par Philippe Van Parijs, Jean-Yves Boulin
Philippe Van Parijs est considéré comme le « père » de l’idée de revenu universel dans les années 1980. Il s’entretient avec Jean-Yves Boulin, spécialiste des questions de temps de travail et du renouveau de cette thématique.
– Entretien retranscrit et rédigé par Eva Quéméré –
Ce n’est pas la première fois en temps de crise que l’on parle du basic income. Souvent en lien avec le débat sur la réduction du temps de travail, il est présenté comme une alternative. Ce fut notamment le cas dans les années 90 où l’idée était portée par l’extrême gauche, des écologistes et certains libéraux. Aujourd’hui le débat fait son comeback, il est porté à l’attention du grand public et a élargi son terrain de jeu à l’ensemble de l’échiquier politique, comment l’expliques-tu ?
C’est effectivement plus qu’un retour du basic income. Qu’on l’appelle revenu de base, allocation universelle ou autrement, il est discuté dans beaucoup de cercles et très médiatisé… c’est même sans commune mesure avec les années 90, en France et un peu partout dans le monde. Il y a des raisons contingentes à cela – le référendum en Suisse ou l’expérimentation en Finlande en sont les deux principaux exemples – mais celles-ci sont elles-mêmes les symptômes d’un mouvement de fond qui explique l’intérêt porté aujourd’hui à cette idée de changement radical.
J’ai pour ma part commencé à réfléchir au basic income en 1982. Deux problèmes m’empêchaient de dormir. D’une part, le chômage massif, particulièrement chez les jeunes, et les réponses données par la droite et la gauche me semblaient être tout à fait dangereuses et absurdes. « Plus de croissance, plus de croissance ! » pour digérer cette masse grandissante de chômeurs, on était à ce moment-là quelques années après le cri d’alarme du club de Rome et il me semblait qu’il devait y avoir d’autres solutions que cette fuite en avant aveugle. On parle aujourd’hui de « secular stagnation » et en outre la croissance importante du dernier demi-siècle n’a pas du tout résolu la question du chômage.
D’autre part – nous étions alors quelques années avant la chute du Mur – les personnes situées à gauche comme moi ressentaient la nécessité d’une alternative au capitalisme que l’on connaissait, mais qui soit autre chose que la propriété collective des moyens de production dont l’on commençait à percevoir les sérieuses limites. La question était donc de savoir si une autre vision pouvait mobiliser les populations, qui soit autre chose qu’un raccommodage pour le maintien des intérêts acquis contre l’utopie néolibérale.
C’est alors apparu comme une évidence : et si au fond, on réglait les deux problèmes simultanément en faisant quelque chose d’aussi radical que de donner un revenu inconditionnel à tous ?
Donc à mon sens, la résurgence du basic income s’explique par la prise de conscience actuelle, plus aiguë et plus répandue, de ces deux problèmes : comment résoudre la question du chômage sans compter sur une croissance continue ou accélérée ; comment donner un avenir à nos sociétés capitalistes qui puisse être autre chose que le socialisme de propriété collective qui a mal tourné ? En outre, la morosité ambiante qu’entretiennent le scepticisme de plus en plus prégnant sur la croissance et sa désirabilité (son incidence écologique et son inefficacité à résoudre le chômage), la désaffiliation de nombreux jeunes, y compris non immigrés, la crise européenne et le terrorisme, tout cela crée un besoin pour de nouvelles utopies mobilisatrices, dont l’allocation universelle.
Est-ce si différent du RSA?
Ce n’est pas un filet de sécurité, mais un socle inconditionnel. Cette notion de revenu socle est très importante. Si l’on cible seulement les pauvres, on coince un certain nombre de personnes dans une position d’assistés et dans une trappe à pauvreté. Tandis que si l’on donne un revenu, dans le sens d’un floor inconditionnel, les gens pourront s’y appuyer et échapper plus facilement à la pauvreté en combinant le revenu de base avec le revenu d’autres activités qui leur permettent de se reconnecter.
