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La crise de la Covid-19 survenue à la mi-mars 2020 est venue totalement bousculer le fonctionnement de l’enseignement scolaire et supérieur. Après un premier temps d’arrêt total des cours, il a bien fallu que les acteurs de l’éducation s’organisent pour assurer la continuité pédagogique afin que les jeunes concernés ne deviennent pas une « génération sacrifiée ». Quelle sera la suite ?

Le Campus numérique de NEOMA Business School — Source : NEOMA Business School

La réponse à l’impossibilité d’organiser les cours en présentiel durant les périodes de confinement successives a été de les délivrer à distance via les outils de vidéo-conférence, jusqu’alors utilisés principalement par les entreprises. Certes cela ne s’est pas fait sans heurts et, tant pour les élèves et les étudiants que pour les enseignants, les stigmates psychologiques résultant de ces longues périodes d’isolement et de distanciation seront probablement encore présents pour de nombreuses années.

Certes, il n’a pas fallu attendre la pandémie pour que les établissements d’enseignement utilisent les outils digitaux, notamment EcoleDirecte. Cependant ceux-ci étaient principalement mobilisés pour la transmission des notes et des appréciations, l’accès à des ressources documentaires et, hormis quelques contenus pédagogiques, l’enseignement n’avait de raison d’être qu’en présentiel.

La montée des formations en ligne

En parallèle, durant cette période, la consommation de cours en ligne de plateformes telles qu’OpenClassrooms, Coursera ou Udemy a connu une véritable explosion. Non seulement leurs niveaux d’utilisation ont augmenté significativement, mais davantage encore les nouvelles inscriptions. Ainsi le site de cours en ligne Coursera a gagné 31 millions nouveaux utilisateurs pour la seule année 2020 (comparativement à 8 millions de nouveaux inscrits en 2019) pour atteindre près de 80 millions d’utilisateurs aujourd’hui. Là où la majorité des plateformes fonctionnent sur un modèle comparable à celui d’Amazon — quiconque peut proposer des cours en ligne et être rémunéré en fonction du nombre d’utilisateurs — proposant plus de 100 000 cours ; la plateforme Coursera sélectionne auprès des meilleures universités de par le monde (Yale, Stanford, Bocconi, Manchester…) ceux qui sont mis en ligne (4 600 à ce jour). On y trouve notamment des cours proposés par l’Essec, HEC ou encore Polytechnique.

C’est également durant cette période que des grandes firmes technologiques ont affirmé leurs ambitions en proposant de se former à de nouveaux métiers, à distance, venant ainsi bousculer les modèles traditionnels d’enseignement, en particulier sur les métiers liés à l’IT.

Au travers du slogan « Désormais vous n’aurez plus besoin de diplôme », Google a annoncé au cours de l’été 2020 le lancement de nouveaux dispositifs de certification professionnelle accessibles à tous, sans devoir disposer d’une expérience ou d’un diplôme préalable. Ces programmes de certification en analyse de la donnée, gestion de projet ou UX Design, hébergés sur Coursera peuvent être obtenus en 6 mois. Et la firme d’ajouter qu’elle traitera les titulaires de ces certificats de manière équivalente à ceux ayant un diplôme de niveau Master, obtenu lui en 4 années.

Bien que ces cours concernent des compétences centrées sur l’IT, la décision prise par Google constitue un signal particulièrement fort de l’importance, et de la valeur, désormais accordée aux formations en ligne et aux certificats et badges résultant de leur suivi.

Au même moment, le géant informatique indien Infosys, a annoncé vouloir recruter 12 000 collaborateurs aux États-Unis entre 2020 à 2022, en proposant notamment à ceux n’ayant pas de diplôme ou de connaissances spécifiques des métiers du groupe, de suivre son programme « Reskill and Restart ». Un programme qui s’appuie sur une plateforme d’apprentissage numérique associant des outils de science comportementale et des technologies d’intelligence artificielle pour repérer les compétences à développer (soft et hard skills) et déterminer les formations en ligne à suivre qu’elles soient technologiques ou généralistes.

Que traduisent ces phénomènes ? Tout d’abord, la crise de la Covid a en quelque sorte consacré l’usage du numérique en matière d’enseignement. Ensuite, les grandes plateformes de cours en ligne, même si une grande partie des formations proposées concernent des domaines comportementaux, sont aujourd’hui capables de proposer un accès à des enseignements académiques, de qualité, conçus par des institutions reconnues, et donnant lieu à la délivrance de certificats qui ont une valeur auprès des recruteurs.

Du côté des entreprises, la tendance à considérer les candidatures de personnes n’ayant pas suivi un cursus traditionnel d’enseignement au même niveau que celles disposant d’un diplôme tend à se renforcer.

Enfin, quelle sera l’attitude de jeunes qui peuvent, à bon droit, s’interroger sur l’intérêt qu’il y a de suivre des études longues et coûteuses en comparaison de formations en ligne, plus courtes, moins onéreuses et ayant une réelle valeur sur le marché du travail. Lors de la rentrée 2020-2021, les inscriptions dans les universités nord-américaines ont reculé de 10 à 30 % selon les établissements. Est-ce un signe ?

