Le financement des syndicats en France est un sujet dont on parle beaucoup, mais sur lequel on sait finalement peu de choses. D’où viennent leurs ressources ? Pourquoi diminuent-elles et quelles sont les conséquences de cette évolution sur les relations entre organisations syndicales et employeurs ?
J’ai tout d’abord recherché dans un livre un peu ancien de deux universitaires (Dominique Andolfato et Dominique Labbe. Toujours moins, déclin du syndicalisme à la française. Gallimard, 2009) qui travaillent avec persévérance sur le « syndicalisme à la française », ses réalités et son histoire. Pour comprendre le titre tout d’abord : « Toujours moins », parce qu’en effet face à la dégradation des conditions de travail, à la faiblesse des salariés (du travail donc) face au capital, à la montée vertigineuse des inégalités constatée par Camille Landais dès 2007, et avant Thomas Piketty, « les organisations de salariés ont perdu de leur puissance face à l’Etat et aux organisations d’employeurs. Et ce alors que les ressources des syndicats n’ont jamais été aussi importantes. »
Il pourrait sembler normal que la première ressource des syndicats soient les cotisations des adhérents. Eh bien non. Les adhérents il y en a peu en France : 1,8 millions en 2008, dont 13% de retraités, soit environ 7% des salariés. Les deux tiers se trouvent dans les fonctions publiques, les grandes entreprises publiques, les organismes de protection sociale… La CGT affirme que les cotisations représentent 33% de ses ressources, la CFDT 50% et FO 60%, mais de quoi parle-t-on : des Confédérations, ou des ensembles « confédérations+ fédérations+ syndicats », des syndicats eux-mêmes ou d’Associations qui gèrent certaines de leurs activités ?
Pour les deux chercheurs, si l’on tient compte du fait que 66% des cotisations des adhérents sont fiscalement exonérées donc payées par les contribuables, on arriverait à seulement 8% de ressources apportées par les adhérents !
Alors quelles sont ces autres ressources : sans vraiment pouvoir les chiffrer par manque de données, les auteurs les énumèrent, et c’est déjà instructif :
– « Des crédits divers pour la formation des militants syndicaux, la formation des conseillers prudhommaux…
– Des crédits d’études
– Des moyens apportés en contrepartie de la participation à la gestion des organismes paritaires (il y en a un bon millier !) : en matière de formation, 40 millions d’euros avant la Loi de mars 2014, de gestion des organismes de sécurité sociale et des Caisses de retraite
– De la participation au Conseil économique et social et environnemental (idem au niveau régional)
– Des subventions des collectivités locales (ainsi 1 million d’euros en 2004 pour la CFDT Ile de France de la part de la Région…pas vraiment prévu par la loi)
– Des subventions des entreprises : Sur 25 000 accords négociés en 2006, 10% comportent des clauses concernant des dotations aux organisations syndicales, mais elles n’ont pas fait l’objet d’études spécifiques de la part du ministère du Travail
– Des crédits d’heures dans les entreprises
– Des avantages en nature : téléphones portables, voitures…
– Les ressources des Comités d’entreprise : le budget confédéral de la CGT mentionne ainsi des remboursements des CE, à travers les activités d’expertise
– Des mises à disposition de personnels : probablement le poste le plus important. Ainsi de 2004 à 2008 les « mises à disposition » ont été multipliées par 5 à la CGT et par 7 à la CFDT. On compterait jusqu’à 27 000 « MAD syndicales »…
– Et parfois le « lubrifiant des relations sociales » sous la forme d’enveloppes d’argent liquide telles qu’elles ont été révélées lors de l’affaire UIMM-Gauthier-Sauvagnac en 2007. »
Le rapport de 2014 des chercheurs de la Chaire M.A.I associés au Cabinet d’expertise comptable Audisol apporte des données plus récentes et surtout s’interroge sur l’impact de la Loi de 2008 qui impose une « obligation de certification et publication des comptes ».
