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Comment les services aux personnes âgées relèvent-ils le défi des compétences et des qualifications ? Rose-Marie Van Lerberghe, ancienne directrice de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), ancienne déléguée à l’emploi et à la formation professionnelle du ministère des Affaires sociales, dirige à présent le groupe Korian, un des leaders européens de la prise en charge de la dépendance, temporaire et permanente.

 

aide soignante

Comment les pouvoirs publics et les institutions publiques et privées sont-ils prêts à répondre au défi du vieillissement ?

 

On gagne un trimestre d’espérance de vie par an. Un quart des plus de 85 ans vivent dans la dépendance. Les personnes âgées souhaitent rester le plus longtemps possible chez eux. Les progrès de la médecine permettent le maintien à domicile, et les pouvoirs publics l’encouragent. La maison de retraite n’est donc plus l’endroit où l’on allait après le décès de son conjoint pour ne pas rester seul. On y entre plutôt contre son gré.

 

Les maisons de retraite médicalisée et les USLD (unité de long séjour) doivent répondre à de nouveaux problèmes. Sur les 10 000 résidents du groupe Korian, la moyenne d’âge est de 87 ans. Nos résidents sont de plus en plus dépendants (60% sont GIR 1 et 2, ce qui correspond à la perte d’autonomie la plus élevée), et de plus en plus polypathologiques (ils ont en moyenne 6,3 pathologies). 55% se déplacent en fauteuil roulant, et près de 70% ont des troubles du comportement (une très grande partie Alzheimer). Ils ont donc autant besoin de « cure » (de soins médicaux) que de « care » non-médical parce qu’il faut les aider à faire leur toilette, à s’habiller, à manger, etc. Et tout cela, sans qu’une maison de retraite médicalisée ne ressemble à l’hôpital.

 

Aujourd’hui, la réflexion sur la dépendance tourne autour de la définition des services liés à l’accueil et aux soins et à l’architecture des bâtiments accueillants les personnes âgées. Selon notre expérience, la taille adéquate d’une maison de retraite est de 98 lits, répartis en petites unités de vie de 28 lits (ou de 14 lits) adaptées aux niveaux de dépendance et aux pathologies. Un des nombreux défis est de gérer la promiscuité entre des personnes très dépendantes physiquement, mais qui ont toute leur tête et de personnes déambulantes, mais atteintes de la maladie d’Alzheimer. Il faut adapter la prise en charge de chacun, éviter le heurt de pathologies très différentes, tout en organisant une vie commune.

 

Quels sont les enjeux en termes d’emploi et de travail ? Comment assurer un service de qualité quand les salariés sont peu qualifiés ?

 

Le travail avec des personnes âgées appelle un professionnalisme particulier. Toutefois, il faut éviter l’amalgame entre qualification et niveau de formation initiale. Si le professionnalisme s’apprend, il repose avant tout sur la capacité à comprendre les signaux non-verbaux. Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou un peu démentes ne peuvent pas exprimer leurs préférences, leurs craintes …, bien qu’elles en aient. Si on ne les comprend pas, ces résidents peuvent devenir agressifs.

 

Les capacités d’empathie ne s’apprennent pas dans les livres ! Je ne plaide évidemment pas pour que le personnel soit analphabète ! Mais les capacités requises pour les soins aux personnes âgées dépendantes ne sont pas nécessairement liées à l’augmentation du niveau scolaire. L’aide-soignante, par exemple, est la figure professionnelle majeure en maison de retraite. Or, le diplôme ne garantit pas l’appétence, sinon la compétence. Quelqu’un qui souhaitait s’occuper d’enfants, mais qui finalement, par défaut, travaille en gériatrie, peut avoir une révélation au contact des personnes âgées. L’aide-soignante fait des toilettes qui peuvent parfois conduire à des réactions de violence de la part du résident. Les toilettes doivent devenir un vrai soin, une occasion de se rendre compte de l’état général de la personne âgée : un risque d’escarre, de dénutrition, de confusions. L’aide-soignante, très attentive, doit donc avoir un rôle de vigie.

 

En France, nous souffrons d’une pénurie très grave d’aides-soignantes. Nous en recrutons 500 par an, mais avec un turn over de 20%… Les personnes ne conviennent pas, n’aiment pas le milieu de la dépendance, s’absentent trop souvent…Ce turn over est préjudiciables aux personnes dépendantes qui ont besoin de repères, de la fidélité du personnel qui les prend en charge. Si la maltraitance est rarement liée à la méchanceté, l’absence d’empathie ou de savoir-faire, de même que la négligence peuvent en être une des causes.

 

Comment réussir à professionnaliser le personnel dans ces conditions de pénurie ?

La formation se fait sur le lieu de travail dès lors qu’on met en place des organisations du travail qualifiantes. Nous sommes très attentifs à ce que des réunions de synthèses pluridisciplinaires et régulières, prises sur le temps de travail, assurent le suivi des résidents. Les aides-soignantes sont les plus à même de parler de la manière dont l’état des personnes âgées évolue.

