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par Mission Société Numérique

Mesurer l’importance prise par le télétravail n’est pas chose facile tant cela dépend de la manière de le définir. Une note du Laboratoire du numérique du 25 septembre 2017 (Dossiers, Pratiques, Territoires) donne une photographie et retrace les évolutions récentes qui vont toutes dans le sens d’un développement de plus en plus important.

 

télétravail

 

En pleine concertation autour de la loi Travail, les organisations syndicales et patronales ont rendu public au début de l’été un rapport conjoint des partenaires sociaux sur « le développement du télétravail et du travail à distance ». 

« Même si le télétravail formel se développe peu en France, il prend une nouvelle dimension aujourd’hui en raison de la conjonction de plusieurs réflexions portant sur l’impact des outils numériques sur le travail, le mode de réalisation et d’organisation du travail » observent dans ce document les partenaires sociaux.

« Avec le développement des outils numériques, le recours au télétravail fait l’objet d’une demande accrue des actifs, pour mieux articuler vie professionnelle et personnelle comme en témoigne l’essor croissant des pratiques de télétravail informel. Cela correspond également, pour certaines catégories de fonctions, à une évolution rapide des usages professionnels vers plus d’autonomisation, notamment vis-à-vis du lieu de travail. Les entreprises y voient un outil de motivation et d’attractivité, en particulier pour conserver certaines compétences clés ».
Le télétravail a été créé il y a maintenant 12 ans par un accord national interprofessionnel (ANI), transcrit pour partie dans le Code du travail en 2012.

 

Télétravail formel et informel : de 16 à 20 % des salariés concernés

 

La réalité du télétravail en France est difficile à appréhender. Les données disponibles reposent sur trois types de sources : des enquêtes statistiques publiques (assez anciennes), une analyse des accords et des enquêtes menées auprès des bénéficiaires.

Les estimations diffèrent largement en fonction de la définition qui est donnée du télétravail dans ces différentes études : travail à distance (et ses diverses modalités : travail itinérant, travail nomade ou mobile) ou télétravail au sens strict cadré par un accord d’entreprise ou une charte. Alors que pour certaines études, l’analyse porte sur le télétravail salarié, d’autres études incluent le télétravail indépendant.

Selon les sources, la proportion de télétravailleurs varie de 2 % à 6 % pour le télétravail cadré par un accord d’entreprise, mais pourrait atteindre 16 %, voire 20 % pour le télétravail informel.

La DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) du ministère du Travail estimait en 2004 à 2 % des salariés qui pratiquaient le télétravail à domicile, et 5 % le télétravail nomade. Le télétravail est ici défini comme une activité où le salarié fait un usage professionnel intensif de l’informatique, à l’extérieur de son entreprise. « Sur 22 millions de salariés en France, on estime que 440 000 pourraient être considérés comme des « télétravailleurs à domicile » et 1 100 000 comme des « télétravailleurs nomades », soient respectivement 2 % et 5 % des salariés ». La DARES estimait, en outre, à 6 % la proportion de non-salariés qui remplissaient les critères adoptés pour définir le télétravail à domicile.

En 2009, l’INSEE observait une forte progression du télétravail. À partir de son enquête annuelle sur l’usage des TIC dans les entreprises, elle notait que 22 % des entreprises disposant d’un ordinateur avaient recours au télétravail. Selon l’INSEE, le télétravail était massivement pratiqué dans des entreprises de services liées aux TIC (55 %), dans les services financiers (49 %), dans les services aux entreprises, dans le conseil et la publicité.

