Belgique : enfer de la fiscalité du travail ?
publié le 2012-02-20
Après le Danemark et la Suède, c’est en Belgique que la pression fiscale et parafiscale en pourcentage du PIB est la plus importante. La Belgique fait également partie des pays où les coûts salariaux sont les plus importants par rapport à la moyenne des pays voisins. Le Conseil central de l’économie chiffre l’écart à 4% par rapport à la situation en France, en Allemagne et aux Pays-Bas.
Cet état de fait, régulièrement dénoncé par le patronat, tiendrait en grande partie à l’importance des prélèvements sociaux (impôts + cotisations sociales). Ceux-ci y représenteraient en effet, en moyenne, plus de 50% du salaire. Une des plus hautes proportions des pays de l’OCDE.
C’est d’autant plus surprenant qu’en terme de dépenses sociales, la Belgique se situe cette fois dans la moyenne européenne. L’importance des prélèvements ne s’y explique donc pas par une couverture sociale particulièrement étendue. Pour Pierre Reman, économiste à l’Université de Louvain, l’explication tient avant tout aux choix politiques posés par la Belgique. Tout d’abord, historiquement, celle-ci a opté pour un système de sécurité sociale de type « bismarckien » – à l’instar de la France ou de l’Allemagne – reposant principalement sur l’activité professionnelle. Ailleurs, des pays comme l’Irlande, l’Angleterre la Suède ou le Danemark ont fondé leur système sur une solidarité nationale financée par l’impôt. Au Danemark, par exemple, les cotisations sociales sont deux fois moindres qu’en Belgique, mais les subventions de l’État sont deux fois plus importantes. Au total, les cotisations sociales en Belgique représentent 64 % des recettes totales de la sécurité sociale alors que dans l’UE 15, ce pourcentage est de 57,5%. À l’inverse, les recettes venant des pouvoirs publics sont de 33,5% en Belgique, mais de 38,5% dans l’UE 15.
Mais l’économiste belge souligne également le déséquilibre existant en Belgique entre la fiscalité qui pèse sur le travail et celle que supportent d’autres formes de revenus, notamment les revenus de la propriété, qui ne contribuent pas au financement de la protection sociale. À ce sujet, une dirigeante syndicale a d’ailleurs récemment qualifié le pays « d’enfer fiscal pour les travailleurs, mais de paradis fiscal pour les plus fortunés ». Dans sa ligne de mire, le système des « intérêts notionnels », qui permet à une entreprise comme Arcelor-Mittal de ne payer que quelques centaines d’euros d’impôts malgré des bénéfices de plus d’un milliard d’euros. Elle évoquait également l’absence d’impôt sur la fortune ou encore sur les plus-values boursières. Autant de dispositions qui expliqueraient que les revenus du capital ne contribuent qu’à 16% des recettes fiscales en Belgique, contre 70% pour les impôts supportés par les ménages (impôt sur les personnes physiques, TVA et accises (alcool et tabac)). Et ceci alors que la part des salaires dans le PIB est passée de 57% à 50% durant les trente dernières années…
Pourtant, jusqu’à présent, c’est bien l’augmentation des impôts indirects qui a été privilégiée pour financer les baisses de cotisations patronales destinées à stimuler la compétitivité des entreprises belges. Sans que les résultats soient toujours au rendez-vous. Si l’on en croit le Bureau Fédéral du Plan (BFP), entre 2000 et 2005, les réductions ont été utilisées « non pas pour limiter l’évolution des coûts de production, mais pour accroître la rémunération relative du facteur capital ». Par ailleurs, Mr Reman rappelle que la compétitivité-coût n’est qu’un des aspects de la compétitivité des entreprises. Qui n’est elle-même qu’un des facteurs pouvant expliquer le chômage élevé en Belgique, principal défi posé à son système de sécurité sociale. Et de citer l’exemple de la Wallonie, dont les salaires sont inférieurs à ceux de la Flandre et qui souffre pourtant d’un taux de chômage nettement supérieur. On ne peut comprendre cela qu’en tenant compte de la productivité, c’est-à-dire du coût salarial par unité produite.
À l’index
Une autre spécificité belge, faisant régulièrement l’objet de critiques, est son mécanisme d’indexation automatique des salaires. Accusé d’entrainer une dérive des coûts salariaux et d’induire des pressions inflationnistes, il fut récemment mis en cause par la Commission Européenne et quelques élus du Royaume. Le tollé suscité par ces déclarations a toutefois rappelé l’importance attachée à ce dispositif dans le modèle de concertation sociale belge. Un « tabou » d’autant plus tenace que toutes les critiques ne sont pas fondées. « Dans les pays où il n’y a pas d’indexation automatique, les salaires augmentent tout de même, explique Pierre Reman. Ils augmentent par la négociation collective sectorielle ou d’entreprise. En Belgique, cette négociation se fait simplement sur une partie infime puisqu’on négocie hors index. C’est un choix. Il s’agit de faire en sorte que les disparités entre entreprises, secteurs et régions ne soient pas trop importantes. L’indexation a une fonction de cohésion industrielle et sociale ». Quant aux reproches concernant ses conséquences inflationnistes, M. Reman les nuance également. « C’est parce que les prix augmentent que les salaires augmentent, pas l’inverse ».
Les débats sur l’indexation ne pointent pas tant sur son principe (du moins pour l’instant), que sur son application. Les aménagements se sont d’ailleurs multipliés ces dernières décennies pour en limiter l’effet haussier, à l’image des « sauts d’index » ou du retrait de certaines substances nocives (alcool, tabac) de son calcul. Mais il existe également des revendications visant à le rendre plus équitable. On parle par exemple de taux différenciés en fonction des revenus ou encore d’une composition des paniers de références qui reflèterait mieux les disparités entre les habitudes de consommation des différentes catégories de population.
Dès lors, au-delà du consensus actuel sur le maintien du mécanisme, les luttes politiques entourant son évolution future seront bien réelles.
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