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Alors qu’il n’y a pas une semaine sans un nouveau rapport, une nouvelle étude traitant de l’impact des nouvelles technologies sur les métiers et les compétences nécessaires pour y faire face, la littéracie digitale (digital litteracy) ressort parmi les compétences dont les actifs doivent disposer au premier rang pour qu’ils puissent s’insérer, travailler et gérer leurs transitions professionnelles.

 

bureau ordi

 

La Littéracie numérique c’est quoi ?

 

L’OCDE définit la littéracie digitale comme étant « l’aptitude à comprendre et à utiliser le numérique dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses compétences et capacités. »

La littéracie numérique ne se limite pas à savoir utiliser un ordinateur ou un smartphone. Elle intègre trois compétences clés : utiliser, comprendre et créer.

 

 Le Centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique les décrit comme :

Utiliser, fait référence aux connaissances techniques permettant d’utiliser aisément l’ordinateur ou l’Internet. Ce sont les savoir-faire essentiels.
Comprendre, c’est acquérir un ensemble de compétences pour analyser, évaluer et utiliser à bon escient l’information disponible sur le web. Ces compétences participent au développement de l’esprit critique.
Créer, c’est savoir produire des contenus et communiquer efficacement en utilisant divers outils et médias numériques.

 

Achats en ligne, géolocalisation, formalités administratives en ligne ; la digitalisation des activités du quotidien impose de savoir se débrouiller sur internet. La littéracie digitale de la vie courante semble être maîtrisée par une bonne partie de la population bien qu’apparaisse une nouvelle race d’écrivains publics … digitaux !

 

La littéracie numérique vectrice d’inclusion professionnelle

 

smartphone

Appliquée à l’emploi, on pourrait penser que la littéracie numérique soit tout autant maîtrisée comme un prolongement naturel de l’utilisation du digital dans la vie de tous les jours. Ainsi, rechercher un emploi ou une formation sur internet pourrait s’assimiler à chercher un hôtel, un restaurant ou un voyage sur la Toile.

 

Et pourtant… Au-delà de la complexité parfois déroutante de nombreux sites d’emploi alors que les concepts d’expérience client/consommateur sont devenus l’Alpha et l’Omega du marketing digital ; la recherche d’emploi en ligne nécessite des compétences particulières qui dépassent la seule maîtrise des outils. Connaître le vocabulaire utilisé sur les jobboards (secteur, métiers, compétences), faire une requête, critériser ses recherches, avoir suffisamment de sens critique pour identifier les informations pertinentes et enfin écrire dans un langage synthétique pour poser sa candidature ne sont pas à la portée du premier détenteur de Smartphone.

 

Dans le monde du travail, l’enjeu de la littéracie numérique est également de taille. L’automatisation, la robotisation et la cobotisation – où hommes et robots travaillent ensemble – comme le développement de l’intelligence artificielle, conduisent à une mutation profonde des métiers et des tâches dans lesquels le numérique occupe une place toujours croissante. Et cela vient impacter tous les métiers, de l’industrie comme des services. Le cariste d’hier est désormais opérateur logistique. L’informatique y est omniprésente, entre la saisie des entrées et sorties, la préparation des commandes et le pilotage des robots remplaçant les bons vieux chariots élévateurs. Bientôt, les personnels de l’assistanat juridique auront certes toujours besoin de solides connaissances juridiques. Mais, il leur faudra aussi développer des compétences nouvelles en informatique pour s’adapter à la mutation de leur métier impacté par les immenses possibilités de l’intelligence artificielle. Enfin, il est bien loin le temps où l’opérateur de maintenance se promenait de machine en machine avec sa clé anglaise et sa petite burette d’huile. Il doit aujourd’hui – au-delà de connaissances en mécanique, hydraulique, etc. -, maîtriser l’informatique industrielle et avoir une expertise en GMAO (Gestion de la maintenance assistée par ordinateur) !

 

La littéracie numérique est désormais au cœur de l’insertion professionnelle, comme d’une part majeure des métiers, quels que soient les niveaux de qualification.

 

Or être équipé ne revient pas à savoir parler digital

 

Le Credoc vient de sortir l’édition 2017 de son Baromètre du Numérique faisant le point sur l’équipement et les usages que font les Français du numérique. Qu’y lit-on ? Que 73 % de la population française dispose d’un Smartphone (91 % en y ajoutant les téléphones mobiles) et 81 % ont un ordinateur personnel. Quant aux jeunes ils sont 99 % à avoir une Smartphone.