Dans un rapport consacré au télétravail dans les grandes entreprises françaises, le cabinet Greenworking évaluait en 2012 à 12,4 % la proportion des salariés français qui télétravaillent au moins 8 heures par mois ». L’idée même du télétravail s’est banalisée pour trois employeurs sur quatre, mais la pratique ne s’est pas encore institutionnalisée : 75 % des grands groupes sont encore en phase d’expérimentation avec un projet pilote concernant en moyenne entre 30 et 200 salariés ». Selon Greenworking, le télétravail concernait également les hommes et les femmes ainsi que toutes les générations. « Le profil type du télétravailleur remet en cause de nombreux préjugés. D’abord, le télétravail n’est ni spécifiquement féminin (63 % d’hommes), ni spécifiquement jeune (seuls 3 % des télétravailleurs ont moins de 30 ans). Le télétravail peut apporter autant de bénéfices à toutes les générations, notamment aux seniors pour qui le télétravail peut constituer une transition pertinente vers la retraite ».

L’enquête nationale « Tour de France du télétravail » réalisée par un groupement de spécialistes du coworking et de nouvelles formes de travail (LMBG Worklabs, Neo-nomade, Openscop et Zevillage) proposait en 2013 une estimation nettement plus haute : 16,7 % de télétravailleurs au sens où ils travaillent au moins une fois par semaine « en dehors du bureau ». Parmi eux 48 % sont salariés du privé, 17 % salariés du public et 35 % non-salariés. Dans 67 % des cas, la pratique est informelle. Dans 56 % des cas, elle n’est réalisée que 1 ou 2 jours par mois. 79 % du télétravail se ferait à domicile, 7,9 % dans des espaces de co-working, des télécentres, des bureaux partagés et 2,5 % en centre d’affaires.

Dans un Guide méthodologique sur le télétravail, l’ANACT, pour sa part, évaluait en 2015 à 14,2 % la part des salariés du privé et du public qui pratiquent le télétravail.

Selon une enquête réalisée par IPSOS, 14 % des Français travaillant dans un bureau pratiqueraient déjà en 2016 le télétravail de façon ponctuelle et 10 % de façon régulière (soit 24 % au total).

Le cabinet Obergo, qui s’en tient à une définition plus stricte du télétravail, met en doute ces estimations : selon ce cabinet « les entreprises restent toujours frileuses sur le télétravail qui se développe malheureusement moins vite que ne le disent les chiffres « officiels » malgré la forte demande des salariés ». Obergo estime que le taux réel de télétravailleurs en France (ensemble des secteurs d’activité) est plus près de 2 % que de 16 %.

 

Une centaine d’accords d’entreprises

 

Depuis l’ANI (Accord national interprofessionnel) de 2005, on recense près d’une centaine d’accords d’entreprise. L’institution du télétravail sur la base d’un avenant au contrat de travail ne fait pas l’objet d’un suivi statistique.

Le cabinet Obergo répertorie 80 accords d’entreprise et 3 accords de branche depuis 2005, répartis comme suit : 66 accords d’entreprise dans le secteur privé, 3 accords dans la fonction publique et 11 accords ou chartes dans le secteur parapublic.

 

Une grande diversité de situations

 

teletravail

 

Le télétravail est très concentré dans quelques secteurs (informatique, ingénierie, conseil, télécoms, industries pharmaceutiques, industries métallurgiques assurances, banques…), où la proportion de cadres est forte, sur quelques fonctions cibles et dans les sièges sociaux. Les secteurs des télécoms, du numérique ou encore des banques sont fortement représentés. Selon Obergo, c’est le secteur des TIC (Informatique et télécommunications, SSII, constructeurs…) qui connaît les taux de recours au télétravail les plus élevés : 12 % en moyenne, avec, cependant, de fortes disparités.

Si certaines entreprises ouvrent le télétravail à un champ large de fonctions, la plupart le réservent aux cadres supérieurs autonomes, aux salariés en forfait jours ou aux techniciens dont le travail est aisément quantifiable et contrôlable.

Selon une étude réalisée pour le compte du cabinet en recrutement MichaelPage, 70 % des cadres déclarent avoir la possibilité de faire du télétravail (contre seulement 36 % pour l’ensemble des salariés interrogés). 49 % des personnes ayant répondu à l’enquête estiment que « c’est une initiative positive pour rééquilibrer entre vie personnelle et vie professionnelle ».

