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Patrice Péchon, propos recueillis par Jean-Marie Bergère

Depuis plus de 20 ans, des grandes entreprises mettent à disposition ce qu’elles ont de plus précieux, les compétences de leurs salariés, au service de projets de développement portés par des PME et TPE dans les territoires où elles sont implantées. Elles le font sans obligation légale, sans pouvoir inscrire une quelconque ligne supplémentaire dans leur chiffre d’affaires. Elles le font à titre gracieux et avec enthousiasme. Patrice Péchon est l’animateur national du Réseau ALIZE (Actions locales en zones d’emploi). Il répond aux questions de Jean-Marie Bergère.

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ALIZE, en chiffres, c’est quoi ?

Aujourd’hui ALIZE est présent dans plus de 30 territoires. Le réseau continue de se développer progressivement en France métropolitaine et en outre-mer.

Chaque année, plus de 150 projets de développement de TPE PME sont accompagnés à travers 500 jours d’apports en compétences pour une promesse de près de 700 emplois créés ou à créer. En 2016, 65 % des entreprises aidées ont moins de 10 salariés et 20 % entre 10 et 20 salariés.

Sur les territoires, plus de 250 établissements de grandes entreprises s’engagent dans cette démarche de solidarité territoriale. Tous les secteurs économiques sont représentés : industrie, services, conseils, banques, services publics, grande distribution… « D’Arcelor-Mittal à Ikea en passant par le 13e bataillon des chasseurs alpins ».

À titre d’illustration, les compétences partagées en 2016 :

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La montée en compétences dans les TPE/PME est indissociable de leur développement, de leur capacité créatrice, d’adaptation et d’innovation. Le besoin en compétences reste permanent dans le temps, même si structurellement la nature des entreprises, des projets et des compétences elles-mêmes, évolue continuellement. Ce besoin peut être ponctuel, lié à une phase de développement, et c’est là que ALIZE intervient.


À l’âge des réseaux et de la mondialisation, qu’apporte la proximité à ces entreprises ?

Cela fait vingt ans que le dispositif ALIZE se déploie sur les territoires. À l’origine quelques grandes entreprises menant pour leur propre compte des opérations de revitalisation suite à la fermeture de sites industriels ont souhaité mutualiser des moyens qui jusque-là étaient investis de façon dispersée. Depuis, sur les mêmes principes d’action collective, de nouveaux territoires sont rentrés dans le réseau en réponse à de nouveaux besoins émergents liés à la GPECT (Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriale), à l’attractivité territoriale, ou encore la recherche de compétences nouvelles.

L’investissement des chefs d’établissement, les patrons de site, est primordial. L’initiative est laissée dans la majorité des cas aux décideurs locaux avec le consentement plus ou moins bienveillant des sièges sociaux.

La définition d’un territoire ALIZE est à géométrie variable. Sa superficie varie d’une communauté de communes à un département avec comme facteur clé le bassin d’emploi. En effet, l’intérêt du programme réside dans la cohérence avec un écosystème local qui lui-même se construit en fonction de la densité des implantations des entreprises, de l’organisation des échanges sur le territoire, de son animation et de ses leaders. ALIZE s’adapte à la diversité des situations locales lorsqu’une volonté de le développer est identifiée.

À l’occasion des vingt ans du réseau, les acteurs ALIZE se sont réunis le 12 octobre dernier dans l’intimité de l’Abbaye Royale de Fontevraud. Les entreprises présentes, piliers du réseau, le disaient ainsi :
« ALIZE, bien davantage qu’un dispositif de mécénat est « une communauté de personnes et d’organisations » » convaincues du « bien-fondé du principe de solidarité sur les territoires. » (Eric Rebiff, SANOFI)

« Je suis un fervent défenseur des réseaux locaux ; j’y crois par tempérament, par expérience et pour tout dire, par conviction. Dans mon entreprise, nous avons une seule règle dans le choix des partenaires : y trouver un intérêt pour l’entreprise qui soit contributif. C’est ce que j’ai trouvé dans ALIZE : une action désintéressée. »(Pierre Dubar, Schneider Electric)

Les idées de mutualisation, d’écosystème, semblent très présentes et dépasser les seules relations bilatérales entre le représentant de la grande entreprise et la PME. Comment fonctionne ALIZE ?

