par les travaux publics ?[/fusion_title]
On parle beaucoup du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, de ses positions idéologiques et politiques, mais on parle peu de la Hongrie. Tamas Molnar, économiste au Budapest Institute, brosse un tableau de la situation économique et sociale du pays. Son article est également sur Metis en anglais.
Le marché du travail Hongrois porte encore le poids de la transformation postsocialiste. Comme une grande partie des employés était en surnombre dans les années 1990, l’accent mis sur les politiques du marché du travail ainsi que la protection sociale sont devenus un fardeau énorme sur les dépenses du gouvernement. Alors que le système est passé par diverses réformes, et que les dispositions de protection sociale ont été coupées à plusieurs reprises au cours des 20 dernières années, le gouvernement conservateur, formé après les élections en 2010, a décidé de prendre un tournant radical.
Route sinueuse pour devenir une nouvelle Chine
Après une stagnation post-crise, la Hongrie a connu une croissance économique soutenue au cours des deux dernières années, accompagnée d’une faible inflation qui a conduit à la hausse des salaires réels et à des taux de chômage nettement inférieurs. Cependant, une grande partie de la population ne bénéficie pas de cette évolution positive. En effet, le taux d’emploi comprend une grande partie des participants au programme de travaux publics, avec un salaire mensuel inférieur à 200 euros et des avantages sociaux radicalement diminués. Après plusieurs vagues d’augmentation et de diminution des dépenses de protection sociale pour compenser le nombre trop important de personnes sur le marché du travail postsocialiste, le gouvernement conservateur, élu en 2010, a réalisé une transition vers une « économie fondée sur le travail », en mettant l’accent sur les travaux publics – au lieu de dispositions de protection sociale-, sur le renforcement de la formation secondaire professionnelle, et sur certaines réductions d’impôt. Cependant, l’efficacité de ces mesures pour augmenter l’emploi à long terme semble être discutable, et si l’on tient compte de ce qui est dû à la récente augmentation des subventions de l’UE, l’image s’obscurcit de plus belle.
L’économie de la Hongrie a chuté au cours des premières années de la crise financière : en 2009, le PIB a diminué de 6,6 %, et, selon le Bureau central de statistique de Hongrie, après deux années de faible croissance, il est tombé à 1,7 % en 2012. Depuis 2013, la croissance semble être de retour, pour en atteindre un taux de 3,7 % en 2014 et d’environ 3 % l’an dernier.
Toutefois, le taux de croissance moyen de l’économie hongroise était encore nettement inférieur à celui des autres pays de la région, en particulier par rapport à la Pologne qui, elle, n’a pas connu de récession, même pendant les années de crise économique.
Faire face à la charge de la dette
Une croissance inférieure à la moyenne a signifié aussi que le gouvernement avait moins de marge de manœuvre pendant et après les années de crise. Un autre fardeau s’est ajouté à cela, à savoir la dette relativement élevée du pays, qui est supérieure à 75 % du PIB, après avoir culminé à plus de 80 % en 2011. Pour limiter les coûts de financement de cette dette importante, la Hongrie a besoin d’avoir un faible déficit public, encore plus bas que celui des autres pays de la région qui ont, eux, réussi à maintenir leur dette à des niveaux beaucoup plus bas, la plupart du temps en dessous de 50 % de leur PIB.
Ce fardeau de la dette, ainsi que des motivations politiques visant la réduction des dépenses de protection sociale pour la population inactive, a joué un rôle important dans la réforme du système de protection sociale mis en place par le gouvernement conservateur élu en 2010. Ágota Scharle et Dorottya Szikra (2015) font valoir que bien que les dispositifs de protection sociale aient été coupés à plusieurs reprises en Hongrie depuis la transition démocratique du pays, les changements post 2010 ont été plus profonds et avec des motivations plus politiques que les précédents.
Les problèmes non résolus de la transition postsocialiste
Pour mettre les mesures actuelles dans leur contexte, nous devons remonter un peu dans le temps. La transition démocratique de la Hongrie a été couplée à une crise économique ayant eu de graves répercussions sur le marché du travail : le taux d’emploi est passé de 71 % en 1990 à moins de 55 % en 1993, et cette baisse a continué jusqu’en 1997. Le grand nombre de travailleurs nouvellement licenciés a nécessité une compensation par le système de protection sociale afin de maintenir la stabilité politique. Ainsi, en 1995, la part des bénéficiaires de l’aide sociale parmi la population en âge de travailler a atteint 31 %.
Il est important de noter que, dans le même temps, la plupart des mesures sur le marché du travail au début des années 1990 ne pouvaient pas aller au-delà de l’indemnisation des nouveaux chômeurs. Même si les services publics de l’emploi ont été renforcés, leur capacité est restée largement insuffisante pour fournir une assistance individualisée ou mettre en œuvre des politiques qui auraient permis aux demandeurs d’emploi de développer leurs compétences.
La situation d’une grande partie de la population, comprenant notamment ceux qui ont perdu leur emploi au cours de la transition, a été encore aggravée par le plan d’austérité de l’année 1995 : le salaire réel a diminué de 12 %, le taux de remplacement pour l’allocation chômage a été réduit de 75 à 65 %, et plusieurs autres mesures sociales ont également été restreintes ou abolies.
Entre les extrêmes
Suite au plan d’austérité, la Hongrie a connue une croissance régulière pendant une dizaine d’années, avec des taux de croissance annuels atteignant souvent 4,5 %. Mais en 2005, ce rythme a commencé à ralentir. Au cours de la deuxième partie de cette période (qui comprend la date à laquelle la Hongrie a rejoint l’Union européenne, 2004), les dépenses publiques ont également augmenté de manière significative. Entre 2000 et 2006, les dépenses sociales sont en effet passées de 27,6 % à 31,8 % du PIB, avec un déficit budgétaire ayant atteint 9 % en 2006.
