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par Albane Flamant

Parler des réseaux de femmes en entreprise, c’est une chose, mais qu’en est-il de leur réalité quotidienne ? Cette semaine, Metis s’est entretenu avec Elisabeth Vuillaume, secrétaire générale du réseau Interp’Elles au sein du groupe EDF.

 

Elisabeth Vuillaume

Comment le réseau Interp’Elles s’est-il développé au sein du groupe EDF ?

Le réseau existe depuis 2004 et a été crée à l’origine par des dirigeantes pour des dirigeantes, dans le but de créer un espace d’échanges. Actuellement, 16% de nos dirigeants sont des femmes. A l’époque elles étaient encore moins nombreuses et avaient besoin de pouvoir se rencontrer et se parler. Le réseau est maintenant ouvert à toutes les femmes, quel que soit leur niveau hiérarchique, mais aussi aux hommes. Fin 2011, Marianne Laigneau, la DRH du groupe EDF et membre du Comex, qui est aussi notre marraine, a décidé de créer un poste temps plein de secrétaire générale pour développer le réseau et faire en sorte qu’il contribue à la mixité et à la performance des femmes dans l’entreprise. C’est ce poste que j’occupe depuis maintenant plus de deux ans. Nous avons aussi un parrain, qui fait partie du comité exécutif d’EDF, Hervé Machenaud. La singularité de notre réseau est que nous sommes un réseau indépendant et que nous bénéficions d’un budget pour mettre en œuvre notre plan d’action.

 

Quelles sont les motivations de vos nouvelles adhérentes ? Que leur apporte votre réseau ?

Nos membres nous rejoignent soit à la suite d’une réunion d’information, soit grâce au bouche à oreilles. C’est un acte réfléchi et elles s’engagent à respecter notre charte. Je crois qu’elles ont besoin de ce temps d’échanges et de partage. Par nos actions et notre état d’esprit basé sur la bienveillance et la convivialité, nous aidons nos membres à être actrices de leur vie professionnelle. Notre objectif est de les aider à prendre conscience de leur valeur et de leur performance et de savoir les valoriser. Nous leur proposons de travailler sur elles mêmes pour les amener à mieux se connaître, à avoir conscience de ce qui les motive, de ce qui les freine, du relationnel qu’elles génèrent…

 

Quand une femme est membre du réseau, quel niveau d’engagement cela représente-t-il ?

C’est un peu à la carte, elles participent à ce qu’elles veulent. Nous proposons du mentorat, du coaching en groupe, des ateliers de développement personnel, des conférences, des rencontres thématiques…. Nous organisons également une journée nationale annuelle qui réunit 300 membres de toutes les régions. Pour être au plus près de nos membres, nous avons des animatrices dans les plus grands bassins d’emploi et dans toutes les régions, même si la majorité de nos membres est en Île de France. Les rencontres thématiques sont des opportunités de rencontres et de débat avec d’autres réseaux comme Areva, Air Liquide ou General Electric. Avec nos conférences nous espérons attirer les hommes et donner aux femmes l’opportunité de sortir de leur quotidien, de s’ouvrir l’esprit et d’élargir leur champ de réflexion.

 

Quels résultats avez-vous obtenu au cours de vos dix ans d’existence ?

Au cours des dernières années, nous avons eu toutes sortes de petites victoires. Une des plus évidentes a été l’augmentation conséquente du nombre de membres: en l’espace de 2 ans, nous sommes passées de 750 membres à plus de 1700. Cela représente approximativement 20% des femmes cadres au sein du groupe EDF. En région, nous sommes également passées de quatre réseaux à dix réseaux. On le voit aussi à chaque fois que nous organisons des événements: nos taux de participations sont incroyables. Nous mettons régulièrement en place des ateliers de développement personnel de 12-15 personnes, et en moins d’une demi-heure ils se remplissent. Nous nous retrouvons avec des listes d’attente de 80 personnes. De plus en plus de dirigeants, hommes ou femmes, participent à nos évènements et nous encouragent.

