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par Sylvie Fofana, témoignage recueilli par Christophe Teissier

Sylvie Fofana était l’invitée de l’ASTREES LAB « nouveaux indépendants » (#LabIndé) consacré aux besoins de protection et de collectif de ces travailleurs d’un nouveau genre, résolument autonomes, qualifiés ou non, et souvent plus précaires et moins protégés par un patrimoine que leurs aînés, artisans, commerçants ou professions libérales. Elle nous raconte l’isolement des nounous et leurs difficultés face à de multiples particuliers employeurs, où la relation affective vient saper la relation professionnelle et contractuelle jusqu’à la servitude. D’où son combat pour organiser un « collectif des nounous » devenu « syndicat » pour rompre l’isolement et faire valoir leurs droits.

 

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Image : Sylvie Fofana

 

Sylvie est une femme de cœur. Née en Côte d’Ivoire, elle arrive seule en France au début des années 90 pour y étudier et y gagner sa vie, une détermination que son statut de maman n’entame pas, tout au contraire.

Là, elle travaille d’abord à l’obtention d’un baccalauréat professionnel en secrétariat, mais se trouve bientôt contrainte d’obtenir un logement et donc un emploi. Elle découvre alors le métier d’auxiliaire parentale, au gré de discussions avec des amies dans les allées des parcs parisiens.

Ce métier, elle va s’y engouffrer et l’exercer pendant 17 ans, de 1995 à 2012. Mais dans quoi Sylvie s’engage-t-elle ? D’abord dans des relations avec de multiples particuliers employeurs, autant de parents soucieux d’offrir le meilleur à leurs enfants. Mais à quel prix ? C’est précisément cette interrogation qui va peu à peu s’imposer à Sylvie, au détour de ses expériences de nounou : 50 heures de travail hebdomadaire souvent dissimulées au-delà de 40, heures supplémentaires et congés non payés, ruptures précipitées des relations contractuelles sans motif ni indemnités, tâches exigées, mais non prévues au contrat…

C’est que le travail pour un particulier et au domicile de ce dernier n’est pas d’abord marqué du sceau de la professionnalité. Etre nounou à domicile, c’est entrer dans la maison, bref devenir un domestique. Mesurer ce que cela peut vouloir dire conduit à emprunter les voies de l’ethnologie et à évoquer l’entrée dans l’« institution de la servitude ». Mais aussi celle du droit et à se souvenir que jusqu’en 1868 le Code civil disposait dans son article 1781, qu’en matière de salaire, « le maître est cru sur sa propre affirmation ». En bref, des rapports de pouvoir marqués par une forte asymétrie de positions entre la nounou et son employeur et une confusion fréquente entre exigences professionnelles et présupposés moraux ou sociaux.

Le travail de l’auxiliaire parentale peut ainsi, pas toujours, mais souvent, rimer avec exploitation. De ce constat douloureusement vécu, résulte alors pour Sylvie le début de la construction d’un parcours de militante syndicale, animé par une volonté forte de ne pas courber l’échine, en d’autres termes, de ne pas reléguer plus longtemps les nounous au rang de travailleuses invisibles.

C’est ainsi le souhait de faire collectif qui émerge chez Sylvie : en 2010, elle envoie des SMS à 17 nounous de sa connaissance. Est ainsi créée l’Association des nounous d’Ile de France, pour regrouper ses homologues. Des réunions se tiennent tous les deux mois, occasions pour chacune d’évoquer ses misères « c’était un parloir, un défouloir ». Les choses évoluent rapidement, évolutions marquées par une rencontre décisive avec la sociologue Caroline Ibos. L’ouvrage de cette dernière, consacré aux nounous ivoiriennes, suscite l’attention de la presse dès le début 2012. De proche en proche, il contribue à médiatiser l’association des nounous d’Ile de France jusqu’à ce que Sylvie évoque avec Caroline Ibos l’idée de créer un syndicat. Sylvie constate en effet qu’il n’en existe pas pour ces auxiliaires parentales, bien différentes des assistantes maternelles agréées, depuis longtemps organisées et soumises à une convention collective distincte de celle des salariés du particulier employeur.

