par Adrien Fauve
Juriste et politiste, directrice de recherche au CERI (CNRS-Sciences Po), Catherine de Wenden répond aux questions de Nouvelle Europe sur le phénomène migratoire en Europe.
Quels sont les enjeux actuels des migrations en Europe ?
Il faut tout d’abord mettre l’accent sur la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs, sans oublier la situation démographique d’un continent vieillissant. On doit ensuite mentionner la nécessité pour l’Europe de se positionner dans la compétition mondiale pour produire de la connaissance et attirer les plus créatifs. À tout cela, il faut opposer la fermeture de cet espace commun depuis trente ans. Ce sont les éléments de base d’un paradoxe migratoire européen. À partir du milieu des années 1970, des pays comme la France ou l’Allemagne se sont fermés à l’immigration de travail et familiale. Il en résulta deux phénomènes principaux : la sédentarisation du travail et la question des sans-papiers. Depuis, avec la venue dans l’UE des PECO, on constate une plus grande fluidité migratoire avec l’Est du continent qu’avec le Sud, la Méditerranée faisant en quelque sorte obstacle.
Quelle est votre position au sujet des politiques communautaires en la matière ?
Le problème reste en un sens le même. Prenons l’exemple du Pacte sur l’immigration. Deux cinquièmes des clauses sont destinées à lutter contre les flux, l’immigration clandestine et le contrôle des frontières ou points d’entrée. Mais à l’inverse, le projet Euromed de la Présidence française ne mentionnait même pas la question migratoire ! Les paragraphes sur la « fluidité des échanges » ne statuaient pas sur les visas – c’est dire. On retrouve les principes du paradoxe énoncé au début. En réalité, l’Europe semble conférer aux pays du sud méditerranéen un rôle de garde-frontières. En témoignent par exemple les différents épisodes relatifs aux politiques de réadmission. Mais c’est aussi le cas du voisinage oriental. L’Ukraine apparaît à ce titre comme une illustration du processus. C’est devenu un point de passage. Hormis les gens qui tentent d’entrer dans l’UE par cette voie (migrants aux provenance variées : Afrique, Moyen-Orient, Asie mineure), on assiste aujourd’hui à des migrations pendulaires de part et d’autre de la frontière avec la Pologne par exemple. La mobilité y est devenue un mode de vie, notamment sur le plan professionnel (métiers peu qualifiés, services à la personne mais également commerce etc.).
Pour appréhender le phénomène migratoire, on dresse souvent des typologies (migration volontaire ou contrainte, motivation politique ou économique etc.). Cette vision vous paraît-elle pertinente ?
Les catégories sont floues, à l’évidence. Ces classifications simplifient la réalité ou la déforment. Elles sont l’héritage de la Convention de Genève (1951) qui opposait réfugiés politiques ou dissidents (d’Europe de l’Est par exemple) aux migrants économiques. L’exemple des restrictions, en France, au regroupement familial le montre bien. On pensait pouvoir le distinguer des migrations de travail stricto sensu mais les migrants viennent travailler et visent à s’installer en famille, tout comme les parents vont chercher du travail une fois arrivés, même et (surtout) avec enfants en bas âge. Les demandeurs d’asile viennent également chercher un emploi. Une distinction éclairante serait plutôt celle qui met en avant la temporalité de la migration : de longue ou courte durée. Mais aujourd’hui, tous les âges sont concernés. On rencontre des mineurs isolés, des jeunes femmes allant en Italie pour travailler temporairement mais qui finissent par s’installer et trouvent à se marier dans des régions rurales victimes d’un certain exode féminin vers les villes.
Que peut-on enfin penser des rapports qu’entretiennent migrations et identité en Europe ?
Rappelons que l’Europe s’est d’abord présentée comme un espace de départ aux XIXe et XXe siècles, vers les États-Unis ou l’Argentine par exemple. Elle est ainsi devenue un espace de transit pour aboutir à destination, d’abord via les villes portuaires de la façade atlantique. Mais elle a fait l’expérience d’un nouveau moment historique qui la transformait en terre d’immigration, après la Deuxième Guerre mondiale et une fois les États-nations bien installés.
Dans ce contexte, l’importance numérique des migrations a triplé en une quarantaine d’années alors que les politiques à leur encontre n’ont cessé de sévir. À l’issue de ce processus, la construction européenne est venue changer la donne et l’on doit maintenant se définir comme un espace multiculturel par contraste avec d’autres ensembles régionaux dans le monde. Il en résulte deux fractures qui sont aussi des points de passage : les « frontières » méridionales et orientales de l’UE-Schengen.
Ainsi, plus on se ferme aux apports de populations venant du Sud ou de l’Est, plus l’écart entre ces « autres » espaces devient grand. Pour résoudre le problème, face aux risques de conflits et tensions engendrés par un enfermement, les migrations apparaissent dès lors comme un moyen d’ajustement économique et culturel.
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