Le Comité local d’agrément est le cœur du réacteur. Il est composé principalement des représentants des entreprises apporteuses de compétences. Ils décident de façon collégiale des compétences qui seront apportées et de la durée de l’intervention. Il est présidé par un de ses membres. Pour répondre au mieux aux besoins, le comité va échanger de façon « bienveillante » avec le dirigeant de la PME qui présente son projet de développement. Pour que cette rencontre puisse se dérouler efficassement, l’action d’un animateur-ambassadeur est indispensable. Il est chargé de détecter les nouveaux projets, d’animer ce comité local. Il se charge ensuite du suivi des projets validés en comité d’agrément. Cet élément facilitateur est souvent porté par une organisation dédiée au soutien des entreprises (CCI, Réseau Initiative, Comcom…).

Chaque dispositif adapte les moyens mis en œuvre en fonction de sa réalité locale tout en conservant une méthodologie éprouvée dont, en tant qu’animateur national, je suis le garant et le diffuseur.

Grâce à cette organisation, l’apport d’ALIZE ne se limite pas à la mise à disposition de compétences. C’est aussi pour le ou la responsable d’entreprise bénéficiaire la possibilité de confronter son projet et d’élargir son propre réseau. Basé sur la coopération et la confiance, ALIZE prend alors une dimension nouvelle.

ALIZE c’est une philosophie fondée sur la bienveillance territoriale, animée par les acteurs du territoire pour le territoire.

La responsable d’une entreprise qui co-préside le Comité local « ALIZE Manche » en témoigne :
« Au sein d’une TPE/PME, chacun doit « faire avec » et « faire vite », avec des ressources souvent limitées, en temps et en argent. Le pire serait l’isolement d’un responsable de PME, face à une difficulté, un refus de prêt bancaire ; l’essentiel est de trouver à qui en parler, avec qui partager… Dans un monde qui change très vite, il est essentiel de pouvoir faire appel à des personnes compétentes, humaines. Sans jugement.» (Maryline Breton, Areva La Hague)

Peut-on parler d’une communauté d’intérêts ?

Parler d’une communauté n’est pas excessif. Les grandes entreprises y trouvent leur compte, sans que des enjeux de sous-traitance ou commerciaux n’entrent en jeu. La PME est inspirante pour l’organisation de la grande entreprise : ALIZE constitue ainsi une démarche de progrès partagée.

En soutenant opérationnellement des projets de développement de TPE/PME, ALIZE permet de pérenniser et/ou créer des emplois dans ces entreprises. Il contribue à renforcer les compétences des chefs d’entreprises dans ces TPE/PME, et plus généralement à multiplier les échanges entre les grandes et petites entreprises, entre les acteurs publics et privés. Notre action conforte l’attractivité des territoires, l’ancrage territorial et la compétitivité des entreprises en complétant les dispositifs existants de soutien au développement économique et de l’emploi.

Le représentant de l’État présent lors de notre 20e anniversaire le dit ainsi : « L’aide aux TPE/PME nécessite une action coordonnée comme dans ALIZE. Il faut pouvoir avoir une réponse coordonnée et rapide. Et ALIZE présente plusieurs exemples réussis de cette coopération avec un partage de compétences ». (David Anglaret, DGEFP)

Enfin, et pour dire encore une fois que ces échanges sont mutuellement bénéfiques, les périodes de mises à disposition, même de courte durée, dans un environnement professionnel très différent du quotidien de la grande entreprise, contribuent à ouvrir de nouvelles perspectives aux salariés, cadres ou techniciens, facilitant ainsi leur mobilité professionnelle.

Vous dites qu’ALIZE est plus qu’un dispositif, plus qu’un outil de développement, en quoi est-ce aussi une philosophie ?

Sans cette philosophie basée sur la bienveillance et le partage, ALIZE ne peut pas fonctionner durablement.

Au sein d’ASTREES, nous sommes convaincus qu’indépendamment de la qualité des chefs d’entreprises, leur réussite est fortement liée à la qualité des échanges avec les partenaires de leur environnement constitué en écosystème. Nous sommes convaincus que la constitution de cet environnement favorable tient beaucoup dans la fréquence et la qualité des interactions qui se mettent en place, l’animation locale garantissant la qualité et la durabilité de ces échanges.

La démarche ALIZE, par ses modalités de mise en œuvre, trouve ainsi toute sa légitimité depuis vingt ans. Elle illustre que la recherche de solutions de développement passe inéluctablement par la construction collective ; que tout doit être prétexte à faciliter les collaborations entre grandes et petites entreprises et avec les collectivités. Elles sont concrètes, opérationnelles et désintéressées, pour reprendre le mot de Pierre Dubar, lorsqu’elles se nouent dans la proximité et les rencontres humaines.

