La matinée organisée par l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES) le 3 avril dernier – « Comités d’entreprise européens : Quelle résilience ? Du Brexit aux perspectives du dialogue social européen » – avait pour objectif de se pencher sur l’avenir du dialogue social européen à l’aune de l’impact du Brexit sur les comités d’entreprise européen (CEE). Au-delà de la mise en évidence d’une certaine stabilité de ces comités d’entreprises face à ce choc externe, les débats auxquels participaient des représentants de CEE de grandes entreprises multinationales et un responsable d’IndustriAll Europe (Fédération syndicale internationale des activités minières, manufacturières et de l’énergie) ont mis en évidence les difficultés auxquelles se heurtent ces instances, mais aussi les opportunités en termes de dialogue social que pourraient ouvrir la nouvelle directive en préparation.
Dans la dynamique du traité de Maastricht en 1994, a été élaborée la directive 94/95/CE encadrant l’adoption par les États d’une législation concernant la signature d’accords créant les comités d’entreprise européen (CEE) dans les entreprises d’au moins 1000 salariés dans l’Union européenne dont au moins 150 sont employés dans deux États membres. Ces instances sont centrées sur des droits d’information et de consultation sur l’évolution des activités et les décisions ayant une incidence sur le niveau d’emploi et les conditions de travail. Cette directive a été revue en 2009 (2009/38/CE) et une nouvelle directive est en préparation.
On compte aujourd’hui environ 1200 comités d’entreprises européens dont près de 300 fonctionnent suivant des accords dits volontaires, instituant un droit d’information et de consultation antérieur à 1996 – date d’application de la directive initiale.
Une fragile stabilité des comités d’entreprise européens après le Brexit
Suite à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne après le référendum de 1996, la législation de l’UE ne s’applique pas à ce pays depuis 2020. La validité des accords régissant les CE Européens (CEE) pour les entreprises basées ou opérant dans ce pays était donc questionnée d’autant que les premières devaient transférer leur CE européen à la législation d’un Etat membre de l’UE. Si le choix pouvait être fait du maintien en l’état de la représentation des salariés britanniques, une fenêtre d’opportunité s’ouvrait pour les directions pour que lors des renégociations, le Royaume-Uni soit exclu du champ d’application de l’accord ou encore que les membres britanniques soient exclus des comités (ils étaient présents dans plus de 70% d’entre eux) ou enfin que leurs droits soient limités.
Une recherche internationale menée entre 2021 et 2024 par l’IRES pour la France, la Cardiff Business School pour le Royaume-Uni et la Ruhr-Universität Bochum pour l’Allemagne, dont il était rendu compte par Anna Frisone et Marcus Kahmann de l’IRES, avait pour objectif d’étudier comment les règles régissant les CE Européens avaient été impactées par le choc exogène que constituait le Brexit. Dans un contexte international marqué par d’autres chocs (guerre en Ukraine, réchauffement climatique, pandémie…) il s’agissait plus largement de s’interroger sur la « résilience » de cette instance face à ces chocs.
A cette fin, un échantillon de 56 entreprises multinationales ayant leurs sièges dans un des trois pays (incluant également 3 entreprises ayant leurs sièges en Irlande, au Japon et aux Etats-Unis) a été constitué et une étude approfondie a été menée dans 15 cas (5 par pays). Trois types de configuration ont été caractérisés :
- La stabilité par le maintien de la situation antérieure, les représentants britanniques voyant maintenir leurs droits ; elle concerne la majorité des cas (27 sur 56)).
- La limitation par la reconfiguration des droits des représentants britanniques (statut d’observateur ou d’invité) : elle concerne une minorité significative de cas (16 sur 56)).
- L’exclusion du Royaume-Uni du champ d’application de l’accord concerne 13 cas sur 56. . Les cas où les comités d’entreprise européens sont démantelés, les seuils d’existence de ces instances n’étant plus atteints sont rares.