 

Alors, la littéracie digitale serait-elle un débat d’un autre temps ? À la question de leur compétence à utiliser un smartphone ou un ordinateur ; 69 % des Français répondent par l’affirmative et 85 % des jeunes de 18-25 ans. Bien que l’on puisse noter que « seul » un français sur trois affirme ne pas se sentir compétent, il n’est pas certain que les 2/3 restants le soient réellement. Entre dire que l’on sait faire et la réalité de la capacité à savoir utiliser le numérique dans un contexte de recherche d’emploi ou de travail, les personnes ont une nette tendance à surestimer leurs compétences.

 

Et le niveau socio-professionnel n’est pas déterminant. Si une enquête réalisée par Emmaüs Connect en 2015 (1) auprès de jeunes accompagnés par les missions locales montre qu’ils ne savent pas utiliser internet, contrairement à ce qu’ils affirment ; d’autres, adressant un public plus large, parviennent aux mêmes conclusions.

 

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Dans une étude conduite entre 2013 et 2015 sur les compétences digitales de personnes de 15 à 64 ans en Autriche, au Danemark, Finlande, Allemagne et en Suisse par EDCL (Passeport de Compétences informatiques Européen, voir Perception and reality. Measuring digital skills in Europe) il est apparu que si 80 à 90 % des répondants affirmaient être bons, voire très bons dans l’utilisation d’internet, ils n’étaient en réalité qu’entre 30 et 50 % (71 % en Allemagne) à l’être après avoir passé des tests pratiques. L’étude note, en outre, que l’écart en maîtrise du numérique est plus important s’agissant des jeunes, dont les usages sont principalement ludiques.


Un impératif pour les actifs d’aujourd’hui et de demain

 

Le Conseil National du Numérique, dans un rapport pour « Une nouvelle politique d’inclusion numérique » (2), définit l’e-inclusion comme « l’inclusion sociale dans une société et une économie où le numérique joue un rôle essentiel ».

 

Dit autrement, la littéracie digitale constitue un enjeu majeur d’inclusion. Or elle ne concerne pas seulement les jeunes mais également les actifs, d’autant plus alors que les transitions professionnelles se multipliant, l’invitation voire « l’obligation » d’être acteur de sa vie professionnelle impose de savoir utiliser internet pour gérer son parcours de carrière.

 

Peut-on concevoir faire appel aux services de Pôle Emploi dont la digitalisation va croissante ? Peut-on mobiliser ses droits dans le cadre du CPA, peut-on trouver la formation qui aidera à s’adapter aux mutations technologiques des métiers, sans littéracie numérique ?

 

Nombreuses sont les entreprises à l’avoir compris. Que cela soit dans la grande distribution, l’industrie et plus généralement les services; la littéracie digitale est apparue suffisamment importante pour instaurer des « passeports digitaux » pour l’ensemble de leurs collaborateurs. Pourquoi le font-elles ? À la fois parce que leurs métiers évoluant, elles anticipent en leur donnant des clés pour s’adapter à leurs évolutions. Mais également, et c’est tant mieux, pour qu’ils soient en pleine capacité d’être acteurs de leurs transitions professionnelles. Des acteurs digitalisés de leurs transitions.

 

L’Éducation nationale est également face à un défi majeur qui va bien au-delà « d’informatiser » les élèves du primaire et du lycée, ou de créer des programmes spécifiques et figés dans le marbre alors même que la littéracie numérique s’intègre dans toutes les disciplines et est une « matière » mouvante. Il serait bon de relire le Rapport Ferry 3.0 publié en 2014 « Bâtir une école créative et juste dans un monde numérique » (3) dont un chapitre entier est consacré à l’impératif de la littéracie numérique dans les cursus éducatifs.

 

Rendez-vous dans 5 ans pour faire le point… s’il n’est pas trop tard !

 

Pour en savoir plus :
(1) « Les pratiques numériques des jeunes en insertion socioprofessionnelle ». Yves-Marie Davenel – Les études Connexion Solidaire – Mai 2015
(2) Citoyens d’une société numérique « Accès, littératie, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion » – CNN – octobre 2013
(3) Ferry 3.0 – « Bâtir une école créative et juste dans un monde numérique » – CNN – Octobre 2014

 

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Expert mutations du travail, fondateur de Territoires Humains