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par Jean-Marie Luttringer

Metis, comme beaucoup d’autres dans le monde du travail, de l’emploi et de la formation, tient à rendre hommage à Bertrand Schwartz. Un homme qui n’avançait pas des idées pour prendre position sur un échiquier mais qui inventait à la fois des concepts et la manière (juridique, administrative, opérationnelle) de les mettre en œuvre. Et qui n’a cessé d’affirmer les liens entre formation et travail. Jean-Marie Luttringer évoque sa curiosité intellectuelle, son inventivité, qui était sans limites, elle englobait même le droit… à condition qu’il ne soit pas un obstacle à l’innovation, mais au contraire un levier pour le progrès.

 

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C’est ce qui me valut d’être associé, à l’équipe qu’il avait réunie autour de lui en 1981 pour la construction de son célèbre rapport consacré à « L’Insertion professionnelle et sociale des jeunes », puis, occasionnellement, à la délégation interministérielle à l’insertion professionnelle et sociale des jeunes créée pour en assurer la mise en œuvre.

Certes, les questions juridiques n’étaient pas premières dans la réflexion qui a conduit au rapport. Mais au fur et à mesure que les choix stratégiques s’affinaient, la question de leur faisabilité s’imposait. Celle-ci renvoyait nécessairement à leur inscription dans l’ordre juridique. Le rapport avait, en effet, vocation à inspirer aussi bien les décideurs politiques – notamment le ministre de la Formation professionnelle, Marcel Rigout (lui-même ancien apprenti, issu de l’école d’entreprise de Michelin) dont le pouvoir normatif allait s’exercer par l’intervention du législateur, ce qui advint par l’ordonnance du 26 mars 1982 – ainsi que les partenaires sociaux dont le pouvoir normatif pouvait s’exercer à travers la négociation collective, ce qui advint également par l’avenant du 26 octobre 1983 à l’accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970.

Trois thèmes majeurs traités dans ce laboratoire d’innovation sociale que fut « la mission Schwartz » ont fait irruption dans l’univers juridique. Ils y sont toujours installés : la définition juridique de la formation en alternance qui reconnaît la valeur formative du travail productif, et qui rompt délibérément avec le modèle scolaire de l’alternance, fondé à l’époque sur la suspicion envers le travail productif considéré comme prédateur (art. L. 6325-2 du Code du travail) ; la construction transversale et interinstitutionnelle des missions locales (art. 5314-1 Code du travail) qui rompt avec la logique traditionnelle de gestion administrative et en tuyaux d’orgue des problèmes sociaux en plaçant (déjà !) «la personne au centre des dispositifs ». Ce qui, au plan juridique, suppose l’élaboration de règles conçues pour le travail en partenariat entre des acteurs obéissants chacun à une logique propre (élus locaux, partenaires sociaux, représentants de l’État…). Et un thème moins connu, mais tout aussi innovant, les associations de main-d’œuvre et de formation (AMOF) (page 69 du rapport et ancien art. 980-13 du code du travail). Le projet « AMOF » reconnaît la précarité existante des jeunes sur bon nombre de marchés du travail et leur propose « un plan d’insertion professionnelle comportant une suite continue de périodes d’emplois en entreprise et de période de formation ». La sécurisation des parcours professionnels et l’alternance entre travail productif et formation sont au fondement du concept d’AMOF. Les « AMOF », abrogées dans les années 90, sont les précurseurs des actuels groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ), ainsi que de l’intérim d’insertion.

Cependant l’inscription dans le Code du travail de trois préconisations du célèbre rapport de 1981, citées ici à titre d’exemple, auxquelles j’ai eu le privilège d’être modestement associé, n’épuise en rien l’influence sur notre droit positif de la formation professionnelle de l’œuvre de « l’ingénieur du social » que fut Bertrand Schwartz. Le chantier « fondateur » de reconversion des mineurs de Lorraine, qu’il a conduit à la fin des années 60 dans le cadre du Cuces, a marqué de son empreinte l’élaboration de la loi du 16 juillet 1971 ; bien plus tard l’affirmation d’un droit à la qualification notamment pour les jeunes sortis du système éducatif sans diplôme, inscrit dans le Code du travail en 1989 réaffirmé par la loi du 5 mars 2014 et la récente Loi travail, trouve l’une de ses sources dans le chantier expérimental « Nouvelles qualifications » conduit à la même époque. Son empreinte se retrouve également dans le code de l’éducation, notamment les dispositions relatives à la VAE.

La trace laissée par l’œuvre de cet « ingénieur du social » que fut Bertrand Schwartz – aussi bien dans la mémoire des acteurs de l’insertion professionnelle et sociale des jeunes et de ceux de la formation professionnelle, que dans le Code du travail et celui de l’éducation – doit sans doute beaucoup à la méthode de Bertrand Schwartz : être simultanément à l’écoute des bénéficiaires de ses préconisations (jeunes, « apprenants », acteurs sociaux) et de celle des décideurs politiques et des partenaires sociaux, détenteurs du pouvoir normatif, et en empathie avec chacun d’entre eux.

Cette manière d’innover et de réformer dans « le champ du social », avec méthode, rigueur et empathie, sans a priori idéologique ni effets de manche médiatique, mérite d’être méditée aujourd’hui, par tous ceux qui détiennent un pouvoir normatif dans le champ de la formation professionnelle.

Pour en savoir plus :

– L’affiche représentant Bertrand Schwartz en Charlie Chaplin dans « Les Temps Modernes » lui a été offerte, par les membres de l’équipe de la délégation interministérielle à l’insertion professionnelle et sociale des jeunes.

– En 1981, Jean-Marie Luttringer était le responsable du département juridique du centre Inffo qui accepta de le mettre à la disposition de « la mission Schwartz » au sein d’une équipe venue de l’Agence pour le développement de l’éducation permanente (ADEP) composée notamment de Jean-Joseph Scheffknecht, Gérard Sarrazin, Jean-Louis Egli et d’autres….

 

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