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par Morgane Khueni

Remettre les chômeurs au travail est un des objectifs centraux de toute politique de l’emploi. En Suisse, comme dans d’autres pays, les chômeurs longue durée peuvent être placés dans des programmes d’emploi temporaire, une mesure qu’on appelle l’assignation, pour le meilleur ou pour le pire… Metis vous propose ici quelques extraits de l’article de Morgan Kuehni sur cette mesure du marché du travail suisse (MMT). 

 

Suisse

Faisant régulièrement débat tant sur la scène politique que sur la scène médiatique, ces mesures actives sont accusées de manquer d’efficacité et de coûter excessivement cher dans un contexte de restrictions budgétaires (plus de 457 million d’euros par an). La quatrième révision de la loi sur l’assurance chômage, en vigueur depuis le 1er avril 2011, vise explicitement l’assainissement des finances. Chaque année, ce sont en moyenne 40 % des demandeurs et demandeuses d’emploi à qui l’on assigne des mesures actives, dont 13 % qui sont placé(e)s dans des programmes d’emploi temporaire, semestres de motivation ou stages professionnels.

 

Il existe actuellement trois types de mesures : les mesures de formation, les mesures spéciales et les mesures d’emploi. Les programmes d’emploi temporaires, également appelé « programmes d’occupation » ou emplois temporaires subventionnés, sont des mesures d’emploi : ils portent sur des activités proches de la réalité professionnelle, selon les termes officiels, « sans concurrencer l’économie privée ». D’une durée maximale de six mois, ils ne sont pas censés servir d’autres objectifs que la réinsertion professionnelle des assuré(e)s.

 

Mesures actives

Ces mesures ne constituent pas seulement des prestations offertes par les Offices Régionaux de Placement, mais sont également des contreprestations exigibles : le refus d’une mesure active est le motif de sanction et entraine la suspension pour un temps déterminé du droit aux indemnités de chômage. La procédure de placement en mesure active est d’ailleurs nommée « assignation », terme qui marque clairement sa dimension contraignante.

 

D’un point de vue légal, les conditions dans lesquelles s’effectuent les programmes d’emploi temporaire se sont fortement détériorées : aujourd’hui, ils ne donnent plus droit à un salaire (alors que c’était le cas jusqu’en 2000) et ne comptent plus comme une période de cotisation donnant droit à l’ouverture d’un nouveau droit aux indemnités chômage (alors que c’était le cas jusqu’en 1997).

 

Le rapport de l’OCDE paru en 2010 conclut sur le fait que les programmes d’emploi temporaire « se caractérisent par un taux de succès très bas en termes de perspective d’emploi pour les participant(e)s un an après la fin du programme. Parmi les facteurs qui peuvent expliquer ce résultats, citons le moment de l’entrée dans le programme (souvent peu vant la fin du droit au chômage, une période généralement dédiée aux recherches d’emploi intensives), la stigmatisation des personnes concernées et l’effet limité sur leur employabilité, lié au fait que les programmes doivent avoir lieu dans des domaines où il n’y a pas de concurrence avec le secteur privé. »

 

Malgré des résultats peu probants en termes de réinsertion professionnelle, plusieurs études affirment que ces programmes sont bénéfiques pour les demandeurs d’emploi. Flückiger met en avant le « caractère structurant » de ces mesures, Aeppli et alii insistent sur le rôle positif qu’elles peuvent jouer sur « l’estime de soi » ou sur le sentiment de normalisation, Stofer et alii affirment que le principe de la contre-prestation « libère les usagers d’une dette morale » et qu’ils recouvrent par le biais de l’emploi temporaire « un sentiment d’utilité sociale », voir de « fierté ».

 

La majorité des sociologues s’accordent cependant sur le brouillage des frontières entre les catégories d’emploi, de chômage et d’assistance inhérent à la mise en place des politiques d’activation. En suisse, les personnes en emploi temporaire accèdent à un marché du travail que l’on pourrait qualifier de parallèle, soit à des structures d’emploi spécifiques à la périphérie du marché, non soumises à une économie concurrentielle. Ces personnes sont à la fois des chômeuses, tenues légalement de remplir les devoirs et obligations fixées par la Laci, et à la fois travailleuses, subordonnées à un responsable de mesures qui évalue leurs prestation. Cette relation de travail tripartite, formalisée par un « contrat d’objectifs », cumule donc les contraintes liées à une situation d’activité salariée et celles liées à une situation de chômage. De plus, les deux types de prestation ne fonctionnent pas sur le modèle des vases communicants : un investissement fort dans la mesure d’insertion ne peut compenser un manque de recherche d’emploi, et inversement.

 

Loin des discours sur la « fierté retrouvée » ou le sentiment d’utilité socile, l’analyse combinée des vécus du chômage et des vécus du travail en mesure d’insertion met au jour des manières fort hétérogènes de vivre un temps d’assignation. Pour certains hommes qui ont construit leur idendité à l’aune du travail salarié par exemple, ces mesures sont destructurantes et heurtent profondément certains habitus de sexe et de classe. Pour les femmes qui ont des enfants, un temps d’assignation est souvent source d’appauvrissement puisque l’argent déboursé pour la garde ne trouve pas de contrepartie financière? La situatuion d’assignation est donc porteuse d’incertitudes et de vulnérabilités à un triple niveau : celui du monde productif et celui du chômage, mais aussi celui de la sphère privée, et ces trois mondes sont intrinsèquement liés.

 

Les personnes tombent au chômage parce que le marché de l’emploi ne leur offre pas de travail salarié, et le chômage leur assigne un travail qui ne leur garantit pas les conditions attachées à l’emploi. Si les personnes jouent le jeu de l’assignation, c’est parce qu’elles risquent bien plus que des sanctions financières en s’y opposant, elles jouent aussi leur peau où l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. Si les ressorts de l’engagement au travail sont variés, toutes les personnes ne sont pas égales fàce à un temps d’assignation.

 

Références complètes

Morgane Khueni. L’assignation au travail dans le cadre du chômage : focus sur les programmes 

d’emploi temporaire. Chronique internationale de l’IRES – n° 146 – juin 2014

 

Crédit image : CC/Flickr/AdrienneAlix

 

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