 

Des perceptions du télétravail globalement positives

 

Si l’ampleur du recours au télétravail est controversée, les enquêtes font état d’une satisfaction très forte tant pour les salariés que les entreprises. En matière de qualité de vie au travail, le télétravail est le thème qui obtient le score le plus élevé dans tous les baromètres d’entreprises ou sondages nationaux sur le travail.

Selon le rapport « Le télétravail dans les grandes entreprises » (Greenworking 2012), 85 % des entreprises interrogées considèrent que le télétravail a un impact positif sur leur compétitivité (entre 5 % à 30 %).

Selon l’enquête Obergo, 95 % des répondants considèrent que le télétravail est source d’amélioration de leur qualité de vie personnelle. 61 % ressentent une augmentation de leur temps de travail.

 

De fortes attentes des salariés

 

Selon une enquête réalisée en 2016 pour le compte de la société Randstad (spécialisée dans le recrutement et le travail intérimaire), 64 % des salariés seraient favorables au télétravail :
– 17 % souhaitent télétravailler un nombre de jours fixes par semaine (2,5 jours par semaine en moyenne
– 35 % aspirent à télétravailler occasionnellement ;
– 12 % souhaiteraient travailler tous les jours ouvrables

Toujours selon cette étude, les employeurs semblent plutôt réticents à mettre en place cette organisation du travail (16 % seulement des salariés interrogés ont déclaré s’être vu proposer le recours au télétravail). Ils expriment la crainte de perdre le contrôle sur les activités de leurs salariés et évoquent également des contraintes juridiques et réglementaires.

Selon l’enquête IPSOS Revolution At work, les Français estiment majoritairement que le télétravail est une « bonne chose » pour réduire les embouteillages (79 %), « faciliter la décentralisation économique » en dehors des grandes villes (71 %) et pour le rythme de vie (70 %). Pour ce qui est des contacts, la tendance s’inverse. 28 % pensent que c’est « plutôt une mauvaise chose » pour les échanges avec d’autres professionnels (26 % « plutôt une bonne chose ») et 44 % portent le même jugement plutôt négatif « pour les relations entre collègues » (contre 15 %). Interrogés, dans cette enquête, sur les moyens qui permettraient d’être « plus efficaces » dans leur travail, les Français interrogés privilégient des horaires « plus flexibles » (85 %). 72 % souhaitent « travailler plus souvent de chez soi ». 65 % souhaitent avoir accès à « des espaces de convivialité pour favoriser les échanges informels » (65 %). 52 % envisagent de travailler plus souvent dans des espaces de coworking, cafés et autres salles de réunion partagées.

Selon la dernière enquête « Conditions de travail », conduite par l’INSEE et le Ministère du travail, en 2013, 60,5 % des salariés pouvaient accéder à leur boîte à lettres électronique professionnelle, quand ils ne sont pas sur leur lieu de travail (79 % des cadres, 42,4 % des employés, 47,3 % des ouvriers). Au-delà de la simple messagerie, 19,5 % peuvent accéder au système informatique de l’établissement (50,3 % des cadres, 8,6 % des employés, 5,2 % des ouvriers). L’utilisation d’un téléphone portable à des fins professionnelles est passée de 32 % en 2005 à 45 % en 2013 et de 53 % à 60 % chez les cadres.

La Caisse des Dépôts et consignation (CDC) a entrepris d’évaluer la demande de télétravail en Île-de-France à l’horizon 2025. La CDC souhaitait, à cette occasion, cerner la part du télétravail qui pourrait être satisfaite par les télécentres (existants et à créer).

L’évaluation de la demande de télétravail concernait chacune des 3 catégories de population qui sont appelées à fréquenter les télécentres : indépendants, TPE et salariés de PME – grandes entreprises. Les ouvriers et les agriculteurs (23 % de la population active en Île-de-France) n’étaient pas inclus dans le périmètre de l’étude.