Le représentant d’une PME partenaire déclare : « Dans la chocolaterie, quand on fait des moulages, un enjeu c’est qu’il y a trois fabricants de moules en Europe, on a tous les mêmes – le père Noël, la cloche et la poule – à un moment donné il faut se dire ‘soyons agiles’ et on aura des clients intéressés par de nouvelles formes (…) Ce que j’ai trouvé dans ALIZE, c’est moins des compétences métiers que des compétences transverses ; l’aventure que nous vivons avec ALIZE est formidable, vraiment ». (Jacques Olivier Martin, Chocolaterie Guisabel)

ALIZE est centré sur l’objectif de montée en compétences, mais aussi sur cette dimension humaine très forte : il y a un avant et un après pour les participants aux comités ALIZE. Il y a le plaisir de travailler ensemble et la convivialité, qui contribuent, aux dires de tous, à la cohésion et au partage.

Sur ce constat, l’avenir d’ALIZE passe à coup sûr par le développement de ces valeurs humaines sans lesquels le partage de compétences serait vain. Accompagnant cette évolution, l’engagement personnel, la volonté de partage voire d’altruisme continue de constituer un socle solide. Sans oublier bien sûr le rôle primordial de l’animation au niveau de chaque bassin et au niveau national qui permet de cristalliser ces énergies et bonnes volontés.


Quels sont les projets du réseau ?

Cibler de nouveaux territoires, faire connaître son action au plus grand nombre au travers de multiples canaux – partenaires publiques et privés, presse, témoignages… – est nécessaire au développement d’ALIZE afin que son action atteigne une taille critique susceptible d’entraîner une réaction en chaîne plus naturelle. Ces projets sont aussi dépendants de l’aide que nous apportent le CGET, la DGEFP et l’Union européenne au titre du FSE.

À l’avenir, l’organisation des échanges et des rencontres engendrées par ALIZE, ne doit plus se limiter au simple partage de compétences, mais s’ouvrir à d’autres formes d’actions auprès des jeunes notamment pour que se transmette et se diffuse les fondements d’un mode d’action porteur de développements nouveaux sur les territoires.

ALIZE est une action intégrée aux objectifs et projets de l’Association qui le porte depuis l’origine et qui m’emploie, ASTREES.


Metis connaît bien ASTREES qui nous ouvre ses locaux pour les réunions du Comité de rédaction. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Née en 2007 de la fusion entre « Développement et Emploi » (alors dirigé par Jean-Marie Bergère) et « l’Université Européenne du Travail » (alors dirigée par Claude-Emmanuel Triomphe) l’association ASTREES (Association Travail, Emploi, Europe et Société) est un laboratoire d’idées qui traite de l’avenir des modèles sociaux bousculés par de nombreuses mutations à l’échelle nationale comme européenne.

Elle compte parmi ses adhérents des entreprises, des partenaires sociaux, des organismes de protection sociale, des représentants de services publics, des praticiens et des chercheurs… et représente, à cet égard, un espace de dialogue libre, unique en France. Au plan européen, ASTREES œuvre avec le concours d’un large réseau de partenaires.

Ses actions prennent des formes variées et adaptées aux thématiques traitées comme, par exemple, les mobilités professionnelles, le fait religieux en entreprise, la représentation du travail par les jeunes ou encore l’entreprise étendue. À l’image des Lab (laboratoires sociaux), ASTREES organise des groupes de travail, réalise des études, des missions et des formations spécifiques autour des évolutions du travail de l’emploi, et du dialogue social en France et en Europe.

Patrice Péchon, qu’est-ce qui, dans votre parcours, a nourri votre capacité et votre engagement pour développer ce réseau ?

J’ai consacré ma vie professionnelle au développement économique local d’abord dans le monde agricole puis industriel. J’ai eu la chance d’aborder la plupart de mes missions non pas en réponse à des questions techniques, mais pour l’accompagnement du changement qu’il soit voulu ou subi sur les territoires pour lesquels je me suis investi. Cette expérience diversifiée m’a permis de vérifier que, quels que soient les projets, quelles que soient les sommes investies et quels que soient les territoires, la réussite des projets dépendait invariablement de la qualité des hommes qui les portaient et de la qualité des relations qui en découlaient. Ces liens tissés au fil du temps constituant alors une richesse insoupçonnée, un atout décisif pour le territoire. À partir de ce constat, je suis convaincu qu’ALIZE trouve naturellement toute sa place et son utilité localement, c’est aussi pourquoi je m’engage fortement pour sa promotion et son développement.

ALIZE en France :

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Pour en savoir plus :
p.pechon@astrees.org
www.astrees.org

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