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« Les interrogations autour de notre modèle de développement vont jouer un rôle dans cette élection, sans forcément s’exprimer. Voyez par exemple, le fait que le Brésil devienne un pays exportateur de pétrole, personne n’ose en parler ! Pourquoi ? Parce que ces barrils vont être exportés comme le reste » s’exclame le sociologue Cândido Grzybowski.

 

amazonie

D’après les projections, le Brésil sera le 4ème producteur d’or noir en 2030. Les réserves de brut découvertes au large des côtes renferment 50 à 100 milliards de barrils. Les gisements sont à plus de 7000 m de profondeur et sous une couche de sel, d’où sont nom de « pré-sal ». La Petrobras chargée de l’exploitation est détenue à 40% par l’Etat, ce qui lui promet des royalties collossales.

 

« De quoi distribuer des allocations familiales à tout le monde ! Le Brésil est déjà exportateur primaire à plus de 80%. C’est notre nature qu’on exporte : le minerai de fer, le soja transgénique, notre forêt, du bétail, d’une façon plus ou moins directe, c’est notre patrimoine qu’on exporte. Est-ce que ça a du sens d’exporter du minerai tiré d’Amazonie vers la Chine et le Japon, pour laisser un trou énorme en Amazonie ? Il n’y a pas d’innovations dans le modèle de développement » déplore Cândido Grzybowski.

 

Volontariste, mais…

Le gouvernement Lula fait pourtant montre d’une nouvelle politique industrielle volontariste, qui se résume sous l’acronyme PAC (Programme d’accélération de la Croissance). Après avoir vendu une partie de la compagnie minière Vale do Rio doce à un conglomérat japonais, le prédécesseur de Lula, Fernando Henrique Cardoso avait essayé de privatiser la Petrobras, Lula est arrivé au pouvoir et a empêché une privatisation. Fidèle à son ancien statut de métallo, il a promis de relancer l’activité sur les chantiers navals de Rio. Un premier supertanker en est sorti en mai. Près des mines de Carajas, en pleine Amazonie, une aciérie va être installée à Maraba, pour transformer le minerai sur place.

 

Dilma Rousseff qui est une technicienne, et a des chances de l’emporter à la présidentielle, a pour mission de mener à bien le PAC. En principe, il devrait répondre aux critiques sur ce modèle qui privilégie la production brute sans valeur ajoutée. « Seulement 10 à 15% des Brésiliens ont un diplôme universitaire, qu’ils aient une qualification ou non, ils n’ont de toute manière pas d’opportunité d’emploi dans les métiers de transformation, car il n’y a tout simplement pas d’industrie de transformation » détaille Silvio Caccia Bava, directeur d’Actionaid Brésil.

 

Les politiques énergétiques prime sur celles de préservation de l’environnement. Le Brésil veut soigner sa « matrice énergétique », officiellement pour éviter une panne comme celle du barrage d’Itaipu qui a plongé 50 millions de personnes dans le noir pendant 2 heures en novembre dernier et pour faire baisser les prix de l’énergie.

 

Les énergies renouvelables sont sensées être prédominantes dans cette matrice. En 2009, 47% de l’énergie provient de barrages hydro-électriques et de l’éthanol. L’exportation d’éthanol est passée de 700 millions de litres en 2003 à 3,3 milliards l’an dernier. Avec l’afflux imminent de pétrole, le Brésil doit augmenter proportionnellement ses capacités d’énergie verte, pour ne pas être défavorisé sur le marché financier des crédits carbone.

 

Les ONG soulignent le paradoxe de ces « énergies propres » basées sur la canne à sucre transgénique, sous le monopole de la multinationale Monsanto. Certes cette canne à sucre OGM est moins lourde, donc moins difficile à couper, mais elle nécessite tout de même des pesticides (du même faiseur, bien entendu), et pire, elle essaime et envahit tout. Une zone de protection interdit pour le moment la canne à sucre dans trois Etats sur 26 : Amazonie, Pantanal et Bacia do Alto Paraguai, mais un désastre écologique se prépare.

 

« Qu’est ce que c’est que ce modèle de développement, insiste Cândido Grzybowski. À Rio de Janeiro, dans un Etat grand comme le Chili, on produit de l’éthanol pour l’exportation, alors qu’on importe des fruits du Chili ? Est-ce que ça a du sens ? 80% des fruits consommés à Rio sont importés, alors que nous sommes un pays fruitier. C’est cette logique-là qu’il faut changer ! »

 

 

… à la vue courte ?

