par Daniel Crezyd
C’est une équipe de choc qui force le respect de la corporation. Trois amis associés qui dirigent ensemble cette start-up, ‘’VP » créée un an auparavant. Trois trentenaires brillants, travailleurs, fonceurs et très ambitieux. Le trinôme a simplement décidé de créer un leader mondial dans son secteur, la vente sur Internet. Autour d’eux, on a vraiment envie d’y croire. Dans le petit monde des start-ups parisiennes, l’équipe de VP impressionne autant par sa détermination que par les challenges qu’elle se fixe et sa capacité à réaliser des prouesses. Rien ne parait lui résister.
La croissance est rapide alors que le choix initial est respecté : pas d’emprunt, pas d’investisseur, pas de business angel. VP appartient entièrement à ses fondateurs, démarre son existence avec les trois sous qu’ils y placent, et se développe avec ce qu’elle gagne. Et ça marche. Les contrats sont là, l’entreprise grossit rapidement, la cadence des recrutements ne faiblit pas. Un déménagement vers de nouveaux locaux, fastueux, est prévu. Ils pourront accueillir une centaine de collaborateurs ce qui correspond à l’effectif que le trinôme prévoit dans un futur proche.
Le succès attire les regards, le tout Paris du numérique découvre la pépite. En ces temps de morosité, le moral d’acier de son équipe de choc impressionne et rassure. Un conseiller d’un gros cabinet ministériel découvre VP et s’enthousiasme. Il pourra les aider si nécessaire.
Ce sera le cas. A l’été 2013, l’URSSAF réclame quelques dizaines de milliers d’Euros à VP. Un oubli de la part des dirigeants sans doute, mais rien de bien grave compte tenu du chiffre d’affaire de l’entreprise et de ses perspectives. C’est ce qu’estime le trinôme très serein avant la réunion avec le responsable de leur dossier à l’URSSAF. Mais ce dernier ne fera pas preuve de la souplesse espérée et l’entreprise est placée en redressement judiciaire.
Le choc est rude pour l’équipe, très vexée par l’affaire. On fait appel au conseiller du cabinet ministériel qui répond sans délai et apporte le plein soutien de son ministre. Mais l’effet obtenu auprès du président du tribunal de commerce est à l’inverse de celui escompté. Le magistrat n’apprécie pas l’intervention politique et le fait savoir. Le redressement commence dans les pires conditions avec l’administrateur judiciaire. L’équipe, qui n’est pas plus encartée à gauche qu’à droite, va se battre pour la survie de VP mais elle se heurte à un mur.
Et pourtant les clients sont là et ne lâchent pas la start-up en dépit de ses problèmes. Parmi eux, un poids lourd du CAC 40 très présent à l’international et qui n’est pas avare de bons conseils. ‘’Il faut vous domicilier ailleurs, vous n’y arriverez pas en France, et il faut jouer sur les avantages de la mondialisation : prendre dans chaque pays ce qu’il y a de bon et non pas rechercher à être fidèle à un seul : le cadre juridique à Dubaï par exemple, les ouvriers en Chine et les ingénieurs en France… »
Lassés par plusieurs mois d’efforts plutôt fructueux mais sans aucun effet sur l’attitude de l’administrateur judiciaire qui a bloqué les comptes, le trinôme abandonne la partie. La liquidation est prononcée. VP a-t-elle entièrement disparue ? Certainement pas, les trois amis ne manquent ni d’énergie ni d’ambition après ce qu’ils considèrent comme une péripétie regrettable mais certainement pas dramatique. En revanche, il est certain qu’elle renaîtra sous un avatar assez différent du précédent.
Pour ceux qui suivent la création d’entreprises, l’histoire de VP n’a rien de surprenante. Tout d’abord parce que l’existence des start-ups est liée au pari qu’elles prennent sur une innovation, ce qui par définition s’accompagne d’un risque important. La plupart de ces jeunes entreprises à fort potentiel de croissance est vouée à disparaître rapidement. Beaucoup d’appelés mais peu d’élus, c’est dans l’ordre des choses du monde de ces jeunes pousses.
Ensuite parce que les facteurs cliniques de la mort de VP sont classiques. Les start-ups ne meurent pas car elles n’ont plus d’argent, bien que ce soit toujours la raison évoquée. En réalité, les start-ups meurent lorsque les fondateurs baissent les bras, ce qui a été le cas.
Ceci dit, nous sommes nombreux à considérer que VP aurait du vivre. Il est en effet rare de voir une entreprise si bien partie : l’équipe dirigeante et sa stratégie étaient particulièrement solides, les clients et les contrats n’ont pas fait défaut, le marché, celui du commerce en ligne haut de gamme, est prometteur. Les quelques petites erreurs de gestion ou d’attitude de VP ne méritaient probablement pas la mise à mort qu’ont décidé le tribunal de commerce et son mandataire.
Fleur Pellerin : « La France doit s’affirmer comme une start-up nation »
Ainsi que l’indique Fleur Pellerin ‘’Les emplois de demain ne seront pas créés par les entreprises d’aujourd’hui. Aux Etats-Unis, les start-ups créent 3 millions d’emplois chaque année. Les nouvelles technologies y sont responsables de deux tiers des créations d’emplois depuis cinq ou six ans. Dans la lutte pour l’emploi et la compétitivité, nous devons donner la priorité aux entreprises à forte croissance. »
Mais plus encore que le constat d’une probable injustice, il y a celui, plus général, de la difficulté à réussir ce type d’aventure dans notre pays. Les success stories à la française sont rares, bien trop rares, et trop souvent en demi-teinte lorsqu’elles se concluent par un rachat effectué par l’un des ogres américains d’internet. Nous avons en France beaucoup de start-ups mais aucun champion capable d’exister sur la scène internationale. On peut évidemment s’en désoler, mais voyons le bon coté des choses, en dépit des difficultés souvent considérables qui s’imposent à ces jeunes pousses et des très maigres chances de réussite, il y a encore des volontaires pour créer des start-ups dans ce pays. L’énergie est là, et c’est sans doute l’essentiel. Il est cependant urgent de faire en sorte qu’elle soit féconde.
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