelles et les risques liés à certaines expositions. Mais le processus de reconnaissance de la maladie professionnelle est aberrant. Lorsq’un employé suppose qu’il est atteint d’une maladie professionnelle, il s’adresse d’abord à son employeur, et consulte le médecin de l’entreprise. Ce médecin est souvent partagé entre la pression de l’employeur et son éthique lors du diagnostic. Si le salarié prend l’initiative de consulter un médecin indépendant dans un centre de Santé, l’employeur peut pointer l’irrégularité de la procédure. C’est très grave. Et l’employé n’a aucun recours. Sa seule solution est de saisir la commisssion d’invalidité. Mais elle intervient seulement quand la maladie n’est plus bénigne.

 

La commission dénombre seulement 27 nouveaux cas par an en moyenne, alors que notre institut les évalue à peu près entre 500 et 800. Depuis 1990, l’industrie slovène a abîmé 20 000 personnes, leur maladie n’a jamais été prise en compte et ils n’ont jamais touché de compensation.

 

Vous avez vous-même fait les frais de l’agressivité d’un entrepreneur…

Je devais conseiller une collègue qui traitait le cas d’une personne travaillant avec des produits chimiques et devenue asthmatique. Son employeur refusait toute responsabilité et menaçait de le licencier. J’explique à ma collègue qu’elle ne peut accepter ce chantage, qu’elle ne peut permettre à l’employé de retourner à son poste de travail. L’employeur rompt son contrat avec elle, et sachant que j’avais pris parti, m’assigne en justice. Le premier jugement m’a condamnée, la cour de cassation a finalement annulé cette décision.

 

La situation est donc troublante. Depuis l’adoption des recommandations européennes, nous ne sommes plus en mesure de reconnaître les maladies professionnelles, car nous nous sommes fourvoyés dans la transposition des recommandations.

 

Pourtant la solution serait simple. Nous tentons de convaincre le ministère de la santé de modifier la clause. D’ailleurs je passe l’essentiel de mon temps avec les syndicats d’employés pour les sensibiliser à ce problème. Jusqu’à présent, notre action n’a pas abouti.

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