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À l’échelle locale, le dialogue social peut recouvrir différentes acceptions qui vont d’une simple transposition du dialogue social du plan national au plan local jusqu’au dialogue sociétal en passant par le dialogue social élargi. Les éléments distinctifs de cette gradation tiennent à la fois aux objets traités par ce dialogue local et aux acteurs impliqués. Mais la constante est que ce dialogue se déroule au plan local et non plus au plan national ou à celui de la branche (sans toutefois exclure ceux-ci).

 

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L’émergence de la négociation sociale territorialisée découle des nouvelles structurations du système productif (émergence de l’entreprise-réseau et des pôles de compétitivité etc.) qui rendent la négociation de branche bien souvent inopérante sur nombre de questions telles que l’évolution de l’emploi, les mobilités professionnelles, les conditions de travail.

 

On parlera ainsi de dialogue social territorial lorsque se met en place une négociation inter entreprises sur un même site ou une négociation interprofessionnelle. Encore peu diffusée –  notamment parce que l’acteur patronal est réticent à cette forme de régulation territoriale tandis que les syndicats, plus sensibles, y sont peu préparés – cette forme de négociation se mène avec les acteurs classiques du dialogue social (syndicats et employeurs). Comme le souligne le Groupe Thomas (Commissariat Général du Plan, 2004), cette forme territorialisée du dialogue social reproduit les modalités du dialogue social de branche. Elle doit toutefois générer ses propres lieux de négociations et ses propres institutions, telles par exemple le délégué de site ou encore, comme dans le cas des Chantiers de l’Atlantique, une Instance de Dialogue Social de Site (IDSS). Une des fonctions essentielles de cette négociation sociale territorialisée consiste à transposer/harmoniser des normes existantes à l’échelle de la branche sur un espace nouveau de régulation qui est précisément le territoire.

 

Dialogue social territorial élargi

Si cette négociation sociale territorialisée, qui maintient le face à face entre les partenaires sociaux du dialogue social classique peine à prendre de l’ampleur, elle pourrait être dynamisée par des formes nouvelles de dialogue social territorial qui impliquent d’autres acteurs. Ce dialogue social territorial élargi qui peut se transformer en dialogue sociétal déplace les enjeux du dialogue social classique vers des questions plus transversales qui peuvent être le développement et la promotion de l’emploi ainsi que la gestion des compétences à l’échelle du territoire ; les mutations économiques et les délocalisations ; la mobilité et la sécurisation des parcours professionnels ; la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ; l’égalité entre les sexes ou entre les âges ; les difficultés de recrutement etc. Plus les sujets sont transversaux et touchent à la qualité de vie, plus l’on tend à passer d’un dialogue social territorial élargi (auquel participent le plus souvent les acteurs patronaux et syndicaux) à un dialogue sociétal territorial qui peut, dès lors que les thématiques débordent largement la question du travail et de l’emploi, se dérouler en dehors de l’implication des employeurs et des syndicats. Cela non pas parce qu’ils sont exclus mais parce qu’ils peinent à s’impliquer sur les questions de société dont la résolution repose moins sur : « l’échange de contreparties et sur l’élaboration de règles que sur la coordination d’une pluralité d’interventions collectives orientées vers la définition et la réalisation d’un « bien commun territorial ».

 

Le temps comme catalyseur

Les politiques temporelles locales, ou politiques des temps de la ville ont généré une forme de dialogue social territorial que l’on serait tenté de désigner par dialogue sociétal local en raison des acteurs qui y participent. En effet, qu’il s’agisse de la mise en œuvre d’un Pacte de mobilité comme à Modène ou Bolzano, d’actions visant une harmonisation des systèmes d’horaires comme à Brême ou Poitiers, ou encore de la requalification d’une zone urbaine (quartier, place, rue etc.) comme à Milan, St Denis ou Hambourg, cette forme de dialogue territorial implique une grande variété d’acteurs. Bien sûr, on y retrouve parfois les acteurs du dialogue social classique (employeurs et organisations syndicales), mais surtout les responsables, élus ou non, de la collectivité territoriale ainsi que, chose plus novatrice, les associations des porteurs d’intérêts collectifs locaux (commerçants, artisans, consommateurs, environnementalistes etc.) ou des habitants eux-mêmes. 

 

Le temps est, en effet, l’un des rares enjeux de politiques publiques dont la responsabilité et la prise en compte soient transversales. Compétence de tout le monde et de personne, le temps est l’un des seuls thèmes qui permette d’engager le débat avec l’ensemble des acteurs publics et privés. La question du temps oblige au partenariat depuis la phase d’observation jusqu’à celle de l’expérimentation et de l’évaluation.

 

Impliquer les citoyens, les habitants, les usagers du territoire dans le contexte des politiques temporelles signifie co-construire avec les acteurs qui disposent d’une expertise d’usage plutôt que de simplement faire participer ou informer/consulter. Il s’agit de privilégier une approche sensible aux usages, à la vie quotidienne (intégrer la dimension qualité des espaces, mais aussi celle du « vivre ensemble »).

 

Idéalement, le dialogue sociétal local implique une large palette d’acteurs : élus et techniciens de la collectivité locale, entreprises, organisations syndicales, associations, mais aussi les habitants et usagers temporaires du territoire. Dès lors, il est nécessaire d’imaginer des formes nouvelles de légitimité démocratique ainsi que de nouvelles formes de participation et de nouvelles façon d’envisager le périmètre des acteurs (par exemple, on peut imaginer une citoyenneté éphémère qui implique ceux qui ne vivent pas dans l’espace concerné mais l’utilisent, le parcourent, y vivent une partie de la journée ou de la semaine).

 

Des questions, par essence sociétales, telles celles du travail de nuit ou du dimanche (qu’est-ce qui doit être ouvert au regard de la spécificité du territoire ?), constituent des champs potentiels de déploiement de ce dialogue sociétal local.

 

Ces exemples montrent que : « Face aux négociations impliquant directement les partenaires sociaux qui restent aujourd’hui majoritairement enfermées dans des rapports internes à l’entreprise, les territoires (…) peuvent (…) devenir, plutôt que des lieux de désolation, un nouveau cadre de résolution de ces tensions ». Mais on peut imaginer que cette forme de dialogue social élargi qui se développe à l’échelle d’un territoire, à travers laquelle les partenaires sociaux entrent plus étroitement en interaction avec d’autres acteurs, devienne une forme permanente de gestion des enjeux économiques et sociaux du territoire. Au-delà du règlement de situations de crise, le Dialogue Sociétal Local, deviendrait ainsi une forme de gestion collective de l’ensemble des éléments qui constituent la qualité de vie et, par voie de conséquence, l’attractivité du territoire.

 

 

 

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Sociologue dans le champ du travail et de l’emploi, sur les thématiques du temps et des temporalités de la vie quotidienne appréhendées notamment au prisme des relations sociales.

J’ai mené de nombreux travaux comparatifs sur les questions de temps de travail, à l’échelle principalement européenne mais également au-delà pour des institutions Françaises (ministère du Travail, etc.) et Européennes (Eurofound, etc.)

Aujourd’hui Vice-Président en charge de la recherche et de l’international de Tempo Territorial (Réseau national des acteurs des démarches temporelles), je suis également membre d’autres réseaux internationaux et nationaux sur les questions de temporalités (Séminaire International sur le Temps de Travail, International Association for Time Use Research, etc.) et de plusieurs comités de rédaction de revues (Transfer, Futuribles, Temporalités, METIS).