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par Victor Castellani

Installé depuis quelques mois à Marseille, Victor Castellani inaugure pour Metis ses chroniques sur les questions sociales et sociétales perçues dans ou à partir de la cité phocéenne, par bien des aspects unique et qui le revendique. Lumineuse, chaotique et sauvage, la ville a tout de quoi ébahir, enchanter et énerver. Premières impressions.

 

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Je me suis fixé dans un des quartiers les plus emblématiques, celui du Panier, là où les Phocéens, on ne parlait pas encore des Grecs, fondèrent Massalia. Perché au-dessus du Vieux Port, face à la Notre Dame de la Garde, et longtemps peuplé de marins, pêcheurs, trafiquants et femmes de « petite vie », il abrite aujourd’hui Corses, Comoriens, Maghrébins, Marseillais de souche ou d’adoption. Avec ses ruelles tortueuses, ses tags d’artistes, ses murs couleur ocre, et, un peu partout, du linge accroché aux fenêtres, on y vit un peu comme dans un village. Sa réhabilitation entamée il y a près de 15 ans est assez réussie et, pour une fois, n’a pas chassé les pauvres. C’est peut-être pour cela qu’il garde une réputation sulfureuse. Pour beaucoup de Marseillais, la Canebière marque la séparation entre le bon Marseille – au sud – et le mauvais au Nord. Et le Panier est du mauvais côté…

 

Deux fois et demi plus étendue que Paris et cinq fois plus que Lyon, ma ville d’adoption combine au sein du même territoire, cités et villages, centres et banlieues. Globalement, on n’y est pas riche, sauf du côté du Prado ou du Roucas Blanc. Avec un taux de pauvreté des ménages qui flirte les 25 %, elle surpasse et souvent de loin la quasi-totalité des grandes villes françaises. On y chôme beaucoup et en particulier dans le centre. On y bosse aussi, parfois dur, parfois à la cool. Au nord, mais aussi au centre : les pauvres, au sud : les riches. Corse, italienne, arménienne, algérienne, marocaine, tunisienne, comorienne, mais aussi espagnole, maltaise pour ne pas parler de la Parisienne, l’appartenance communautaire compte encore beaucoup. Parfois beaucoup trop. Et les jeux politiques, de droite comme de gauche, ont usé et abusé de ces appartenances contribuant ainsi à un communautarisme qu’ils font mine de dénoncer par ailleurs.

 

Chacun chez soi. Ghettos, ségrégation, les mots sont peut-être un peu forts. Peut-être seulement. Car, en dehors du Vieux-Port et du Stade Vélodrome (rebaptisé Orange, mais visiblement l’appellation ne prend pas !) on s’y croise peu. Tout est fait d’ailleurs pour cela. Métro et trams ne desservent pratiquement que le centre-ville. Et les extensions, celles qui pourraient rapprocher « la racaille » de la Bonne mère sont sans cesse repoussées. Passées les impressions du Mucem, des terrasses du Port ou d’Euroméditerranée où la ville a voulu, capitale européenne de la culture aidant, faire bonne figure, la sous-infrastructure publique est criante, et plus encore au nord, cela va de soi. On pourrait parler d’un maire – 4 mandats ! – qui dit à qui veut l’entendre que les quartiers nord ne sont pas son affaire. On pourrait se scandaliser de ces bus qui pour la plupart s’arrêtent à 21h30, quand ce n’est pas dès 19h15. De la propreté qui relève du rêve. De la collecte des déchets qui tourne au cauchemar lors de grèves, longues et récurrentes, et aux conséquences que l’on peut imaginer. Des rats qui, solidement établis, vous tiennent compagnie. Du crime, présent au quotidien, mais qui du Panier semble éloigné. D’une police, nationale ou municipale, que l’on ne voit guère que dans ses bureaux ou ses véhicules. La liste pourrait être longue, Marseille je vous le disais, a de quoi beaucoup énerver.

 

Mais ce serait faire l’impasse sur sa beauté. Belle – ou « tarpin belle » comme ils disent -, par sa lumière irradiante et bienfaisante. Par son autre Bonne Mère, la grande bleue, jamais très loin. Par son parler unique et chantant. Par son architecture qui mélange allègrement à peu près tous les styles dans un désordre savamment recherché. Par ses côtés villages. Par son authenticité, souvent brute, mais plutôt franche. Par son endurance face au quotidien. Par la rapidité avec laquelle on peut s’emboucaner toute la nuit et plaisanter quelques minutes après. Par ses énergies enfin, celles que mettent beaucoup des siennes et des siens, à inventer un Marseille qui, envers et souvent contre tout, redresserait la tête. Et rassemblerait au lieu de diviser.

 

Ce Marseille-là je le garde pour de prochaines chroniques. D’ici là, allez, vous prendrez bien un pastaga !

 

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