 

A la suite, en juin 2012, Sylvie et 35 collègues mettent en place le « syndicat national des nounous. » C’est l’UNSA qui accueillera finalement le Syndicat des gardes d’enfants à domicile (devenu depuis UNSA SNAP/SPE) en son sein, lui ouvrant notamment l’accès à des locaux permettant l’ouverture d’une permanence pour les nounous. Le recrutement n’est cependant pas aisé « j’allais dans les parcs, mais les nounous me disaient que je risquais de leur faire perdre leur boulot » ou encore « beaucoup de gardes d’enfants sont ivoiriennes et parmi elles beaucoup sont originaires du Sud. Moi je suis originaire du Nord, cela pose des problèmes pour se faire entendre ». Il n’est par ailleurs pas facile pour Sylvie de développer une activité militante très prenante sans ressources financières tirées d’un emploi. Reste qu’elle poursuit son combat de bénévole et que le syndicat est aidé en cela par une exposition médiatique plus importante « En 2014, un reportage nous est consacré sur France 2. Mon public est très sensible à la télévision et ce passage télévisuel change donc les choses ». Tant et si bien que Sylvie est aujourd’hui à la tête d’un syndicat national, qui compte plus de 2000 adhérents, beaucoup plus visible qu’à l’origine : « maintenant on vient vers moi et nos adhérentes se sont diversifiées, nounous d’origines maghrébine, chinoise, antillaise, mais aussi « peaux blanches », et ce, malgré l’absence de permanences en régions ». Ce développement doit sans doute beaucoup à la personnalité très déterminée et devenue médiatique de Sylvie, qui lui vaudra d’ailleurs de recevoir en 2015 la médaille de l’ordre national du mérite. En parallèle, Sylvie œuvre à la sensibilisation dans son pays d’origine, notamment en participant à Radio Côte d’Ivoire : « je cherche plutôt à décourager les venues clandestines, à informer, car ce n’est pas l’eldorado ».

 

Aujourd’hui, le combat est loin d’être terminé : « nos salariés pensent souvent qu’ils n’ont pas de protection, ils ne savent pas ce qu’est l’inspection du travail, n’ont pas de conscience syndicale… ». L’information des nounous, mais aussi des parents employeurs est donc un rôle clé pour le syndicat. Mais ce dernier développe aussi des services à ses adhérents, assistance juridique en cas de difficultés, mais également constitution de partenariats pour stimuler l’accès à la formation des nounous, public peu qualifié et sensibilisé à cet enjeu.

Doit-on aller plus loin ? Pour Sylvie, la constitution en syndicat a permis au collectif de gagner en « crédibilité », mais faut-il se rapprocher davantage des organisations d’employeurs ? Sans doute, à supposer peut-être de surmonter certaines réticences : « Du temps de notre association, on a fait des réunions avec des organismes de formation, mais une fois devenu syndicat, ces derniers nous ont dit qu’ils ne voulaient plus collaborer avec nous ». Chercher à fusionner les modes de représentation collectifs des assistantes maternelles et des auxiliaires parentales ? « Notre régime d’emploi et notre convention collective sont distincts de celui des assistantes maternelles et ces dernières ne nous reconnaissent pas comme pairs. Nous aimerions acquérir une convention collective comparable à la leur, voire être couvertes par le même instrument conventionnel ». Sans doute la prochaine mesure d’audience de la représentativité syndicale permettra-t-elle de mieux évaluer les prolongements possibles à cet égard, mais une chose est d’ores et déjà certaine : le collectif des travailleuses de l’ombre porté par Sylvie ne demande qu’à vivre, encore et toujours…


Pour en savoir plus :
 

– Les ASTREES LAB sont une démarche collaborative de production et de pratiques innovantes

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