Ainsi face au choc qu’a été le Brexit, l’échantillon des entreprises étudiées se partage à part à peu près égale entre stabilité (une petite moitié) et changement que ce soit par limitation (un peu plus du quart) ou exclusion (un peu moins du quart).
Il existe des différences notables entre les pays et les cultures nationales, la stabilité est ainsi largement prédominante en Allemagne marquée par une tradition de « partenariat conflictuel » alors qu’elle est faiblement majoritaire en France dans un contexte plus agonistique et de pouvoir syndical fragilisé. Plus généralement, l’étude approfondie a permis d’identifier
– des facteurs promouvant la stabilité, comme l’intérêt de la direction pour le développement de l’instance et d’un dialogue social à ce niveau, un comité d’entreprise européen actif et communiquant bien entre ses membres et avec les instances nationales, une forte intégration du Royaume-Uni dans les activités de l’entreprise et le soutien d’un syndicat ou d’un expert
– des facteurs promouvant le changement (limitation ou exclusion) comme la faible cohésion de l’instance, l’intégration limitée du Royaume-Uni dans les activités globales de l’entreprise, le faible intérêt des représentants britanniques pour l’instance.
Ainsi se combinent pouvoir institutionnel fort, culture nationale et engagement des acteurs pour favoriser un maintien du fonctionnement des CE européens avec les représentants britanniques. Toutefois, les interventions de représentants de CE européens d’entreprises multinationales et le débat ont aussi montré que l’obtention d’accords maintenant les prérogatives des représentants britanniques avait souvent été difficile avec de fortes réticences des directions mais aussi un certain désintérêt des représentants britanniques qu’on peut peut-être attribuer à une culture syndicale se centrant plus sur le collectif de travail et la négociation collective que sur les éléments touchant à la gestion des entreprises entrant dans les prérogatives des CE européens. Le représentant d’IndustriAll, a également noté que les évolutions récentes, à l’occasion des renégociations, allaient plutôt dans le sens d’une difficulté croissante d’intégrer les représentants britanniques et donc une progression des cas de limitation avec l’argument que l’intégration des britanniques risquaient d’entrainer des demandes venant d’autres pays comme la Suisse.
Un fonctionnement contrasté des CE européens
A partir des trois cas de fonctionnement de CE européens présentés par leurs responsables, on peut dresser quelques observations quant aux difficultés de fonctionnement de ces instances.
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- Un comité très actif et un fonctionnement formel dense (2 réunions plénières par an, bureau ou comité restreint se réunissant plus souvent, formation des membres, circulation de l’information…) ne sont pas toujours synonymes de qualité des échanges. (« Ce n’est pas le nombre de réunions qui fait le meilleur dialogue social »).
- La qualité des relations sociales au sein du groupe influe sur le bon fonctionnement du CE Européen et notamment sur les délais de consultation : lorsqu’il y a un manque de confiance entre la direction et les représentants des salariés, l’information même abondante arrive trop tard pour que les représentants puissent réellement contribuer à un projet de changement, voire le co-construire. Cela peut être l’indice d’une volonté d’invisibilisation du travail syndical.
- L’hétérogénéité des situations nationales en termes de législation, de conception du fonctionnement des CE Européens et de capacité à négocier hypothèque leur fonctionnement et leurs marges de manœuvre. Ainsi certaines législations ne prévoient pas que les représentants au CEE soient pourvus d’un mandat, cette absence de mandat entravant la coordination (voire la confiance) entre les membres du Comité d’entreprise européen.
Toutefois, les cas présentés ont également permis de souligner l’importance des synergies entre instances et notamment le fait que lorsque les mêmes représentants siègent à différents niveaux, cela peut également faciliter les interactions entre l’activité du CE européen et la négociation. Ces synergies sont également apparues comme un enjeu d’avenir lors de la table ronde finale.