En outre, du fait de son caractère inconditionnel et dans la mesure de son montant, le revenu de base donne un pouvoir de négociation à ceux qui en ont le moins. Dans l’université de l’avenir, les personnes qui nettoient les toilettes pourraient être mieux payés que les profs… En effet, ce pouvoir est aujourd’hui le reflet d’un certain niveau de qualification ou de savoir-faire ayant une valeur marchande, mais aussi de la capacité de nuisance collective qui est, elle aussi, très inégalement distribuée. Ainsi, un employé de petit magasin et un chauffeur de TGV qui peut immobiliser tout un pays par une action de grève collective n’ont pas exactement le même pouvoir de négociation. Cela ne correspond à aucune idée de justice salariale. La capacité d’action collective des travailleurs, y compris par la grève, a été et reste un outil très important, mais c’est aussi et de plus en plus à mesure que le précariat se développe, une source d’inégalité entre travailleurs.
La question très actuelle du remplacement de l’homme par la machine vient-elle nourrir la réflexion ? Pour toi, quel est l’avenir de l’emploi ? Comment vois-tu ce contexte de robotisation ?
Tout va dépendre de la manière dont on distribue le revenu. Je ne suis pas dans l’analyse consistant à dire qu’il y a une petite quantité d’emploi aujourd’hui et qu’il n’y en a pas pour tout le monde, qu’il y en aura encore moins demain à cause des changements technologiques et que pour que l’on continue à consommer suffisamment, il faudra donner de l’argent à tous. Non, à mon sens, l’accès à l’emploi – un emploi qui ait du sens pour celui ou celle qui l’exerce – doit rester possible pour tout le monde. Il ne s’agit pas de dire « je vous donne de l’argent, vous pouvez consommer et tant pis pour le travail ». Le travail est structurant pour l’existence , je ne suis pas du tout pour sa fin ! Mais évidemment, je ne crois ni à la possibilité ni à la désirabilité d’un modèle unique de plein emploi salarié, à temps plein, pendant toute l’existence pour chaque homme et chaque femme. Personne ne pense qu’un tel modèle ait le moindre sens avec 40 heures par semaine tout au long de la vie. Ceux qui le défendent doivent donc s’attaquer à la notion de temps plein. On touche donc à la question de la réduction du temps de travail.
Oui, mais ces questions sont souvent opposées l’une à l’autre, y a-t-il une articulation entre les deux ?
Depuis le début du débat européen sur l’allocation universelle dans les années 80, il y a une discussion touchant à la complémentarité ou à la substituabilité de ces deux propositions.
Ce débat est vraiment né aux Pays-Bas au tout début des années 80 à l’initiative du syndicat des travailleurs de l’alimentation, le FNV Voedingsbond, un syndicat dirigé par une femme et principalement constitué de travailleuses majoritairement à temps partiel. Leur revendication était l’obtention conjointe d’un revenu de base et la réduction de la durée maximale du temps de travail. Le premier rendrait la seconde plus facile en compensant, pour les revenus les plus faibles, la diminution du salaire mensuel brut due à la réduction de temps de travail.
A mon sens, cependant, la réduction de la durée maximale du temps de travail a été une idée importante depuis le 19e siècle, mais ce n’est pas une idée pour le 21e, pour des raisons notamment décrites par Andy Stern (qui a été président d’un des principaux syndicats des Etats-Unis, le Service Employees International Union et militant du Health Care system aux USA) dans son livre tout récent Raising The floor. How a Universal Basic Income Can Renew our Economy and Rebuild the American Dream.
Ne faut-il pas considérer le temps de travail sur la vie entière, penser que les gens peuvent s’arrêter à certains moments, se recycler ? On peut penser aussi à l’exemple de la « job rotation » au Danemark dans les années 90…
En fait, l’allocation universelle est une formule souple de partage du temps de travail. Il y a une formulation de cette idée que j’apprécie particulièrement. Elle remonte au tout début du débat européen sur le revenu de base et émane d’un professeur de médecine sociale de l’Université libre d’Amsterdam, Jan Pieter Kuiper. Il écrit en substance: « C’est quand même pas croyable, dans mes patients, il y a des gars qui sont malades parce qu’ils travaillent trop, et des gars qui sont malades parce qu’ils ne parviennent pas à trouver un boulot ! » C’est cela qui l’a conduit à l’idée d’un revenu de base : permettre à ceux qui travaillent trop de travailler moins pour éviter le burn out, pour souffler un peu, pour se recycler à temps ou pour s’occuper de ses proches, et les emplois ainsi libérés pourront alors être occupés par d’autres.