En réalité, ces différents phénomènes viennent réinterroger les pratiques des établissements d’enseignement supérieur face aux géants de l’EdTech et aux GAFAM. Comme le notait Franck Bournois — Directeur général de l’ESCP au début 2021 « La pandémie nous a obligés à trouver des solutions innovantes, à inventer des approches hybrides en arrêtant de différencier présentiel et distanciel. Aujourd’hui il ne s’agit plus de passer d’un mode à l’autre, mais de les mêler ». 

Plus avant, à propos des GAFAM, ce dernier y voit pour les établissements d’enseignement supérieur un risque et des opportunités. Un risque que ces mastodontes investissent puissamment le champ de l’enseignement en faisant l’acquisition de business schools et de grandes universités et en délivrant un enseignement gratuit sur des modèles hybrides ou en ligne. Des opportunités, car cela oblige les universités et les grandes écoles à se réinventer en tirant parti du digital pour créer des modèles d’enseignement hybrides.

Établissements d’enseignement supérieur : se réinventer

L’hybridation entre présentiel et distanciel une opportunité pour l’enseignement supérieur

Dans un récent rapport sur le futur des universités (Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités — Cour des comptes – octobre 2021), la Cour des comptes notait que « L’enseignement à distance, dont la crise sanitaire a montré l’intérêt, permet, sans être un moyen de substitution à l’enseignement en présentiel, des innovations pédagogiques et offre des facilités incontestables. Le développement de formules d’enseignement hybrides, outre les économies de fonctionnement qu’il pourrait générer, amène à reconsidérer, notamment pour la densifier, la relation entre l’enseignant et l’étudiant. Il serait aussi de nature à favoriser des alliances pédagogiques entre universités françaises et européennes, offrant de nouvelles possibilités de formation aux étudiants. ».

De fait, l’hybridation, au-delà des facilités qu’elle peut apporter dans les pratiques pédagogiques — suivre un cours magistral à distance est autrement plus confortable que de se retrouver dans un amphi bondé, voire d’être relégué dans une salle annexe — a ceci d’intéressant, qu’elle offre la possibilité de compléter les matières suivies par des modules en ligne, dans une logique d’approfondissement ou de spécialisation.

Plus avant, elle permet l’individualisation des parcours et des contenus des enseignements ouvrant la voie à des diplômes à la carte. En outre, grâce à l’exploitation des données via l’intelligence artificielle, il est désormais possible de proposer à l’étudiant « augmenté » des parcours d’apprentissage personnalisés basés sur les compétences acquises au fil des études.

Ceci passera très certainement par le développement d’approches partenariales entre l’enseignement supérieur et les acteurs de l’EdTech. Avec des logiques de co-création de contenus pédagogiques ou d’adjonction de cours — pouvant donner lieu à la délivrance de certificats — à des contenus existants en vue d’acquérir des connaissances ou des compétences spécifiques.

Quelle valeur accorder aux micro-certificats ?

Parmi ces derniers, les micro credentials, ou micro-certifications, qui sont une certification attestant de résultats d’apprentissage obtenus après avoir suivi un cours ou un module de courte durée pourraient y jouer un rôle. Cependant, une étude mondiale (HolonIQ – mars 2021) réalisée début 2021 sur l’attitude des établissements d’enseignement supérieur à l’égard des micro-certifications relevait les constats suivants :

  • 85 % des établissements d’enseignement supérieur considèrent les titres alternatifs et les micro-certifications comme une stratégie importante pour l’avenir ;
  • Cependant, la plupart considèrent les micro-certifications comme un complément, plutôt qu’une alternative aux diplômes ;
  • Et l’adoption de micro-certificats est encore émergente pour 68 % des établissements, absente pour pour 20 % et à maturité pour seulement 5 % d’entre eux.
  • À l’heure actuelle, l’utilisation des micro-certificats est principalement ciblée sur des cours de courte durée. Seul un tiers des universités les intègrent dans leur cursus d’enseignement.

Reste que la majorité des dirigeants d’universités considèrent que ces micro-certificats seront à l’avenir intégrés aux programmes diplômants et la moitié d’entre eux s’attendent à ce que les certifications créées par les acteurs de la EdTech ou des entreprises (telle que les GAFAM) deviennent une alternative crédible aux diplômes.

Pour conclure, Andreas Schleicher, Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE, considère que « Cette attention portée aux compétences relationnelles et à la capacité d’autoformation signifie-t-elle que les diplômes traditionnels vont disparaître dans un avenir proche ? Seule une minorité de jeunes Européens (21 %), de recruteurs (11 %) et d’acteurs de l’éducation (8 %) considèrent que les badges et certifications numériques remplaceront à l’avenir les diplômes traditionnels. La plupart d’entre eux considèrent que ce sera un bon moyen de certifier certaines compétences, sans remplacer les diplômes traditionnels. »

L’enseignement supérieur, comme tous les secteurs de la formation, est en chantier.

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Expert mutations du travail, fondateur de Territoires Humains