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La pluriactivité,  de l’antiquité au XXIè siècle

publié le 2013-06-07

Ils existaient déjà dans la « haute antiquité ». Depuis, ils ont pas mal changé mais ils sont toujours bien présents. Les pluriactifs ont connu des hauts et des bas au cours de l’Histoire, tout en fournissant maints exemples de l’ingéniosité humaine. Bien sûr le travail de la terre a été longtemps leur principale occupation (c’était le cas pour des prêtres-laboureurs autour de l’an mil) mais pas uniquement (des instituteurs étaient aussi maçons ou cordonniers au 17e siècle). Dans son « Histoire de la pluriactivité », Jean-François Boudy montre comment cette forme d’emploi a fluctué en fonction des évolutions techniques certes, mais aussi juridiques, démographiques, organisationnelles, politiques.

 

 

Pluriactivité 2

Par exemple, le remplacement des corvées par des redevances a poussé, pour s’en acquitter, les petits propriétaires à effectuer des travaux dans des domaines voisins. La Révolution a institué le partage égalitaire des héritages, ce qui a éparpillé les exploitations, et, comme la poussée démographique était alors forte, de nombreux micro-exploitants ont dû chercher un travail d’appoint. Et au 19e siècle, le développement d’ateliers disséminés dans les campagnes et travaillant sur commande pour un marchand-entrepreneur a fourni aux ruraux une partie de leurs ressources.

 

Globalement, et contrairement à ce qu’on pourrait croire, « les pratiques pluriactives relèvent rarement du fil de l’eau ». Elles procèdent de stratégies familiales qui définissent un projet commun et ses règles de fonctionnement. Les personnes concernées cherchent aussi à se regrouper (collectifs, coopératives). Les solidarités locales ont longtemps joué un rôle essentiel en la matière mais leur importance a fortement reculé avec le temps.

 

La révolution industrielle va porter un coup à la pluriactivité : l’emploi intensif des machines nécessite la présence d’un personnel permanent en nombre suffisant. La norme de l’emploi « monoactif, permanent et à temps plein » s’impose. Le coup ne sera pas mortel, mais les intéressés ont aujourd’hui changé de profil. En effet, en 2005, les trois quarts des salariés et non salariés exerçant plusieurs métiers ont leur activité principale dans le tertiaire. Souvent, ils souhaitent avoir des types d’emploi proches l’un de l’autre afin d’enrichir leurs compétences.

 

Un terreau d’idées et de propositions

 

Le chapitre consacré à l’histoire des idées appliquées à la pluriactivité montre que celle-ci a été un terreau de propositions et de controverses. Ainsi si Thomas More préconise l’apprentissage d’un métier à côté de celui d’agriculteur, Jaurès voit cette dualité d’un mauvais œil car l’activité complémentaire du paysan risque de ne lui rapporter qu’une rémunération « au rabais ». Et Kautsky enfonce le clou en affirmant que « le paysan est le plus souvent un mauvais artisan et l’artisan un mauvais paysan. »

Question essentielle : la pluriactivité correspond-elle au maintien de structures passéistes ou indique-t-elle une voie d’avenir ? Son rôle conservateur, corrélé à un immobilisme social, est souvent souligné (… et apprécié, notamment par l’ingénieur et sociologue Le Play), mais elle apparaît aussi, pour certains, comme une voie possible pour dépasser l’organisation capitaliste du travail.

D’où l’idée – pas facile à réaliser – d’utiliser  la pluriactivité comme un antidote à la division du travail en l’articulant à celle-ci . Au 19e siècle, la possibilité de cette articulation a été suggérée et largement étudiée, notamment par Kropotkine, Fourier, l’anglais Owen. Pour le socialiste allemand Lassalle, la division du travail est indispensable à l’accroissement de la prospérité générale, mais la pluriactivité doit en corriger les défauts.

 

Est-ce la difficulté à mettre ce binôme en œuvre ?… En tout cas ces interrogations  et propositions ont été bien moins nombreuses au début du 20e siècle avant de revenir dans le débat public à partir des années soixante-dix avec les réflexions sur le contenu et l’avenir du travail, sur les formes que peut revêtir l’activité, sur les possibilités de dépasser le productivisme, voire de sortir partiellement des règles du capitalisme. Et ces recherches restent d’actualité. Par exemple, le programme des Verts pour les législatives de 2002 affirmait : « Nous sommes favorables à ce que la possibilité soit ouverte, à ceux qui le souhaitent, d’exercer simultanément plusieurs activités. »

 

Une composante de la société à venir ?

 

Jean-François Boudy voit donc dans la pluriactivité une pratique « venue du fond des âges », mais pouvant aussi être « une composante de la société à venir ». Parmi les idées allant dans ce sens il cite le développement d’une économie sociale ou solidaire où l’emploi salarié et ses avantages s’accompagnent d’autres activités collectives et individuelles.  Ou encore la création de cellules de vie et de production « à taille humaine » où l’on peut « vivre et travailler autrement » en s’appuyant sur de nouvelles technologies (par exemple, à la campagne, les biotechnologies et la production d’énergie verte). Mais est-ce suffisant pour réformer le système capitaliste… ou en sortir ? Et pour transformer un style de vie en stratégie économique ? Ces questions, stimulantes, restent posées.

 

Au passage, l’auteur reconnaît à la pluriactivité deux impacts relativement récents : une contribution à l’émancipation des femmes en milieu agricole (activité complémentaire d’hébergement et de restauration à la ferme, développement du travail à l’extérieur…) et la persistance d’une mentalité paysanne dans une partie du monde ouvrier.  Ce dernier point est souligné par une citation de l’historienne Rolande Trempé : «On ne peut s’empêcher de rapprocher la psychologie et le comportement des jeunes ouvriers des années 1960 et suivantes, dont beaucoup arrivaient des campagnes massivement désertées à cette époque, de ceux des jeunes ouvriers du siècle précédent, tout juste arrachés eux aussi à leur village. Bien des traits leur sont communs et jettent un jour neuf pour expliquer certaines actions dites sauvages ou certains comportements anarchiques face à la discipline du travail et du syndicat. »

 

Histoire de la pluriactivité – Du polisseur de pierres au webmaster, de Jean-Fançois Boudy – L’Harmattan

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