L’allocation universelle peut ainsi permettre un « va-et-vient » beaucoup plus fluide entre l’emploi, la formation et les activités bénévoles. Ce qui peut aussi faciliter les réductions collectives du temps de travail dans certaines entreprises ou certains secteurs. L’intérêt de l’allocation universelle c’est donc qu’elle facilite la réduction volontaire du temps de travail, avec pour effet la possibilité pour certains de continuer à travailler plus longtemps au cours de leur existence. Ce qui est une idée du 20e siècle, c’est la réduction générale, imposée du temps de travail, y compris pour des emplois en tension ou pour des chirurgiens que l’on a formés pendant 15 ans et dont le travail est précieux. Certains, s’ils le souhaitent, peuvent travailler plus et donc gagner plus. Ils seront, alors, taxés sur les revenus qu’ils obtiendront, ce qui permettra une allocation universelle plus généreuse pour toutes et tous.
Justement, cela nous amène à la question du financement. Certains néolibéraux opteraient pour « ratisser » toutes les allocations qui existent aujourd’hui afin de financer l’allocation universelle en réalisant des économies. Quel serait pour toi le chemin d’un financement vertueux ?
Ce troisième modèle de protection sociale doit être politiquement stable pour qu’il ne vacille pas de majorité en majorité. Il doit donc être une forme de compromis entre la droite et la gauche. Il y a toute une palette de propositions libérales plus ou moins extrêmes. En France, Frédéric Lefebvre propose de supprimer une partie des allocations pour mettre en place un revenu de base peu élevé. En Belgique, on retrouve des propositions libérales beaucoup plus généreuses en termes de montant, mais supprimant alors bien plus d’allocations. Le cas limite est celui du libertarien Charles Murray (fellow de l’American Enterprise Institute), qui souhaite supprimer le système de santé. Il y aurait donc un montant de basic income plus élevé en terme absolu, mais chacun devrait prendre sa propre assurance santé.
Dans mon esprit, même à long terme, l’assistance sociale ne devrait jamais être entièrement supprimée, et encore moins l’assurance sociale. Bien sûr, elles deviendraient des compléments conditionnels à l’allocation inconditionnelle et leurs montants devraient être ajustés. On peut prendre pour exemple la proposition de Philippe Defeyt (ancien parlementaire écologiste et président du Centre d’aide sociale de la ville de Namur). Dans ce cas belge, il propose de donner 600 euros à chaque adulte (300 à chaque enfant), de façon inconditionnelle. Cette allocation remplacerait toutes les allocations et déductions fiscales (par exemple pour enfant à charge) dont le montant est inférieur à cette somme. Ce serait alors une simplification importante du système de prestations, sans être le grand chamboulement ultralibéral – mais aussi, et surtout, une réduction de la trappe à pauvreté. En effet, quelqu’un qui bénéficie aujourd’hui d’une allocation chômage de 1000 euros recevrait, dans cette hypothèse, un revenu de base inconditionnel de 600 euros ainsi que 400 euros d’allocations complémentaires, aussi longtemps qu’il satisfera les conditions d’un chômeur involontaire. Pour le financement, tout dépendra de la formule: ajuster les montants bruts ou ajuster la taxation sur les revenus de remplacement.
Ça supposerait donc un plafonnement des allocations élevées ? Par exemple des indemnités de chômage sans plafond ou presque ?
L’esprit d’ensemble de la réforme c’est que toutes les allocations sociales qui sont inférieures au montant de l’allocation universelle sont supprimées, ce qui représente une simplification considérable. Et toutes les allocations supérieures sont réduites du montant en net de l’allocation universelle. Les compléments, eux, sont donc conditionnels. Dans le cas belge, il y aurait par exemple un complément d’allocation d’assistance sociale pour les personnes isolées sans autre revenu en raison des frais fixes liés au logement. La trappe ne serait pas abolie, mais la possibilité d’en sortir serait bien plus grande, car il suffirait de trouver un travail à temps partiel pour en sortir, alors que pour beaucoup de personnes aujourd’hui, la possibilité de trouver un emploi qui les paierait autant que ce qu’ils reçoivent comme aide sociale est minime. De là un dynamisme plus grand.
Pour la Belgique, j’ai réalisé une micro-simulation avec un étudiant dans le cadre d’un mémoire de master d’économie et nous avons, à l’époque, pu constater que les principaux gagnants étaient d’une part les femmes au foyer – qui gagneraient plus que les avantages fiscaux liés au quotient familial – et d’autre part, les travailleurs à temps partiel.
