Les clés de la réussite des femmes ? Repenser le modèle d’organisation du travail et du temps, affirme Hélène Masse-Dessen, avocate à la Cour de Cassation et au Conseil d’Etat 1976, spécialiste en droit social.
Peut-on parler aujourd’hui de réussite des femmes en France ?
C’est très nouveau de parler de réussite des femmes. Autrefois, une femme avait réussi quand elle avait fait un beau mariage et son mari une belle carrière. Réussir c’était et cela reste aujourd’hui d’abord de pouvoir nourrir sa famille. Une fois qu’on a rempli ces obligations familiales et sociales, réussir c’est aujourd’hui avoir la possibilité de formuler d’autres aspirations et de les remplir. La réussite est une notion ambiguë.
Si on considère la réussite des femmes, il faut distinguer la réussite individuelle de la réussite collective. Envisageons la réussite individuelle : certaines femmes remplissent certains objectifs propres. Chacune réussit par rapport à un canon politique, économique ou culturel. Il n’y a pas de critère général et objectif de la réussite.
Considérons l’aspect collectif. La conquête d’un certain nombre de droits et libertés permet d’envisager la réussite individuelle. Le 20ème siècle est marqué par des mouvements collectifs pour favoriser la réussite socio-professionnelle des femmes. Inconcevable sans la maîtrise de la fécondité. Cette conception de la réussite est encore très jeune, elle n’est pas entièrement acquise dans notre société, car elle diffère de la conception traditionnelle de la maternité.
La différence entre les femmes du 20ème siècle et celles du 19ème, est justement qu’elles n’ont pas posé la question de la réussite dans les même termes. Aujourd’hui, on pense à concilier vie familiale et vie professionnelle, à faire évoluer les grilles de classification et surtout les rémunérations pour les rendre viables pour les femmes. Ce qui conduit à l’interrogation suivante : réussir, est-ce le faire dans un modèle masculin, ou bien faut-il agir pour changer le modèle de réussite ?
En quoi le modèle social français est-il masculin ?
Ce modèle suppose d’être disponible, de ne pas compter ses heures, d’organiser les réunions en fin de journée. C’est un mode d’organisation du temps de travail qui correspond mal aux obligations sociales des femmes (et aussi des hommes…) chargées de famille (au sens large : enfants et seniors). Ce n’est pas une question de capacité, mais bien d’organisation du temps. Concilier ces responsabilités diverses pose des problèmes juridiques particuliers, qui ont d’ailleurs fait l’objet d’une étude européenne à laquelle j’ai participé. Elle montre que les modes de raisonnement sont tout à fait différents selon les pays. En Allemagne par exemple, il n’y a pas pratiquement pas de mode de garde.
Un des éléments de la réussite des femmes c’est donc de repenser le modèle d’organisation du travail et du temps. Les femmes de la génération de ma mère, qui ont voulu réussir en politique, ont gommé tout cela. Les femmes de la nouvelle génération veulent changer les modes d’organisation. Entre les deux, les femmes de ma génération, ont voulu tout réussir à la fois et ont vu que ce n’est guère possible, car la question du travail familial n’est pas réglée. Ou alors de manière individuelle.
L’Europe tire-t-elle la France vers le haut ? Quelles sont les solutions juridiques ?
Du point de vue juridique, il n’existe pas ou peu d’instruments coercitifs. Notre modèle a longtemps été régressif : le droit de vote en 1945 seulement, la femme mariée n’a eu la pleine capacité juridique qu’en 1938 et jusqu’en 1965 le mari pouvait s’opposer à ce qu’elle travaille. Le droit français qui a beaucoup résisté, a fini par évoluer.
Tout ce qui était sexué dans la législation a fini par presque disparaître. Mais la lutte pour la disparition du critère de genre, a parfois abouti à donner des droits aux hommes, sans en donner plus au femmes pour tenir compte de leur situation. Certains syndicats ont considéré qu’autoriser le travail de nuit aux femmes était une régression, d’autres que les congés parentaux pour les hommes étaient superflus.
Sur le plan strictement professionnel, la progression des femmes aux postes à responsabilité a été phénoménale en 40 ans. L’idée que les femmes devait être deux fois meilleures que les hommes pour réussir, n’est plus aussi vraie que dans les années 60. Mais aujourd’hui, ce sont les jeunes femmes qui souffrent le plus des phénomènes de discrimination multiple, davantage peut-être que les femmes d’âge mûr. Ces phénomènes sont mal étudiés car on les mélange beaucoup à des phénomènes communautaire et religieux.
La prise en charge collective de l’égalité professionnelle fait défaut. Les organisations syndicales esquivent encore souvent le problème. La Halde (Haute Autorité de Lutte contre les discriminations voir lien) traite malheureusement quelquefois les femmes comme un groupe minoritaire discriminé. Tant qu’on traitera des questions d’égalité entre hommes et femmes comme d’une question de discrimination d’une minorité, la confusion règnera. Il faut éviter de réfléchir en terme de discrimination positive permanente, mais inciter à des actions temporaires pour promouvoir les droits des uns et des autres.
Sur le plan collectif, la réussite c’est peut-être d’avoir dépassé la revendication d’être égale de l’homme partout. C’est d’accepter les différences et les prendre en main. Sur le plan individuel, c’est accepter de faire face aux difficultés. Imaginez, pour les femmes de ma génération, c’était difficile d’annoncer : « je m’en vais, je vais chercher mes enfants à la crèche ». Et cela le reste pour tous, mais autrement.
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