Dans le scénario tendanciel retenu (et qui prend en compte notamment les futures infrastructures du Grand Paris), la part de télétravail pourrait atteindre 21 % en Île-de-France. S’agissant de la part du télétravail qui pourrait être satisfaite par les télécentres, les projections de la CDC décrivent une situation en 2025 avec 318 télécentres en Ile-de-France, qui offriraient au total 67 000 places fréquentées par 171 000 télétravailleurs (le télétravail étant pratiqué majoritairement à temps partiel). Les résultats des simulations montrent des effets positifs majeurs dans cinq familles d’externalités : transport, gains directs pour les salariés, gains directs pour les entreprises, santé, attractivité et développement économique.

 

Des dispositions favorables au télétravail dans les Ordonnances de 2017

 

télétravail

 

L’ordonnance n° 3, rendue publique le 31 août, concerne le recours au télétravail en introduisant la présomption d’imputabilité d’accident du travail.

Elle prévoit qu’« en cas de recours occasionnel au télétravail, celui-ci peut être mis en œuvre d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. Ce double accord est recueilli par tout moyen à chaque fois qu’il est mis en œuvre ».

« Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise. Il a notamment les mêmes droits collectifs et dispose du même accès à la formation. Pour faire face à des contraintes personnelles, tout salarié qui occupe un poste éligible à un mode d’organisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif ou, à défaut, par la charte, peut demander à son employeur le bénéfice du télétravail. « L’employeur qui refuse d’accorder le bénéfice du télétravail à son salarié doit motiver sa réponse. »

L’ordonnance n° 1 réaffirme le droit à la déconnexion dans les mêmes termes que la loi El Khomri.

Pour en savoir plus :

 

La mission Société Numérique met en œuvre un programme d’action pour favoriser l’autonomie et la capacité de tous à saisir les opportunités du numérique et pour accompagner la transition des territoires. Notre ambition : structurer, outiller et accélérer des projets pour faire émerger une société numérique innovante et inclusive.

 

Sources :


2004
– DARES (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), ministère du Travail, Le télétravail en France : 2 % de salariés le pratiquent à domicile, 5 % de façon nomade

2009
– INSEE, E-administration, télétravail, logiciels libres : quelques usages de l’internet dans les entreprises 
– Conseil d’analyse stratégique, Le développement du télétravail dans la société numérique de demain 

2012
– Greenworking, Synthèse remise au ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numerique, Le télétravail dans les grandes entreprises françaises, Comment la distance transforme nos modes de travail 

 

2013
– LMBG, Tour de France du télétravail

 

2014
– Caisse des Dépôts, Direction du développement territorial et du réseau, « Externalités des télécentres », Rapport Synthèse 
– DARES (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), ministère du Travail, Conditions de travail Reprise de l’intensification du travail chez les salariés, 2014 (données 2013)

 

2015
– Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), Guide méthodologique sur le télétravail, Premiers repères
– Commissariat Général à l’égalité des territoires, Étude sur les opportunités des territoires à développer le télétravail, modélisation des gains pour les individus, les entreprises et les territoires
– DARES, Résultats de l’Enquête Conditions de travail 2013 (Intensité du travail et usages des technologies de l’information et de la communication) 

2016
– Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) Île-de-France, Nouveaux modes de travail et enjeux de mobilité
Randstad Awards 2016 : deux salariés français sur trois sont favorables au télétravail
– Ipsos, Revolution at work, rapport de résultats
– Conseil national de l’information statistique, La mesure du télétravail dans les enquêtes sur le travail (note de Thomas Coutrot)

 

2017
– Cabinet Michael Page, L’usage du numérique et l’équilibre vie professionnelle et vie privée 

– Rapport conjoint des partenaires sociaux sur « le développement du télétravail et du travail à distance », (remis le 7 juin 2017 à la ministre du Travail) 

 

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