Il y a alors évidemment un coût net à financer. Il faut l’assumer par l’augmentation de l’imposition des personnes les mieux rémunérées. Ces personnes toucheront aussi le revenu de base, mais le financeront elles-mêmes. Le taux marginal d’imposition minimal sera de 40% pour tout le monde dès le premier euro et il y aura un ajustement à faire pour le coût net. On passera, par exemple, de 50 à 52,5 % de taux marginal, en plus des cotisations sociales.
Certains pensent que cette allocation n’est pas finançable à court terme et évoquent alors une autre solution à laquelle il est intéressant de réfléchir. Par exemple, Oswald Sigg, ancien porte-parole socialiste du gouvernement suisse, propose conjointement avec deux professeurs de l’Ecole Polytechnique de Zurich, une micro-taxe sur les payements électroniques qui représentent, en Suisse notamment, un volume considérable : 500 fois celui du PIB, selon leurs estimations. C’est aussi ce que vise aussi à faire la taxe Tobin, car il y a beaucoup d’activités qui n’ont d’autre visée que de faire bouger l’argent. Mais les transactions dont il s’agit ici représentent un volume bien supérieur. Elles seront ponctionnées davantage et seront découragées, ce qui réduirait alors la spéculation. Néanmoins, il s’agit d’une assiette fiscale extrêmement élastique dont le rendement est très difficile à estimer et qui, si l’on met en place une telle fiscalité, devrait baisser. On ne peut donc pas baser le financement de l’allocation universelle essentiellement sur cette forme de taxe.
Le 1er octobre prochain à Louvain-la-Neuve nous célébrerons le 30e anniversaire du BIEN, le Basic Income European (aujourd’hui Earth) Network, créé à Louvain-la-Neuve en septembre 1986. Lors de l’une des séances plénières, l’auteur d’un mémoire sur cette micro-taxe viendra en faire une présentation en faisant le point sur les différentes expériences pour en présenter les points positifs et négatifs. Il y aura également une présentation par le Belge Philippe Defeyt de ses propositions.
On voit se développer en ce moment un certain nombre d’expérimentions : en Finlande, cela devrait débuter en janvier 2017 et aux Pays-Bas, en particulier à Utrecht où Loek Groot est en charge d’une évaluation randomisée avec plusieurs groupes tests (voir article de Loek Groot dans ce dossier). Qu’est-ce que tu en penses ? Comment peut-on anticiper dans des sociétés complexes les comportements des « homo economicus » ? Est-ce la bonne méthode ?
Ma réponse est non. On a déjà eu ce genre d’expérimentations à durée limitée aux USA et au Canada à propos de l’impôt négatif. Ce type de démarche soulève plusieurs problèmes.
Le premier est celui de la durée limitée qui induit un certain nombre de comportements du type « je ne vais pas lâcher mon boulot… » ou au contraire « Je vais en profiter », qui rendent hasardeuse l’extrapolation aux effets d’une allocation à vie. Le second problème est celui de la taille des échantillons. Supposons, par exemple en Finlande que ce soit une vraie allocation universelle. Si l’échantillon aléatoire est de 5 000 personnes (avec un bon groupe de contrôle) pour un marché du travail de 4-5 millions d’actifs, on ne sera pas en mesure de prendre en compte l’impact escompté d’une telle mesure sur le marché du travail. Verra-t-on le développement de stages, d’emplois formatifs, de start ups, d’emplois à temps partiel, de coopératives rendus possibles par la combinaison de l’allocation avec des occupations attrayants aux revenus faibles ou incertains ? Verra-t-on par ailleurs une augmentation de la rémunération des emplois ingrats ? Même avec un échantillon saturé sur une commune par exemple, la modestie de sa taille par rapport au marché du travail pertinent empêchera de tirer des conclusions pour cet aspect fondamental de l’argumentation en faveur du revenu de base. Troisième problème : on ne peut inclure dans l’échantillon que des bénéficiaires nets du système, pas des perdants nets. Des gens comme moi, par exemple, ne pourront pas entrer dans un échantillon de ce genre-là, et les opposants pourront légitimement protester que l’effet négatif de la mesure sur l’offre de travail est de ce fait sous-estimé.
