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Le statut de travailleur autonome en Espagne est entaché par de nombreux abus visant le plus souvent les jeunes.

 

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En Espagne, l’autonomie a un drôle de prix. Pour 41h de travail par semaine, Emilie E. coûte seulement 1200 € par mois à son entreprise. La multinationale espagnole qui l’emploie comme chargée de projet de coopération avec les pays du Sud lui a imposé un contrat de travailleur indépendant (contrato por cuenta propia). Son salaire est fixé à 1500€ brut par mois, mais cela, au pro rata d’au moins 22 jours travaillés. En cas de jours fériés, il est calculé sur la base de 68,18 € brut par jour travaillé (car les jours fériés ne sont pas rémunérés). Parce qu’elle est une femme de moins de 30 ans, Emilie E. verse 174,68€ de sécurité sociale au Régime spécial des travailleurs autonomes au lieu de 250 €.

 

« Je suis considérée comme un fournisseur, l’entreprise a trois mois pour me payer, précise la jeune femme, trilingue et fraîchement diplômée d’un bac +5. Je n’ai ni congés-payés, indemnisation (transport ou ticket-restaurant), ou ancienneté, ni indemnités en cas de rupture de contrat, encore moins droit à des allocations-chômage. Mon « client » peut rompre notre contrat à tout moment pour cause justifiée sans indemnité, tandis que si c’est à mon initiative, je dois poser un préavis de deux mois ».

 

Selon les statuts du travailleur autonome qui existe depuis 2007 (Estatuto del Trabajador Autónomo- LETA), le revenu provenant d’un même employeur est en principe limité à 75%. Cette sous-catégorie de travailleur autonome dont plus de 75% des revenus provient d’un même client (surnommée TRADE) bénéficie en principe d’un régime juridique spécifique, caractérisé par des protections sociales supplémentaires compte tenu de sa vulnérabilité. Le contrat devrait être un « contrat de travailleur salarié », or, dans la plupart des cas, ces travailleurs autonomes doivent signer une « clause de non existence de rapports de travail salarié » attestant la nature commerciale et non salariée de la relation employeur/employé ou, devrait-on dire client/fournisseur. Mais dans un contexte économique délétère, Emilie E. a du accepter des conditions contractuelles abusives pour une durée de 6 mois. A présent, la jeune femme devrait signer une sorte de contrat-jeune d’un an, subventionné par l’Etat. Il est dit «  de stage » car elle a obtenu son diplôme il y a moins de 4 ans… Que faire quand 44,5% des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage ?

 

Sauver le statut

Entaché par la fraude des « faux autonomes », le statut ne fait pourtant pas vraiment débat. L’Institut espagnol de statistiques (INE) dénombre aujourd’hui 3,4 millions d’autonomes (agriculteurs compris) en comptant la sous-catégorie spéciale des TRADE, contre 11 millions de salariés.

 

« La plupart sont de faux autonomes. Bon nombre d’entre eux travaillent pour un donneur d’ordres au sein même de l’entreprise », confirme le sociologue Antonio Martin Artiles. Les syndicats s’alarment, car 9,8% des moins de 30 ans, (au total 166 370 personnes, Injuve, 2009) sont embauchés sous un contrat por cuenta propia, et donc particulièrement vulnérables.

 

L’Union des travailleurs autonomes (UPTA) déplore « cette réalité » dans son mensuel de septembre, mais célèbre tout de même une petite victoire. Le mois dernier, la Chambre des députés a voté l’obligation de verser une indemnité de fin de contrat, que la cause de rupture soit justifiée ou non. Cette nouvelle disposition entrera en vigueur le 5 novembre.

 

Quant aux organisations syndicales CC OO et UGT, elles dénoncent régulièrement les abus et le manque de contrôles et considèrent qu’il est essentiel de développer davantage le statut du travailleur autonome pour améliorer les conditions de vie et de travail des autonomes économiquement dépendants.

 

Malgré ces abus, le cas espagnol voudrait faire école à l’échelon européen. Dans une tribune parue dans El Pais, José María Zufiaur (rapporteur sur le travail indépendant en Europe pour le Conseil Economique et Social Européen) et Sebastián Reyna (secrétaire Général de l’UPTA) défendent ce statut novateur et plaident pour une harmonisation européenne. A leurs yeux, la libre circulation des services et le développement du travail transfrontalier la rendent d’autant plus nécessaire. Cela reviendrait à intégrer les indépendants économiquement dépendants dans le salariat. « Cela pourrait permettre d’éviter la précarisation du travail », confirme Antonio Martin Artiles et ouvrir un vaste chantier aux inspections du travail européennes…

 

 

 

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