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par Jean-Marie Bergère et Catherine Barbaroux

L’ADIE, Association pour le droit à l’initiative économique, ne prête qu’aux riches. Une banque comme toutes les autres, direz-vous. Avec une différence de taille.
Les créateurs à qui elle accorde ses micro-crédits, sont riches de leurs idées, de leurs projets, de leurs savoir-faire, de leur énergie, de leur courage. Mais ils sont aussi allocataires des minima sociaux, sans emploi, sans diplôme, fichés à la Banque de France, gens du voyage, fâchés avec l’écrit, en galère dans tous les cas de figure.

 

adie

Ils n’ont pas accès au crédit bancaire, pas le patrimoine, pas la capacité d’épargne, pas l’environnement social qui permet de mobiliser la « love money », aucun de ces moyens indispensables au démarrage d’une activité professionnelle indépendante.

 

Après 20 ans de partenariat avec l’ADIE, le Directeur général d’un grande banque peut ainsi déclarer « c’est encore être banquier mais autrement, et ensemble. Pour les trois ans qui viennent nous repartons avec l’ADIE, de plus belle ! ». Rappelons que l’association agit grâce à l’argent que les banques lui prêtent et qu’à son tour elle prête, le tout encadré par une dérogation à la loi bancaire.

 

Pas d’effet d’aubaine

Les Comités de crédit décident chaque semaine de façon très décentralisée et en toute indépendance à qui ils accordent un prêt. Ils sélectionnent leurs clients à partir de plusieurs idées tout à fait hétérodoxes. La première est de permettre le démarrage de l’activité le plus vite possible. Les créateurs apprennent beaucoup en marchant, tant pis s’il manque quelques données sur le business plan. L’accompagnement des bénévoles et salariés de l’ADIE fera le reste. Les décisions se prennent en 8 jours et le montant du prêt est versé dans les 8 jours suivants.

 

L’association surveille à ce qu’elle appelle le « score d’exclusion ». Alors que globalement les créateurs d’entreprise se recrutent à 6% parmi les allocataires des minima sociaux, à l’ADIE ils représentent 39% des personnes accompagnées. 44% vivent sous le seuil de pauvreté. 28% sont sans diplôme. Cette fidélité à la cible historique de l’ADIE est essentielle. L’ADIE veille à ce qu’il n’y ait pas d’effet d’aubaine. Dans ces conditions on peut considérer que la casse est très limitée, le taux de remboursement est de 96,77% et environ 6% des prêts ne sont pas totalement remboursés.

 

L’ADIE est très fière d’un autre chiffre. Plus de 40% des créateurs sont des femmes alors qu’elles sont moins de 30% dans l’ensemble des créateurs d’entreprise. En 2015, 18 000 personnes ont été financées, contre 11 000 il y a 5 ans. La progression continue. Les prêts sont d’un montant compris entre 3 000 et 10 000 euros à rembourser en trois ou cinq ans, avec quelquefois un différé de paiement. Après une longue négociation avec les pouvoirs publics, l’ADIE sera bientôt autorisée à accorder des prêts allant jusqu’à 12 000 euros. Le montant des encours dépasse 100 millions d’euros.

 

Objectif : l’emploi, quel qu’en soit le statut

Un chiffre valide la qualité de l’accompagnement et la pertinence des choix. La pérennité à deux ans des projets est de 70% et qu’ils aient réussi ou échoué dans leur entreprise, 84% sont en emploi. L’expérience de la création peut aussi être un sas, une première marche vers d’autres formes d’insertion professionnelle durable. En moyenne, une entreprise sur quatre crée un deuxième emploi. L’objectif n’est pas de sélectionner quelques « pépites » à fort potentiel. A l’ADIE on pratique la création comme un sport de masse.

 

Tous les secteurs d’activités sont représentés. La moitié des projets sont des commerces, circuits courts alimentaires ou commercialisation de produits artisanaux et exotiques, souvent en provenance des pays d’origine des créateurs. L’activité économique se marie avec l’envie de développer des liens vivants avec une partie de sa famille. Au final on trouve dans l’annuaire de l’ADIE, Hadi, traiteur libanais, Darc, coiffeuse experte en nattes africaines, Aurélie qui fabrique artisanalement des savons, Mireille, pâtissière, Habib qui a ouvert une friterie en pays Ch’ti, Etienne, horticulteur, Jamal qui pratique le nettoyage écologique des voitures, Régis qui taille les haies, etc, etc.

