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par Blanca Jiménez Garcia

Au terme d’une enquête sur la double discrimination, l’association L’autre Cercle  conclut qu’un individu homosexuel et d’origine ethnique minoritaire risque de subir une discrimination d’abord du fait de son origine plutôt qu’en raison de son orientation sexuelle. Metis livre ici le verbatim de quelques-uns des témoignages recueillis par cette association LGBT (Lesbienne Gay Bi et Trans) dont l’objet principal est de lutter contre les discriminations dans le monde du travail.

 

 

double discrimination

Etre arabe et lesbienne

Sofia, 22 ans, est originaire d’Afrique du Nord et travaille avec des enfants : « au travail, personne ne le sait et c’est très bien comme ça. Lesbienne à la limite, le gars il ne le sait pas. Mais beurette, il me voit et il a le culot de sortir une blague sur les arabes, ça me saoule ça. Si je commence à la ramener, ils vont se douter que je suis lesbienne. Regarde là par exemple, les gens sont tellement cons qu’ils pourraient croire que parce que je suis lesbienne je suis pédophile ».

 

Samira a 44 ans. Tunisienne d’origine, elle a dit avoir beaucoup souffert de cacher son orientation sexuelle : « J’avais peur d’être vulnérable si c’était su. On sait que je suis arabe, donc quand ils parlent mal des arabes, je les reprends, ils me disent « toi ce n’est pas pareil. Maintenant je suis visible… devant, ils ne disent rien, derrière je ne sais pas. J’ai l’impression que je peux avoir plus de soucis par rapport à mon origine que par rapport à mon homosexualité. Aller chez les flics, cela me terrorise. Les choses avancent mais je suis inquiète du retour du religieux. Je ne veux pas travailler dans une grosse boîte, car je sais que là il y a le phénomène de groupe… il faut être comme la majorité, adaptation au groupe… dans un grand groupe c’est là que je me sentirais le plus discriminée et pour mon origine et pour mon homosexualité ».

 

Vous avez dit diversité ?

Originaire du Sénégal, Didier, 32 ans n’est pas visible. « Le fait d’avoir un enfant fait que les gens ne se posent pas la question puisque je ne suis pas efféminé. Cela me pèse de plus en plus car j’ai envie d’être vrai, cela m’handicape dans mon travail, envie de démarrer autre chose tranquille, d’être épanoui. C’est peut-être lié à l’âge de ne plus vouloir jouer, cela pèse sur mes journées, c’est de l’énergie que je gâche. Vivant en France au niveau professionnel : noir + homo c’est très lourd à gérer… en tant que noir on peut être brillant et apprécié pour les postes techniques. Mais pas pour un poste de management, de responsabilité. Etre noir c’est dur, alors en plus être homo ce n’est pas envisageable. Depuis que j’ai mis ma photo sur mes CV, j’ai 80 % de chute des retours… sans la photo j’avais des entretiens, et surprise au rendez-vous. Avec la photo, je n’ai plus d’entretiens. Les entreprises qui prônent la diversité c’est de l’hypocrisie. Un ingénieur oui, mais pas si c’est pour diriger ou encadrer des ingénieurs. Un noir ne dirige pas des blancs. »

 

Arnaud, 34 ans, vient lui des Antilles. « Je n’étais plus le bon noir. Un Antillais, ça va. Un Antillais qui milite, ça ne va plus du tout » Il est beaucoup plus facile de discriminer un noir qu’un homosexuel. Si vous voulez lui refuser un emploi, c’est bien le noir qu’on verra, l’homosexuel, ça ne se voit pas forcément. Je crois que les homosexuels sont plus stigmatisés et que les noirs sont plus discriminés. Encore une fois, ce n’est pas pour faire une hiérarchie. Je ne sais pas du tout ce que je préfère. Mais je dis simplement que ce ne sont pas du tout les même phénomènes, pas du tout les mêmes logiques qu’on va utiliser dans un cas et dans l’autre ».

 

« Je ne le dirai jamais au travail »

Florent a 40 ans. Originaire du Vietnam, il livre lui aussi son témoignage. « En prépa, il y a des Français qui ont appris que j’avais grandi dans les rizières, ils me demandaient comment j’avais réussi à être là ? Soit j’étais un super génie, soit j’étais pistonné, ce n’était pas naturel. Je sais qu’il faut faire attention, je sais qu’il y a un délit de faciès pas aussi marqué que ça envers les asiatiques, mais je travaille dans une nouvelle équipe avec des Français pure souche, des hétéros qui étalent leur vie privée… C’est oppressant par moment, je sors me balader et je me dis, ce serait toute de même plus simple d’être comme les autres, d’avoir des enfants… Par contre je fais le travail comme eux, je suis payé pour faire un travail, je me suis adapté et je sais que je ne le dirais jamais au travail, même dans 10 ans ». Il hésite à faire part de son homosexualité : « J’ai surtout peur que cela pourrait être utilisé contre… Une promotion, à compétences égales, je sais que cela serait un désavantage ».

 

Un double plafond de verre ?

C’est ce que ressent Maria, 43 ans et Cap Verdienne d’origine. « A Alfortville, j’ai vécu tous les jours du racisme : A Paris j’appartiens à une classe, à Alfortville j’appartiens à une race. Je vis surtout la discrimination à cause de mon origine, les autres pas tant que ça. En tant que lesbienne, je ne le dis pas, mais cela se voit. Je me suis protégée, car le fait de me mettre en position de victime n’est pas un facteur qui pouvait m’aider à avancer. Maintenant je suis une grande fille, je ne laisse pas arriver les choses à moi, je ne laisse pas la place. J’ai senti le plafond de verre Femme et Noire ».

 

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