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par Gérard Mermet

A l’occasion de la parution du livre de Gérard Mermet Réinventer la France, Manifeste pour une Démocratie Positive, un sondage a été commandé par l’éditeur à l’institut Harris Interactive. En voici les principaux résultats, commentés par l’auteur.

 

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Le modèle républicain en panne

La première question posée aux Français dans le sondage concernait leur perception des « valeurs de la devise de la République ». Si une courte majorité (56%) estime que la liberté est « très ou plutôt bien appliquée » dans le pays (43% sont de l’avis contraire), la proportion très faible en ce qui concerne les deux autres valeurs : 23% pour la fraternité (75% de l’avis contraire) ; 19% pour l’égalité (80% de l’avis contraire).

 

Un pays qui a aussi peu confiance dans son modèle fondateur est profondément malade. La France est devenue aujourd’hui une non-société. Elle souffre d’anomie, c’est-à-dire d’absence d’un système de valeurs partagé permettant de faire vivre ensemble ses différentes composantes. Si l’on ajoute à cette anomie sociale l’anémie économique (stagnation de l’activité, chômage, surendettement, déficits publics…), la situation est objectivement inquiétante, même si l’on ne se range pas dans le camp des « déclinistes. On constate sans surprise que ce sont les personnes qui se sentent le plus vulnérables qui dénoncent le plus fortement les dérives du modèle républicain. Cette montée du ressentiment est potentiellement explosive.

 

Démocratie : la France coupée en deux

Le sondage montre que seuls 51% des Français considèrent que « la démocratie fonctionne de façon satisfaisante en France » (5% « tout à fait » d’accord et 46% « plutôt »). 47% sont de l’avis contraire (37% « plutôt pas » et 12% « pas du tout »).

 

Le sentiment d’un bon fonctionnement de la démocratie est la condition de la réussite de la vie collective. Il n’est partagé que par la moitié des Français, majoritairement proches de la gauche, et sans doute du bout des lèvres si l’on en juge par la colère et le doute qui les ont gagnés. Une proportion très insuffisante à un moment où la France a tant besoin de se redresser, de s’adapter à son époque en mettant en œuvre des réformes de fond. Ce déficit de démocratie apparaît comme une explication du manque de confiance actuel dans les « élites », qu’elles soient politiques, économiques ou sociales. C’est donc en refondant d’abord la démocratie que l’on pourra réinventer la France.

 

Le pouvoir aux citoyens

83% des Français interrogés estiment qu’il faudrait « donner davantage de pouvoir aux citoyens afin d’améliorer le fonctionnement de la démocratie ». 56% en donneraient plus aux experts (scientifiques, économistes, urbanistes…), 38% aux organisations syndicales de salariés, 17% aux syndicats patronaux et 14% aux responsables politiques.

 

Les chiffres sont éloquents. Les citoyens ressentent un très fort besoin de peser davantage dans le processus démocratique, afin de prendre en main leur destinée collective plutôt que subir. C’est une excellente nouvelle, à condition que leur participation soit à la fois encouragée et encadrée. Ils souhaitent en majorité être aidés dans cette tâche par des experts, sous réserve que ceux-ci soient objectifs (c’est-à-dire non suspects de conflits d’intérêts) et compétents (une qualité difficile à reconnaître en présence de convictions opposées de la part d’experts a priori tous également légitimes…).

 

Les Français ont aussi compris que les syndicats doivent être plus forts, ce qui implique qu’ils soient davantage représentatifs et moins politisés. Les syndicats patronaux souffrent, eux, d’une méfiance quasi culturelle, accrue par la révélation de certaines pratiques jugées indécentes, notamment en matière de rémunération, depuis le début de la crise économique et financière. Quant aux responsables politiques, ils jouent eux aussi le rôle de boucs émissaires, du fait de la dégradation de la situation nationale, des promesses non tenues et des « affaires » qui défraient régulièrement l’actualité. Ils paient aussi le prix d’un manque de pédagogie, d’imagination et de courage.

 

Une envie d’intervenir à tous les stades du processus démocratique

En cohérence avec leur souhait d’un transfert de pouvoir aux citoyens, 84% des Français déclarent souhaiter (beaucoup ou plutôt) « participer davantage aux processus d’élaboration des politiques publiques », en « contrôlant la mise en œuvre des politiques et en jugeant de leur efficacité » (16% non). 83% souhaiteraient le faire en « choisissant entre différentes propositions issues de ces concertations » (15% non). 81% seraient prêts à « expérimenter de nouveaux modes de participation démocratique (vote électronique, référendum d’initiative populaire, budget municipal collaboratif…) » (19% non). 75% seraient d’accord pour « répondre à des consultations, forums et autres formes de concertation publique (dans le « monde réel » ou sur Internet) » (24% non). Enfin, 69% pourraient « proposer des idées en vue de l’élaboration de ces politiques publiques » (30% non).

 

Les tris croisés de l’enquête montrent que les plus motivés sont ceux qui sont a priori les mieux préparés à ces pratiques collaboratives, par leur éducation, leur statut social, leur expérience, ce qui n’est guère étonnant. Mais les plus modestes et les plus vulnérables sont aussi très majoritairement disposés à s’impliquer. Cela représente pour eux une formidable opportunité d’intégration ou de ré-intégration. Et de progrès pour le pays, car les bonnes idées d’adaptation, de gouvernance et de justice ne sont pas seulement à trouver chez les mieux lotis en matière culturelle.

 

Même s’ils ne mesurent que des intentions, ces chiffres sont impressionnants et encourageants : sept à huit citoyens sur dix pourraient jouer un rôle plus important pour s’impliquer davantage dans le processus démocratique. Cela démontre à la fois leur insatisfaction actuelle et leur potentiel de mobilisation. Ils se disent aussi prêts à expérimenter des pratiques nouvelles de collaboration. Or, il se trouve que les technologies numériques leur fournissent des moyens totalement inédits en la matière, avec les réseaux sociaux, blogs, forums et autres possibilités d’échange entre « pairs ».

 

L’enquête conforte ainsi l’idée que l’on pourrait avantageusement remplacer le principe de précaution par un principe d’expérimentation. Elle montre aussi la nécessité de transformer la relation entre l’État et les citoyens, afin que ces derniers puissent être parties prenantes des réformes. Tout cela va indéniablement dans le sens de la création d’une « démocratie positive », qui permettrait aux citoyens de s’approprier les réformes en collaborant dès l’amont à leur préparation. Ce serait aussi une façon de faciliter en aval leur mise en place.

 

Pour en savoir plus 

Le sondage a été réalisé sur Internet par l’institut Harris Interactive, du 10 au 12 décembre 2013, auprès d’un échantillon de 983 personnes, représentatif de la population française de 18 ans et plus.

 

A propos de l’auteur

Sociologue, directeur du cabinet d’étude et de conseil Francoscopie, spécialiste de l’analyse du changement social;. Gérard Mermet est l’auteur de nombreux ouvrages sur la société française, dont Francoscopie, publié régulièrement depuis 1985 chez Larousse (l’édition 2013 est la quatorzième). Pour plus d’informations, cliquez ici. 

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