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Une lame de fond agite le Brésil politique. Dans ce pays présidentiel, dont la devise ambitieuse est « Ordem e progresso » (Ordre et progrès), le système électoral ne dégage pas de majorité forte, ce qui oblige à lier des alliances. Certains élus et une grande partie de la société civile réclament une réforme du système politique actuel qui favorise la corruption.

 

Ordem

Le gouvernement est toujours le fruit d’une alliance avec beaucoup de conflits explicites. Artur da Silva Santos président de la CUT, le principal syndicat du Brésil décrit ce kaléidoscope : « Lula est le fondateur et ancien président de la CUT, son vice-président est un grand chef d’entreprise du textile, le ministre de l’agriculture est un des plus grands propriétaires lié à l’agrobusiness, le ministre du développement est plutôt lié à l’agriculture familiale, et la CUT fournit traditionnellement les ministres du travail. Bref, le gouvernement est toujours en opposition ».

 

 

Silvio Cacci Bava, directeur de l’ONG Actionaid Brésil estime que « les conservateurs ont bloqué la modernisation du Brésil et l’évolution structurelle vers un pays plus égal, plus juste, plus démocratique. Dans tous les pays capitalistes qui se sont développés : il y a eu des réformes agraire, politique, pour assurer de nouveaux niveaux de développement, de nouvelles relations économiques. Bien entendu la proposition de modernisation de l’Etat n’est pas de gauche, ou de droite, mais les obstacles sont immenses ». Le lobby des ‘ruralistas’ en raison de ses liens avec l’agrobusiness refuse de remédier au problème de concentration de la terre au Brésil, qui est la plus grande au monde. 1% des propriétaires possèdent 50% de la surface agricole utile (SAU). « Pour faire face à ces inégalités, nous avons besoin de ces réformes, mais il faut une force sociale suffisante pour imposer cette question au Congrès. Or, l’agrobusiness détient près d’un tiers du congrès ! » Récemment, il a soutenu le nouveau code forestier comme le dénonce le site Global Voice.

 

 

Participation populaire : l’exception ?

« Le système politique est construit pour bénéficer au pouvoir économique, la société civile qui réclamait une réforme politique, n’y croit plus », déplore Fransisco Menezes, qui a présidé un des 62 conseils mis en place par Lula avant son élection. Adepte de la démocratie participative, il a contribué à inscrire le droit à l’alimentation dans la constitution, créer une loi de sécurité alimentaire et pérenniser le conseil (Consea). Plus de 5 millions de Brésiliens ont participé à ces conseils depuis 2002, sur 62, il en reste 18. Exit les sujets litigieux sur l’énergie, la terre ou les transports, ils traitent exclusivement de sujets sociaux (santé, alimentation, éducation).

 

Cependant, la Constitution offre un nouvel instrument, qui peut recréditer la politique. Elle permet à la population de déposer un projet de loi à la Chambre des députés, lorsqu’il est appuyé d’au moins 150 000 signatures : c’est un projet populaire.

 

Dernier en date : « la Ficha limpia, ficha Suja », qui signifie « fiche propre ou sale » en référence au casier judiciaire du personnel politique, et qui a récolté 1,5 millions de signatures. Il traînait depuis 3 ans sur les bureaux des parlementaires. La Chambre et le Sénat ont approuvé le projet en mai dernier, sous la pression populaire. « Cela aurait été mauvais pour l’image des députés de se prononcer contre. Si l’application est immédiate et elle empêchera bon nombre de candidats aux élections sénatoriales de se présenter (20% ) ! C’est une victoire de la Société ! décrète José Eduardo Cardozo, député PT pour la région de Sao Paolo. C’est une signification énorme pour l’électorat, recrédite les politiques et légitime le pouvoir politique ».

 

Le marchandage des députés

« J’ai une véritable obsession pour la réforme politique, dit-il dans son bureau exigu de Brasilia, où notre délégation de 12 journalistes de l’AJIS le rencontre. J’irais jusqu’à la fin de mon mandat, mais je ne me représenterai pas ». Sa décision a fait l’objet d’une parution dans les jours qui ont précédé notre rencontre dans l’édition brésilienne du Monde Diplomatique « Je quitte la Chambre, sans abandonner la politique ».

 

Cardozo nous précise pourquoi. Les députés brésiliens sont élus au scrutin proportionnel à liste ouverte. Les partis présentent des listes sans définir de position, et les électeurs votent en cochant un nom ou un parti sur leur bulletin de vote. « À liste ouverte, vous vous retrouvez en concurrence avec les personnes qui sont sur la même liste que vous ! Vous devez avoir plus de voix que les autres en passant des accords avec tel ou tel syndicat, groupe de pression, et une fois que vous avez le nombre de voix qu’il faut, on distribue les voix adressées au parti à ceux de la liste qui n’en ont pas assez… C’est un vrai marchandage externe et interne au Parti. Un jour un de mes électeurs m’a dit : « si j’avais su que vous donneriez ma voix à celui-ci, jamais je n’aurais jamais voté pour vous ! »».

 

C’est un système qui engendre la corruption, qui fragilise les partis politiques, dont les incidences sont très lourdes. « Mon Etat, Sao Paolo, a le plus grand nombre de députés, 70, élus par plus de 20 millions de personnes. Vous avez besoin de tant d’argent (2 millions de réis), qu’il faut bien rendre des services en échange ». Or explique Fransisco Fonseca, professeur de sciences politiques à Sao Paolo : « les entreprises arrosent tous les partis politiques pour êtres sûres d’être favorisées par leur politique ».

 

Cardozo revendique donc un financement public des campagnes, par vote districtal mixte, qui associerait un vote local et la désignation d’un parti (à l’allemande). Au mieux, le député milite pour créer une assemblée constituante de la réforme politique, dont les membres auraient interdiction d’avoir une fonction d’élu. « Notre constitution est la plus démocratique d’Amérique latine, mais paradoxalement elle a maintenu le système électoral de la dictature », conclut-il.

 

Même l’opposition s’avère en faveur d’une réforme du système. Luiz Leite Secrétaire d’Etat (PSDB) de la région de Sao Paolo affirme que « le Brésil doit passer par de nombreuses réformes. La réforme politique est la mère de toutes les réformes : fiscale (cependant tout sauf l’impôt sur la fortune !), de la sécurité sociale et judiciaire (seulement 5% des homicides sont sanctionnés par une condamnation ». Le jeune collaborateur de José Serra, candidat à ces élections et principal opposant de Dilma, précise que Serra veut « muscler l’Etat. Le rendre plus agile et dynamique. Mais, nous restons persuadés que le meilleur remède aux inégalités, c’est la croissance économique ». Des-ordem e progresso…?

 

 

 

Ces entretiens ont eu lieu en mai 2010, lors d’un voyage de presse organisé par l’AJIS (l’association des journalistes de l’information sociale) à Rio de Janeiro, Brasilia et Sao Paolo.

 

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