On pourrait ajouter ceux qui font partie des échantillons vont peut-être adopter des comportements vertueux, biaisant ainsi les résultats…
Oui, mais bon, il faut quand même faire ces expérimentations et je les soutiens, car elles alimentent le débat sur le sujet de l’allocation universelle. Il faut préciser que dans le cas des Pays-Bas, il ne s’agira pas véritablement d’une allocation universelle, puisque les participants seront les bénéficiaires actuels de l’assistance sociale et il n’y aura pas de salariés en emploi. Dans les six groupes prévus, trois nous rapprochent de l’allocation universelle en levant des inconditionnalités.
En fait, c’est une alternative du programme de Workfare de Rotterdam ? On va tester l’obligation de travailler en échange ou lever l’obligation ?
C’est pour cela qu’il y a actuellement des négociations avec la secrétaire d’Etat aux affaires sociales qui voudrait savoir si cela peut être généralisé. Outre l’effet bienvenu de publicité, c’est plutôt un moyen d’améliorer le système d’assistance sociale qu’un test de l’allocation universelle.
La seule alternative, c’est de le faire d’emblée, mais de manière progressive, comme pour l’assistance sociale et pour l’assurance sociale. Pour l’assistance sociale, on peut mesurer le chemin historique parcouru. Le RSA en France est un « yacht de milliardaire » comparé à ce qu’étaient les montants des premières « subventiones pauperum » municipales au début du 16e siècle. Il en est de même des montants des retraites comparés aux minables pensions telles qu’elles étaient lors de la création de la première forme d’assurance sociale allemande par Bismarck. Mais ce dernier n’a pas dit « on va commencer par une expérience randomisée pour s’assurer que cette assurance vieillesse n’a pas d’impact négatif sur l’épargne privée ». La référence à Bismarck permet aussi de mettre en évidence le fait que son but était autant la création d’un Etat allemand unifié et d’une forme d’allégeance à cet Etat que la mise en place d’un système de Sécurité sociale permettant d’apaiser les troubles sociaux.
En effet, ton raisonnement est le même par rapport à l’Europe avec la proposition d’un « dividende européen » ?
Oui, l’Europe ne retrouvera sa légitimité aux yeux des Européens que si elle représente autre chose que des menaces : de concurrence aiguisée, de délocalisations dans les pays d’Europe de l’Est, de travailleurs immigrés qui « piquent » le boulot des autochtones et détruisent leurs communautés. L’euro-dividende peut représenter cela. Dans ma proposition, il s’élèverait à 200€, modulé en fonction du coût de la vie dans les différents pays, pas en fonction des PIB pour qu’il y ait une redistribution nette. C’est certainement plus facile et plus rapide que d’harmoniser les fiscalités et les régimes sociaux. J’imagine un financement par la TVA qui est la taxe la plus européanisée. Pourquoi ? Est-ce qu’il n’y a pas d’autres taxes ? Un financement par une taxe de type Tobin procurerait un dividende de 10€ par personne et par mois d’après des estimations optimistes et un financement par une taxe carbone permettrait au plus un revenu de 14€ par personne et par mois. L’usage de la TVA est aussi une manière de faire contribuer tous les biens que l’on importe.
Ce serait un moyen de redonner du sens à l’Europe, de l’envie européenne, ce que tout le monde recherche, surtout à l’heure du Brexit ?
En tout cas, cela montrerait de manière tangible même au plus casanier des Européens que l’Union européenne fait quelque chose pour lui. Cela constituerait en outre un stabilisateur économique indispensable à la viabilité de l’euro. Et la redistribution vers les pays les plus pauvres, comme la Roumanie ou la Bulgarie, constituerait un précieux stabilisateur démographique. La viabilité du système reposerait cependant sur une collecte d’impôts suffisamment uniforme dans tous les Etats membres, ce qui est loin d’être acquis. Que divers prérequis doivent être préalablement réalisés ne diminue en rien l’importance de concevoir un horizon cohérent qui puisse guider nos luttes et fonder nos espoirs…
Pour en savoir plus :
– Philippe Van Parijs est professeur à la faculté des sciences économiques, sociales et politiques de l’Université de Louvain et responsable de la chaire Hoover d’éthique économique et sociale.
– Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, Basic Income – a radical proposal for a free society and a sane economy, à paraitre au printemps 2017 chez Harvard University Press
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