Le Rapport fait état de délais de publication très longs et surtout tous différents selon les organisations : 227 jours après la clôture pour les organisations de salariés et 152 jours après pour les organisations d’employeurs. La tache doit être rude ! De plus chaque organisation a adopté des règles de consolidation différentes ! L’analyse des ressources des seules confédérations fait ressortir deux organisations pour lesquelles les cotisations représentent une part substantielle : la CFDT (47%) et le MEDEF (63%) et deux confédérations « portées à bout de bras » par les subventions : la CFTC (73% de subventions) et la CGPME (81%)…Mais il ne faut pas en tirer trop de conclusions, il ne s’agit que des confédérations.
Trop grande diversité des méthodes comptables et des périmètres, insuffisance des informations fournies en particulier quant à la valorisation des fameuses « Mises à disposition de personnel ». Seule la CFDT le fait, le MEDEF ayant déclaré que ce n’était « pas quantifiable ». Exprimée en termes policés, la conclusion du Rapport établit le constat d’une « transparence perfectible ».
De fait, la description des diverses ressources des organisations, les difficultés ou les réticences à fournir des informations détaillées, comparables et susceptibles de former un tableau complet donnent une certaine idée les principales raisons du « syndicalisme à la française » et de ses difficultés. il est devenu un syndicalisme institutionnel, c’est-à-dire de participation à des institutions : Conseils d’administration des organismes paritaires, Conseil économique, social et environnemental, COPIRE, CNEFOP et CREFOP, COPANEF et COPAREF….Haut Conseil de ceci et de cela…Au point que ce sont souvent les mêmes qui participent aux nombreuses réunions et y délivrent un discours convenu, que l’on n’écoute plus mais qui est disponible sur leurs tablettes.
Pour Andolfato et Labbé, c’est véritablement le signe d’un changement profond de nature. Ils se montrent nostalgiques du moment où « il a existé en France une vie intense dans les cellules d’entreprises ou locales. Des enquêtes ont été conduites par vagues successives, en 1986-91 puis en 2005-2006 : « Un ancien responsable syndical d’une banque de province s’est replongé dans les cahiers qu’il tenait entre 68 et 78, et a été surpris de constater que sa section se réunissait plusieurs fois par mois »… « En France jusqu’aux années 1980, la sécurité de l’emploi et la qualité du travail était liées à l’efficacité des représentants des salariés »… »La juridisation est une régression sauf aux yeux des juristes et des avocats »…
C’est effectivement après 1981 et l’alternance de gauche au pouvoir que les syndicats déclinent rapidement. Nous le rappelions dans l’article de METIS consacré au livre de Jean-Michel HELVIG, Edmond Maire, une histoire de la CFDT : « Les syndicats en payent le prix : le nombre d’adhérents à la CFDT baisse de 32% entre 1983 et 1988, celui de la CGT chute de 34%…Les temps ont changé, et nous avec ».
Une autre manière de dire les choses : les syndicats ne sont pas ressentis comme indépendants, ni comme proches des préoccupations quotidiennes des salariés, sauf peut-être dans les moments de grandes crises industrielles (fermetures de site, restructurations fortes). C’était le but de la récente négociation inaboutie sur les instances de représentation des salariés que de parvenir à un système plus simple. Le mode de financement des organisations de salariés et d’employeurs n’y est pas pour rien : ce n’est pas de la corruption, juste de la dépendance (à l’Etat, aux collectivités locales, aux organismes paritaires et aux entreprises). Et comme chacun sait, il est difficile de sortir de la dépendance…
Références
Dominique ANDOLFATO et Dominique LABBE. Toujours moins, déclin du syndicalisme à la française. Gallimard, 2009
Rapport de recherche. La transparence financière des organisations syndicales et patronales, Chaire M.A.I (Mutations, Anticipations, Innovations) et Audisol, décembre 2014.
Pour aller plus loin
Infographie : syndicats & financement
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