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Le coût humain, social et énergétique réel de l’industrie du nucléaire française est passé au crible par Bruno Rebelle, ancien numéro 2 de Greenpeace International aujourd’hui consultant en développement durable.

 

Comment voyez-vous la position des ONG françaises face au nucléaire ?

Peu d’ONG ont travaillé sur le nucléaire. Greenpeace est un acteur historique. Il faut compter aussi sur le réseau « Sortir du nucléaire », fort de nombreuses associations locales et le réseau WISE, actif en France mais aussi aux Pays Bas, et qui est une sorte d’agence indépendante d’étude et de conseil sur le nucléaire et les politiques énergétiques.

 

Le problème principal, c’est que la plupart des ONG se sont enfermées dans une logique de dénonciation notamment sur la gestion des déchets pour un public préoccupé par le risque, la dangerosité et les accidents. D’où une stratégie concentrée sur des scandales, comme par exemple l’Allemagne qui exporte ses déchets vers la Hague et les accidents et catastrophes comme Tchernobyl ou Fukushima.

 

Les organisations environnementales ont négligé d’autres leviers comme la sous-traitance et la santé. Les ONG n’avaient pas une approche globale ou holistique. Elles ne mettaient pas en perspective l’emploi, les stratégies pour contrer la dépendance énergétique. Le sujet emploi est arrivé par le Crilan (Comité de Réflexion, d’Information et de Lutte Anti-Nucléaire). Il est aussi venu un peu par les syndicats. Jusqu’à présent la CGT était assez autiste à bouger sur les conditions de travail notamment dans la sous-traitance, ce qui s’explique par le problème de proximité entre la CGT et EDF Sud, qui a mis au point des lanceurs d’alerte et de mal-être, et FO ont pris position dans des logiques nouvelles.

 

Greenpeace aujourd’hui veut bousculer les lignes en améliorant l’information sur le coût humain, social et économique de cette industrie pour alimenter le débat sur le futur mix énergétique et imaginer une transition énergétique sur trente ans. En France, le coût de l’électricité est artificiellement bas (même s‘il a augmenté de 25% en 3 ans), car il ne rend pas compte des coûts réels lié au retraitement des déchets et au stockage des déchets étrangers à La Hague.

 

Comment caractériser les positions des industriels français du nucléaire ?

L’industrie nucléaire n’a jamais été mise en débat. Elle s’est repliée sur elle-même pour se renforcer. Et les travailleurs se sont toujours sentis menacés et attaqués. Pour autant les travailleurs veulent garder leur emploi. Les lobbies ont contré les attaques des ONG sur les risques d’accidents en démontrant la qualité des systèmes de sécurité, en argumentant que c’est le système le plus sûr du monde. Par exemple, les piscines permettent d’immerger les déchets radioactifs avant qu’ils ne soient retraités.

 

Au fond, seule une toute petite quantité de ces déchets a une très fort taux de radioactivité. Mais, quand on traite 1 cm3 de ces déchets, ils engendrent 25 m3 de déchets moins radioactifs ! Actuellement seule la 4ème génération de réacteurs – au thorium, qui fonctionne dans du plomb fondu – pourrait permettre de brûler les déchets radioactifs. Mais ce ne sera pas au point avant 30 ans.

 

Par ailleurs, le secteur s’organise autour d’une structure de production monolithique. EDF est très lié à Areva qui fournit l’uranium, et au CEA qui fournit la technologie. Entre eux, la cohésion est extrême (notamment par le biais de la formation à l’école des Mines). Le lobby électronucléaire est très puissant. Les marges de manœuvre sont donc très restreintes pour les conseillers du ministère de l’écologie. Ces relations incestueuses entre l’État et les entreprises contribuent à entretenir un débat très polarisé.

Quid des travailleurs du nucléaire, de leur santé et de leur formation ?

La santé des salariés et des précaires du nucléaire est fragile. Ce « système » du nucléaire est tellement opaque que les employés sont sensibles à différents types d’infiltration, de l’Église de scientologie notamment.

 

Ils constatent parfois des dysfonctionnements graves. Alors que tous les actes dans une centrale sont soumis à des habilitations très strictes et exigent des qualifications très précises, les tâches les plus dangereuses sont confiées à des sous-traitants, qui ne sont pas toujours formés pour. On les appelle la « chair à rayon ». Il y a eu des thèses sur ce sujet et des avocats qui sont montés au créneau.

 

Par ailleurs, depuis 1978 (Three Miles Island) et 1986 (Tchernobyl), on constate un vrai désamour des étudiants vis-à-vis du nucléaire malgré une période de plein emploi. Cela pose un problème de maintien de l’expertise. EDF est très inquiet, car elle doit renouveler 40% de ses effectifs sur les 5 à 10 ans qui viennent. Il risque d’y avoir de vraies lacunes dans la transmission du savoir et des compétences, cela va renforcer la sous-traitance, et fragiliser tout l’édifice.

Quelles différences voyez-vous entre le débat français polarisé avec celui qui a eu cours en Allemagne ?

En Allemagne, le mouvement anti-nucléaire a toujours été très fort au sein de l’opinion publique. Le bras de fer est aussi différent, car la structure de la production est différente. On risque de se faire doubler par les Allemands sur la filière, parce que si l’on prend comme hypothèse un rapide déclin de cette industrie, ils auront la maîtrise du démantèlement des centrales. C’est une question de volonté politique.

 

 

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