Le gouvernement Lula a repris certains plans de la dictature militaire visant la construction de grands barrages. GDF- Suez a obtenu le chantier du barrage de Jirau, dans le Sud de l’Amazonie. « 46 turbines géantes entourées de 16 pilliers hauts comme l’arc de Triomphe » légendait Le Monde du 12-13 septembre dans l’article En pleine Amazonie, 16 000 ouvriers consolident l’avenir énergétique du Brésil. Lors d’une rencontre à Sao Paolo, Gil de Methodio Maranhao Neto, directeur des affaires de la compagnie au Brésil décrit leur association à la Banque Mondiale, Wwf, Oxfam et à l’Unesco. Comme la construction du barrage oblige le déplacement de 1400 familles, une nouvelle ville est en construction. « Au Brésil, on transforme des bidonvilles en villes. Ceux qui ne sont pas inclus dans les programmes sociaux, le réclament ».

 

Plus décrié, le barrage de Belo Monte dans le Para devrait déplacer 20 000 personnes, dont 5000 Indiens. La banque nationale de développement économique et social (BNDES), un organisme étatique finance en partie ce barrage, le premier d’une série de six barrages sur le fleuve Xingu, car il n’est pas rentable seul. D’après Carlo Tautz, qui enquête sur les actions de la BNDES pour IBASE (le plus gros groupement d’ONG du Brésil), Belo Monte est un chaînon dans un programme de 300 barrages hydro-électriques en Amazonie. Ce que réfute GDF-Suez, car « le plan de développement énergétique ne va que jusqu’en 2030 ».

 

 

« Investir en Amazonie pour un Brésilien, c’est comme si vous investissiez en Russie, pour consommer à Paris, compare Cândido Grzybowski. C’est de la colonisation. Nous internalisons une partie de notre territoire, sans nous préoccuper des populations locales. Si ça permet de maintenir notre niveau de vie et si ça donne du travail à certains, pourquoi se gêner ? Mais, avec un pays avec autant de soleil, pourquoi ne met-on pas simplement des panneaux solaires sur les toits de Sao Paolo plutôt ? Ça coûte beaucoup moins cher que de faire des barrages en Amazonie. L’électricité sera en core moins chère et consommée par les entreprises d’extraction minière comme la Vale à Carajas ».

 

La BNDES « agit comme une banque privée et commerciale. Son budget annuel est quatre fois plus élevé que celui de la banque mondiale, que l’on sait réactionnaire et peu transparente, mais qui montre vraiment un souci écologique. La BNDES finance les exportations du capitalisme brésilien vers l’étranger, génère beaucoup de bénéfices, reconduit le modèle colonial expansioniste aux dépens des populations indigènes et de l’environnement. L’argent est attribué de la même manière, qu’il s’agisse d’une brasserie, ou d’un barrage… Elle finance de grands groupes agro-alimentaires (des frigos pour des grands éleveurs qui ont défrichés illégalement). Elle possède des parts dans ces entreprises et ne fait rien pour les empêcher. Les impacts sociaux et environnementaux sont terribles » déplore Carlos Tautz.

 

IBASE a mis au point un programme « affectado » (impactés), les victimes des activités soutenues par la BNDES, se regroupent pour dénoncer. Lula a mené une politique environnementale catastrophique. Belo Monte est selon eux un exemple absolu du mépris pour l’environnement. IBASE revendique à l’inverse de soutenir l’agriculture familiale, agriculture raisonnée et écologique. Car l’agriculture familiale produit 70% de l’alimentation de base au Brésil (riz, haricot rouge, manioc). Tandis que l’agrobusiness exporte viande, soja, éthanol, graines (qui pourraient être des semences, si elles n’étaient pas destinée au bétail européen et chinois.

 

 

Le Brésil semble donc avoir choisi dans ce dilemme : maintenir une région vierge ou faire de l’Amazonie ce que le marché veut.

 

 

Ces entretiens ont eu lieu en mai 2010, lors d’un voyage de presse organisé par l’AJIS (l’association des journalistes de l’information sociale) à Rio de Janeiro, Brasilia et Sao Paolo, puis un déplacement dans le Para à maraba non loin de Carajas.

 

 

 

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