 

Quelles sont vos relations avec le management, la RH, les syndicats? Avez-vous des relations avec d’autres réseaux de femmes ?

On travaille avec la RH, mais plutôt sous formes d’échanges, d’information. Quand nous avons commencé à monter un think tank par exemple, nous leur avons fait part de nos réflexions et de nos propositions. L’année dernière, nous nous sommes également rendu compte qu’il y avait plusieurs membres de notre réseau qui avaient un projet de mobilité, mais qui ne savaient pas comment s’y prendre. Nous avons donc mis en place avec l’aide de la RH un forum de la mobilité pour établir une connexion entre les membres et les conseillers mobilité de l’entreprise.

 

Notre rôle avec le management est de porter la bonne parole. On prend notre bâton de pèlerin et on va voir les dirigeants pour leur faire comprendre la réalité quotidienne des femmes dans l’entreprise, sans faire du féminisme revendicatif. Nous avons aussi un rôle d’alerte. L’année dernière, nous avons par exemple démontré à une direction qu’elle allait avoir un manque de dirigeantes dans les années à venir. Suite à notre présentation, cette direction a mis en place un plan d’action spécifique qui porte déjà ses fruits.

 

Nous n’avons pas de relation avec les syndicats. Nous ne sommes ni sur le même objet ni sur le même périmètre.

 

Nous avons beaucoup de contacts avec des réseaux similaires dans d’autres entreprises. C’est fondamental de partager nos bonnes pratiques, de se « nourrir » mutuellement mais aussi de renforcer, toutes ensemble, notre influence. Nous avons participé au colloque Interelles pendant plus de 10 ans. Certaines entreprises qui veulent créer leur propre réseau de femmes nous demandent conseil. Nous l’avons fait aussi précédemment. Dans notre contribution au développement de la mixité, le collectif est une force.

 

Comment réagissent les hommes du groupe EDF vis-à-vis des activités de votre réseau ?

On a deux types de réactions : il y a ceux qui sont très partisans, qui interviennent dans nos conférences, qui nous ouvrent des portes. Et puis il y a ceux qui sont dans le politiquement correct, ou qui sont un peu plus frileux par rapport à ce que nous défendons. C’est pour cette raison que nous faisons extrêmement attention à que l’on fait pour ne pas tomber dans la stigmatisation. Notre réseau est ouvert aux hommes depuis deux ans, et nous avons maintenant quelques membres masculins, mais 98% de nos membres restent encore des femmes. Par contre, nous avons beaucoup de participants masculins dans nos réunions nationales. Ce qu’on dit souvent aux hommes, c’est ceci: « Messieurs, nous avons besoin de vous pour nous aider à prendre toute notre place. »

 

Justement, par rapport à cela, quelle est votre opinion sur les politiques de quotas ?

En tant que réseau, nous n’avons pas de politique affichée par rapport aux quotas. Chez EDF, on parle plutôt de pourcentage d’augmentation. Maintenant, à titre personnel, je pense que lorsqu’on a un changement profond à faire, il est parfois nécessaire d’enclencher le mouvement à travers certaines orientations. Cela ne doit être qu’une mesure temporaire, mais à notre époque je crois que les quotas peuvent encore nous aider. Ceux ou celles qui ne sont pas gênés par les quotas sont souvent les plus aidants.

 

Mais ne nous leurrons pas: les quotas ne suffisent pas. Il est important d’ébranler les stéréotypes en montrant que les femmes ont la même volonté de faire carrière que les hommes ( nous avons fait une enquête interne qui l’a mis en exergue). Il nous faut aussi aider les femmes à prendre conscience de leur valeur et de leurs compétences pour se lancer, pour prendre des risques, sortir de leur zone de confort et oser manager. Enfin il nous faut rester en alerte sur le niveau de féminisation et sur son évolution.

 

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