 

Nous reconduisons en l’occurrence cette année un projet conjoint avec Pôle Emploi et la Croix Rouge française que nous avons baptisé « Opération Passerelle ». Il s’adresse à des personnes éloignées de l’emploi et la qualification (chômeur de longue durée, personnes en difficulté), mais qui ont envie de s’occuper de personnes âgées et ont des comportements adéquats : empathiques, souriants. Cela peut paraître simpliste, mais c’est majeur. Si vous faites une piqûre d’un air renfrogné à une personne atteinte d’Alzheimer, elle va penser que vous lui en voulez, que vous l’agressez.

 

En 2009, nous avions sélectionné parmi 180 candidats, 25 personnes qui ont suivi 450h de formation dans les centres de la Croix Rouge française. Puis, elles sont venues dans nos établissements en stage. On a pu vérifier que nos critères d’embauche étaient adéquats, au vu des compétences qu’elles ont développées, sans abandon, ni absentéisme. Pourtant 17 ont échoué au concours, alors que leurs notes d’oral étaient très bonnes ! L’une des recalés était une infirmière brésilienne. On ne peut pas dire qu’elle n’avait pas un certain niveau d’éducation, elle aurait même plutôt été surqualifiée ! Mais sa dictée ne devait pas être bonne.

 

Alors que ce sont des emplois non-délocalisables, qui correspondent pour une fois à des populations qui n’ont pas forcément un haut niveau scolaire, qui ont des grandes qualités humaines, qui trouvent du plaisir et du sens, une satisfaction à ce travail, on impose des critères de sélection scolaires, et une course au diplôme délétère ! C’est absurde.

 

Y a-t-il encore des quotas ?

Précisément. Les quotas sont en contradiction absolue avec la préoccupation de créer de nouveaux emplois. Sur le motif fallacieux que l’offre créé la demande et pour respecter l’équilibre de la sécurité sociale, il ne faut pas former trop de médecins et d’infirmières. Mais du fait de la liberté d’installation des médecins, certaines régions connaissent une pénurie, ce qui oblige à recruter des médecins étrangers…

 

Pour les aides-soignantes, les quotas ne se justifient pas. Elles n’ont pas d’exercice propre, ne peuvent s’installer en ville pour pratiquer des actes remboursés par la sécurité sociale. Récemment le ministère de la santé a abandonné cette prérogative des quotas et a transféré la responsabilité de la formation aux Conseils régionaux. Comme les moyens financiers d’un Conseil régional sont limités, les quotas ne résultent plus d’une volonté malthusienne, mais simplement d’un problème budgétaire. Quand on sait combien de milliards sont dépensés inutilement en formation pour les chômeurs de longue durée, c’est scandaleux de prétendre qu’on ne trouve par d’argent pour la formation professionnelle des aides-soignantes.

 

La France n’est pas capable de mettre en place un système qui convienne, parce que la sélection s’effectue encore sur des critères scolaires et académiques. De la même façon, la formation des infirmières devient universitaire ; elle se ferme de facto aux personnes qui ont suivi des cursus professionnels, à qui on demande maintenant de rédiger une note de synthèse au concours. Tout cela est un peu absurde, à un moment où le besoin d’encadrement dans les établissements va être énorme. A l’heure où l’on s’interroge sur les métiers d’avenir, il serait temps d’agir.

 

 

 

Repère :

Rose-Marie Van Lerberghe a été directrice de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), et déléguée à l’emploi et à la formation professionnelle du ministère des Affaires sociales.

 

Le groupe Korian. Korian compte 227 établissements (maisons de retraite médicalisées/EHPAD, cliniques de soins de suite et de réadaptation, cliniques psychiatriques) implantés dans 3 pays (France, Italie, Allemagne), 22 000 lits environ, 15000 salariés.    

 

Les groupes iso-ressources (GIR) permettent de classer les personnes en fonction des différents stades de perte d’autonomie. Ils sont au nombre de six. Le classement dans un GIR s’effectue en fonction des données recueillies par une équipe médico-sociale à l’aide de la grille Aggir (Autonomie gérontologie-groupe iso-ressources) qui permet de pondérer différentes variables (par exemple : la cohérence, l’orientation, la toilette, la communication).

Le GIR 1 correspond aux personnes confinées au lit ou au fauteuil ou dont les fonctions intellectuelles sont gravement altérées. La présence constante d’intervenants est indispensable.

Le GIR 2 comprend deux groupes de personnes dépendantes.
Celles qui sont confinées au lit ou au fauteuil et dont les fonctions intellectuelles ne sont pas totalement altérées ; une prise en charge est nécessaire pour la plupart des activités de la vie courante.

Celles dont les fonctions mentales sont altérées, mais qui peuvent se déplacer ; certains gestes, tels que l’habillage, la toilette, ne peuvent être accomplis en raison de la déficience mentale.

 

 

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