Selon Scharle et Szikra (2015), les dépenses excessives du gouvernement peuvent être attribuées à divers facteurs, tels que les distorsions structurelles non résolues ou le fait que le choix initial d’un mix de politiques du marché du travail (majoritairement passives plutôt qu’actives) était difficile à inverser et n’a pas contribué à la croissance de l’emploi. Mais en parallèle, le salaire minimum en 2001-2002 a doublé, ce qui a eu pour effet de réduire la demande de main-d’œuvre non qualifiée.
Alors que la crise entrainait l’économie dans la récession, le déficit public a dû être réduit, et donc les dépenses publiques coupées. Dans le cadre des mesures d’austérité, les dépenses totales du gouvernement en matière de protection sociale ont été ramenées de 18,6 % en 2009 à 16,1 % en 2012, selon les données d’Eurostat. Alors que la plupart des pays à revenu élevé ont augmenté les dépenses de protection sociale depuis le début de la crise financière, en Hongrie, le gouvernement socialiste, alors en exercice, avait mis en œuvre des restrictions dès 2009. Parmi ces coupures on compte notamment le gel de la valeur nominale de l’aide sociale et des allocations familiales ainsi que l’abolition du treizième mois.
Une économie basée sur le travail, sans travail ?
Le gouvernement conservateur qui a suivi est allé encore plus loin : diminution de la valeur nominale de l’aide sociale, abolition des retraites anticipées et réduction de la durée des prestations chômage, passant de neuf à trois mois en 2011. Mais toutes ces mesures faisaient partie d’un ensemble plus vaste dicté par l’idéologie. Il s’agit là d’un facteur qui distingue cette réforme des coupes dans les dépenses sociales antérieures. En effet, l’objectif explicitement déclaré du gouvernement conservateur a été de privilégier les classes supérieures par un taux forfaitaire d’impôt sur le revenu de 16 % (15 % à partir de 2016) et un généreux crédit d’impôt en fonction du nombre d’enfants. Le tout en mettant l’accent sur l’augmentation de l’emploi pour construire une « économie fondée sur le travail », et suivre la voie « du développement chinois ».
Dans le même temps, les dépenses pour les politiques actives du marché du travail, tels que les services du Service Public de l’Emploi et de la formation, sont restées faibles par rapport aux autres pays européens. Par exemple, alors qu’en 2013 le taux de chômage de longue durée était d’environ 2 % en Allemagne, et de près de 5 % en Hongrie, l’Allemagne a engagé presque la même part de son PIB (0,65 %) sur les mesures et services PAMT (Programme d’apprentissage en milieu de travail, LMP en anglais) que la Hongrie (0,78 %).
Un élément important de la nouvelle combinaison de politiques est le programme à grande échelle de travaux publics, qui a été conçu dans le but de rediriger les bénéficiaires de l’assistance publique vers le marché du travail primaire. Mais en réalité, il fonctionne surtout comme substitut aux allocations chômage. En effet, dans diverses régions rurales de la Hongrie, c’est la principale forme d’emploi disponible. Ainsi, le nombre de participants au programme était de 225 000 en janvier 2016, soit plus de 5 % de la population active. En outre, les participants travaillent surtout sur des tâches qui ne nécessitent pas de compétences spécialisées, comme le nettoyage des rues, pour un salaire mensuel net inférieur à 200 €, et alors que les possibilités de formation sont rares dans la plupart des municipalités.
Même si le taux d’emploi a considérablement augmenté et le chômage diminué au cours des dernières années – si on ne compte pas ceux qui sont employés dans le programme de travaux publics – le taux d’activité est toujours beaucoup plus faible que dans la moyenne des autres pays européens, et également inférieur à celui de la plupart des autres pays postsocialistes d’Europe centrale.
Le changement de politique a également concerné le système éducatif : l’âge de scolarité obligatoire est passé de 18 à 16 ans. Aussi, beaucoup plus d’étudiants sont orientés vers l’enseignement professionnel qui ne délivre pas de diplômes d’études secondaires, et ils n’ont par conséquent, aucune chance d’entrer de poursuivre leurs études. Ceci est particulièrement problématique compte tenu de l’écart énorme entre les salaires attendus de ceux qui ont un diplôme et de ceux qui n’en ont pas. Outre la différence de salaires, pour ceux qui fréquentent les écoles de formation professionnelle, la probabilité d’être hors éducation, emploi ou formation entre 25 et 29 ans (NEET) est presque deux fois plus élevée que pour ceux qui obtiennent un certificat de fin d’études secondaires.
Le fait que ces mesures conduiront à des taux d’emploi plus élevés sur le marché primaire du travail à long terme reste incertain. À ce jour, une majorité écrasante de participants au programme de travaux publics semble y être pris au piège. Csillag et Fertig (2015) soutiennent, par exemple, qu’en canalisant un large éventail de personnes sans emploi dans le programme de travaux publics – sans égard aux compétences et motivations individuelles – l’État perd ceux qui seraient en mesure de trouver une meilleure position avec davantage d’aides individualisée. Par conséquent, il est probable que l’investissement dans les politiques d’emploi actives, en se concentrant sur la prévention du chômage de longue durée, serait plus efficace à long terme, même si cela semble plus coûteux à court terme.
Références:
Csillag, Márton et Michael Fertig (2015) : » Cost-benefit Analysis of Remedial Interventions for the Long-term Unemployed« . Bruxels : Commission européenne
Scharle, Ágota et Dorottya Szikra (2015) : » Recent Changes Moving Hungary Away from the European Social Model « . Dans : » The European Social Model in Crisis: Is Europe Losing Its Soul? » Edward Elgar Publishing, p. 289.
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