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À propos du 14e congrès de la Confédération européenne des syndicats (CES) du 21 au 24 mai 2019 à Vienne. Voilà un moment de l’actualité institutionnelle de la vie sociale européenne qui est passé largement inaperçu en France en dépit de l’élection de Laurent Berger à la Présidence de la CES qui nous a valu quelques entrefilets dans la presse nationale, mais si peu.

Image : 14e congrès de la CES, CFDT

Signe du désintérêt pour l’actualité européenne en général et sans doute pour le syndicalisme européen plus particulièrement qui n’est que le reflet de ce que l’on peut observer à l’échelon national. Pas seulement en France d’ailleurs puisque dans pratiquement tous les pays européens le syndicalisme est en recul depuis plusieurs décennies. Pourtant, lorsque l’on est plongé dans l’événement, à écouter les interventions successives des délégués, l’on mesure avec une certaine angoisse l’ampleur des défis auxquels ce que l’on a coutume de nommer « modèle social européen » appréhendé dans l’ensemble de ses dimensions (conditions de travail, conditions d’emploi, droits des travailleurs, représentation des travailleurs, négociation collective, etc.) se trouve confronté.

Ce 14e congrès qui faisait suite à celui qui s’était tenu à Paris en 2015 réunissait 600 délégués représentant au bas mot 45 millions de travailleurs, 90 organisations syndicales nationales issues de 38 pays. Il s’est tenu à Vienne, en Autriche, au moment même où l’extrême droite était contrainte de démissionner du gouvernement ce qui (re) donnait un peu d’espoir aux délégués de l’ÖGB (Österreichischer Gewerkschaftsbund) la Fédération syndicale autrichienne — puissance invitante du congrès — soumise à une violente politique anti sociale et anti syndicale menée par le gouvernement de Sebatian Kurz — allié à l’extrême droite — au pouvoir depuis la fin 2017. Ainsi, la durée maximale du travail est désormais fixée à 12 h par jour et 60 heures par semaine tandis que les conseils d’entreprise sont écartés de la prise de décision dans le domaine du temps de travail. Par ailleurs, la présidence autrichienne de l’UE durant le second semestre de 2018 s’est illustrée par une opposition à la mise en œuvre du pilier social adopté à Göteborg en 2017 même si certaines avancées ont pu être opérées : révision de la directive sur les travailleurs détachés, création de l’autorité européenne du travail, directive sur l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle. Ce contexte local, qui encore une fois reflète une tendance à l’œuvre dans la presque totalité des pays de l’UE, explique pourquoi le congrès a voté une motion concernant la situation autrichienne qui toutefois allait au-delà — avec la perspective des élections européennes du mois suivant — en insistant sur la nécessité de faire barrage aux partis populistes et nationalistes.

Ce congrès sans enjeu institutionnel majeur — Lucas Visentini secrétaire général devant être réélu pour un second mandat — s’est donc concentré sur la stratégie à adopter pour — à un moment clé pour l’Europe que constituent les élections européennes et le renouvellement des instances dirigeantes des institutions européennes —construire une « Europe plus juste pour les travailleurs ». Le Manifeste et le programme d’action adoptés pour la période 2019-2023 rappellent en effet le contexte particulièrement difficile de l’action syndicale qu’il s’agisse de la mondialisation non régulée qui tire vers le bas la condition des travailleurs à travers la mise en œuvre de politiques d’austérité qui se traduisent par une augmentation des inégalités, une précarisation des statuts d’emplois, une diminution des droits des travailleurs, notamment en termes de pouvoir de négociation. Ils soulignent également les contraintes de l’action syndicale que constitue la prise en compte du changement climatique, des flux migratoires et de la digitalisation de l’économie. La direction de la CES est ainsi mandatée pour défendre auprès de la nouvelle Commission et du Parlement européen un certain nombre d’axes politiques considérés comme incontournables pour que l’UE retrouve « son âme sociale » pour reprendre l’expression de Lucas Visentini. Il s’agit de mettre en œuvre une politique économique progressiste et durable qui permette des augmentations de salaire et une convergence vers le haut des salaires entre les pays et les secteurs ; la création d’emplois de qualité et une réduction du temps de travail sans réduction de salaire, mais également le contrôle par les salariés de leur temps de travail ; la défense et l’extension des droits des travailleurs, de la protection sociale et des services publics ; la relance du dialogue social, le renforcement de la négociation collective, en élargissant son champ d’application et en promouvant la participation des travailleurs ; une transition juste, une mondialisation durable et un commerce progressif ; une mobilité équitable et une politique commune en matière de migration et de droit d’asile fondée sur le respect des droits et l’égalité de traitement. Ce catalogue à la Prévert, révèle l’ampleur de la tâche à laquelle doit se confronter le mouvement syndical européen et explique pourquoi le congrès a également planché sur la question du renforcement et d’une meilleure structuration de la CES notamment en articulation avec l’Institut Syndical Européen. Car parvenir à obtenir des résultats au regard de ces objectifs généraux suppose une modification de la gouvernance européenne, notamment comme cela est souligné dans le programme d’action, une réforme du processus d’élaboration des politiques économiques européennes, du budget et de l’Union monétaire afin de promouvoir plus de justice sociale et des investissements favorables à l’emploi, la croissance durable et équitable et une fiscalité progressive. Ce sont là des conditions pour assurer une transition socialement juste vers une économie mondiale régulée et décarbonée, vers une société largement structurée par la digitalisation qui implique de revisiter les droits des travailleurs au regard des nouvelles formes de travail. Une première étape, mise en avant par le programme d’action 2019-2023, serait la mise en œuvre des 20 principes du socle européen des droits sociaux adoptés à Göteborg en 2017, dont l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité des chances, le droit à un juste salaire ainsi que le droit à l’éducation et à la formation tout au long de la vie. Au regard des résultats des récentes élections européennes le doute est permis quant aux possibilités de réalisation d’un tel programme, mais il paraît essentiel si l’on se place du point de vue de l’avenir de l’UE que de tels objectifs soient rappelés et réaffirmés et que l’ensemble du mouvement syndical européen se mobilise en vue de leur réalisation.

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Sociologue dans le champ du travail et de l’emploi, sur les thématiques du temps et des temporalités de la vie quotidienne appréhendées notamment au prisme des relations sociales.

J’ai mené de nombreux travaux comparatifs sur les questions de temps de travail, à l’échelle principalement européenne mais également au-delà pour des institutions Françaises (ministère du Travail, etc.) et Européennes (Eurofound, etc.)

Aujourd’hui Vice-Président en charge de la recherche et de l’international de Tempo Territorial (Réseau national des acteurs des démarches temporelles), je suis également membre d’autres réseaux internationaux et nationaux sur les questions de temporalités (Séminaire International sur le Temps de Travail, International Association for Time Use Research, etc.) et de plusieurs comités de rédaction de revues (Transfer, Futuribles, Temporalités, METIS).