 

En 25 ans, ce sont plus de 166 000 micro-crédits qui ont été octroyés, 225 emplois nouveaux créés chaque semaine en 2015. Ils sont souvent auto-entrepreneur ou sous un autre statut d’indépendant. Il faudra quelquefois une année ou deux avant d’atteindre une rémunération égale au SMIC. Une rémunération entièrement due à un travail dans lequel ils peuvent s’investir et qu’ils aiment. Un travail et une rémunération qu’ils n’auraient pas obtenus s’ils s’étaient contentés d’envoyer leur CV aux entreprises existantes. Un travail et une rémunération dont ils sont fiers.

 

Un réseau qui équilibre le centralisme et la proximité

L’ADIE développe maintenant des micro-franchises solidaires. Ainsi en lien avec un fabricant de tricycles à assistance électrique, le réseau des Cyclopolitains se développe. Ces coursiers de quartier exercent trois métiers complémentaires, transport de personnes, livraison de marchandises et affichage publicitaire sur le véhicule.

 

Pour les plus jeunes, entre 18 et 32 ans, l’ADIE a développé pour ceux d’entre eux qui hésitent ou se cherchent, un programme d’accompagnement qui leur permet de passer d’une idée quelquefois floue à un projet sérieux. Ils finiront leur apprentissage au métier d’entrepreneur sur le tas, mais l’essentiel du travail préparatoire aura été fait.

 

La quasi totalité des banques présentes en France, mutualistes ou non, est partenaire de l’ADIE. Ces conventions nationales entraînent une gestion très centralisée de l’association compensée par l’activité locale des 120 antennes. Là se trouvent les Comités de crédit, les délégués territoriaux, les bénévoles. Ils prennent les décisions, ils accompagnent les créateurs. L’ADIE c’est 450 salariés et 1 300 bénévoles. Leur travail est financé grâce à plus de 1000 conventions, européennes, nationales et locales. Il représente un coût d’environ 1 800 euros par emploi créé.

 

L’enthousiasme nourrit l’action, et réciproquement

Il y a 5 ans, Catherine Barbaroux a succédé à Maria Novak, fondatrice de l’ADIE en 1989. Elle apporte toute son expérience de directrice d’Entreprise et personnel, de déléguée à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et enfin de directrice générale des services du Conseil régional d’Ile de France. Elle y apporte aussi ses convictions et un grand enthousiasme.

 

L’ADIE est l’Association pour le droit à l’initiative économique. Il faut prendre chaque mot au sérieux et en préciser le sens. La question n’est pas d’inventer un nouveau droit, mais de réfléchir à son exercice. Comment passer d’un droit général mais abstrait à un droit concret, quels moyens mettre en œuvre pour que le passage à l’acte ne soit pas réservé à quelques uns ? En répondant à cette question, l’ADIE allie l’action socio-économique et l’action politique. En développant la capacité à agir des individus les plus vulnérables, en leur permettant d’accéder à une plus grande autonomie, tous ceux qui œuvrent dans l’association concourent à une extension des droits réels et à plus de justice sociale.

 

L’initiative ne peut pas être un privilège. Elle a autant de valeur lorsqu’il s’agit de créer son propre emploi que lorsqu’elle conduit au développement d’une entreprise, grande ou petite. C’est par l’initiative et la confiance accordée que chacun prend du pouvoir sur sa vie, devient sujet actif et citoyen dans un même mouvement ; à condition toutefois que ce ne soit pas une injonction ignorante des conditions matérielles et sociales. Economique enfin car les projets soutenus, du plus modeste au plus ambitieux, ne s’inscrivent pas dans un monde à part. Ils se préparent à vivre dans le grand bain de l’activité économique.

 

Lors de notre entretien, Catherine Barbaroux insistera sur le potentiel et le développement à venir de l’ADIE. Elle insistera également à plusieurs reprises sur la fidélité de l’ADIE. Fidélité à sa vocation au service de clients sans argent et sans accès au crédit bancaire. Fidélité aussi à son style, sans paternalisme, ni condescendance. Une formule résume bien l’activité et l’état d’esprit de l’ADIE. Aux créateurs qui viennent remercier les responsables de l’association, celles et ceux qui l’animent, qui les ont accompagnés, qui leur ont fait confiance, la réponse est : « Vous avez remboursé ? On est quitte ». Une réponse émancipatrice.

Pour en savoir plus :

L’ADIE

 

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