L’européanisation du dialogue social reste un but à atteindre
Cette matinée s’est close par une table ronde, animé par Kevin Guillas-Cavan (ProNeos), réunissant Caroline Blot, secrétaire générale FGMM-CFDT ; Bruno Demaître, expert en charge des CEE, IndustriAll ; Anne Lelong-Nakhlé, directrice des relations sociales internationales, Orange ; Marie Meixner, consultante Syndex et professeure associée à l’Université Paris Nanterre.
Les échanges articulés autour des questions d’effets d’apprentissage, de poids du modèle français, de résistance de l’instance face aux chocs à venir, d’articulation avec la négociation collective, ont permis de mettre en évidence des constats récurrents quant au fonctionnement des CEE, mais aussi des pistes de développement qui apparaissent comme autant d’enjeux pour l’avenir dans la perspective de la préparation d’une nouvelle directive.
Un développement des CEE encore insuffisant et des évolutions de la qualité du dialogue social au sein des CEE qui peinent à s’enraciner.
De nombreuses entreprises multinationales n’ont pas de CEE et certains de ceux qui existent fonctionnent suivant des accords anciens prévoyant de faibles moyens pour remplir leur mission d’information-consultation. L’exemple du recours à l’expertise est significatif : lorsqu’il est possible, il est diversement mobilisé et rarement comme élément central d’une stratégie construite par le CEE. Plus généralement, la vitalité de cette instance est souvent, comme on l’a vu pour la réaction face au Brexit, tributaire de l’engagement personnel, des acteurs tant du côté des directions des relations sociales que des représentants des salariés.
La renégociation des accords et le renforcement des actions pour faire respecter les accords existants comme un enjeu central pour faire vivre les CEE et les armer face aux nouveaux chocs en préparation en renforçant notamment les mécanismes d’information-consultation à l’occasion de ces renégociations.
La place de la formation apparaît essentielle pour faire mieux connaitre les possibilités de l’instance et diffuser les bonnes pratiques en matière de mécanisme de fonctionnement (rôle du comité restreint, lien avec les autres instances du groupe…).
L’européanisation du dialogue social reste un but à atteindre et l’articulation entre le fonctionnement des CEE et la négociation d’accord cadre européen (voire mondiaux) peut y concourir. Le développement de la négociation collective est un chantier à développer, peut-être par la création d’une délégation syndicale européenne pour négocier ces accords.
L’adoption de procédures facilitant l’acquisition d’une culture commune (secrétariat binational français/non français, prise en compte de la diversité des modèles de relations sociales, développement de la formation …) est essentielle pour construire une vision commune du CEE, une meilleure cohésion et une solidarité transnationale. A cet égard, la place souvent prédominante des représentants français et du modèle français de relations sociales pourrait constituer une difficulté pour aller vers la construction d’une identité propre de cette instance. Celle-ci est un enjeu important pour le renouvellement des équipes d’animation et plus généralement pour l’attractivité de ces mandats. Elle interroge également la coordination entre les différentes instances, notamment les Comités de groupe.
En conclusion, pour les participants à la table ronde, dans un moment où le développement de la démocratie sociale pourrait être au centre du modèle démocratique européen, la démonstration de l’utilité des CEE dans l’ensemble des procédures assurant la participation des salariés apparait comme essentielle. A cet égard, la nouvelle directive pourrait y concourir si elle introduit des mécanismes comme la possibilité d’ester en justice pour assurer l’applicabilité de la directive de 2009 ainsi qu’une meilleure définition de la notion de transnationalité à un moment où toute décision économique a un impact dans plusieurs pays.
Pour aller plus loin
A paraître (printemps 2025) : Revue de l’IRES n°115
- Anna Frisone, Marcus Kahmann, « L’impact du Brexit sur les comités d’entreprise européens. Stabilité ou changement institutionnel – un enjeu de négociation »
- Verbatim thématique de la table ronde « Les enjeux actuels et futurs des CEE »


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