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Petits boulots : comment j’ai traversé la rue…

publié le 2018-10-07
par Violette

On le sait depuis que le Président de la République a dit qu’il suffisait de traverser la rue : quoi de plus simple que de trouver un petit travail à Paris ? Surtout quand on est une fille… À travers ce récit qui détaille une bonne partie de ma vie ces trois dernières années – j’ai 22 ans – je parlerai de mes expériences professionnelles, les bonnes comme les mauvaises.

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Il y a maintenant trois ans, je suis rentrée de deux années d’études en Irlande – où j’ai passé mon leaving certificate – la tête ailleurs et n’ayant aucune idée du parcours à suivre ni même de ce que je voulais faire. J’ai donc opté pour ce que la plupart des jeunes font dans mon cas : trouver un petit boulot, histoire de prendre le temps de réfléchir.

On commence généralement son premier job dans la restauration (cantine bobo ou vrai bistro de quartier, pas besoin d’expérience, juste du courage). C’est donc ce que j’ai fait. La chaîne de restauration Cojean fut mon tout premier poste, mais pas le dernier. Une des pensées qui me revient de cette époque est : «  Qu’est ce que c’est facile de trouver un travail, en fait ! » Certes, c’est simple de trouver un petit job à Paris. En deux heures vous trouvez ! Ceux qui vous diront le contraire mentiront. En revanche, très souvent pour moi, ces petits boulots ont tourné au cauchemar.

Cojean a plutôt bien démarré : un bel entretien où je m’étais très bien préparée, une journée de formation assez speed (et non payée) où ils vous mettent dans le bain directement en vous faisant travailler en cuisine et une formation très rapide à la caisse. Généralement, les journées de formation se passent bien pour tout le monde, ils sont assez indulgents. Une tenue réglementaire : un jean bleu foncé et le fameux t-shirt Cojean d’un bleu assez pâle. Au départ, on en reçoit trois ; charge aux employés de les laver chez eux et d’en avoir tous les jours un propre.

Je travaillais de 7h à 15h, cinq jours par semaine, une centaine d’heures par mois. Me lever à 6 h du matin pour cuisiner n’était pas le plus difficile. Je ne m’en suis jamais vraiment plaint, même si cela fut vraiment dur au début, surtout mentalement. Mais j’apprenais des choses, principalement sur moi-même : j’étais encore une « petite fille » à cette époque et le monde du travail était bien loin de moi. Pour la première fois, je sortais de mon confort ; cela me faisait du bien. Je rencontrais de nouvelles personnes et puis, on peut manger sur place et c’est bon !…

Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est le fait que, si je vivais encore chez mon père et que ce boulot était surtout pour moi une manière d’attendre et de gagner un peu d’argent, pour certaines filles qui embauchaient à 6h comme moi, c’était leur « véritable » travail : elles avaient laissé tomber leurs études ou ne pouvaient faire que ça étant donné leurs diplômes. L’une d’entre elles habitait dans l’Oise ; elle se levait à 4h pour commencer à 6h boulevard Haussmann. Cette réalité-là, je la voyais pour la première fois.

Cojean’ai marre !

J’ai tenu trois mois – le temps d’aller presqu’au bout de ma longue période d’essai. D’ailleurs, je ne sais même pas si une employée a le droit de faire une période d’essai de cette durée. Vite, un spécialiste du droit du travail !

Ah le droit !… Ce n’est pas qu’il n’est pas respecté, mais on est toujours à la limite (ailleurs, je verrai que certains patrons s’en foutent franchement). La manière dont les employés sont traités est un des points négatifs de ce job : c’est en fait un travail à la chaîne. C’est pour ça qu’il n’y a besoin que d’une journée de formation : tout est pensé pour toi et si tu n’es pas trop stupide, tu comprends et tu t’adaptes très vite. Et c’est les autres qui te forment sur le tas. Tout se passe très rapidement, arrivé 7h le matin pour préparer les cinquantaines de fromages blancs et sandwichs véganes à la chaîne. On te stresse si tout ne va pas assez vite. 9h : arrivée des premiers clients, service du petit-déjeuner classique : latte, cappuccino… Ensuite, on repart préparer des sandwichs. Puis, arrive le service du midi, les clients déboulent tous en même temps, de plus en plus, et là c’est l’agitation derrière les caisses, le bar à jus, tout est mixé minute, tout doit aller très vite. 15 h : le rythme se ralentit, c’est l’heure des goûters et l’heure de tout laver : le sol, les murs, la plonge, la machine à café : tout est orchestré mécaniquement.

Malgré tout, cela reste quand même une manière militaire d’agir et rien ne prévenait les conflits entre collègues, dû à la jalousie des filles venant de banlieue et dont ce travail est toute leur vie, contrairement aux Parisiens qui prennent ce petit boulot plus à la légère. Les conversations entre nous étaient de plus en plus sèches, des irritations dans la voix ; cela devint très pesant pour moi malgré les apéros Cojean plutôt sympas.

Malheureusement, j’ai lâché prise. Retards, absences, un peu d’indiscipline aussi, quelques erreurs. Je n’y arrivais plus. Le manager m’a alors dit que ce serait bien que j’arrête. J’étais d’accord. On s’est quitté comme ça. J’ai eu l’impression alors que c’était une manière courante pour eux de se débarrasser des employés qui ne faisaient pas vraiment l’affaire. Le turnover est impressionnant et ceux qui restent le plus longtemps n’ont, soit pas d’autres perspectives de travail, soit sont des étudiants – souvent étrangers – qui bossent un an chez Cojean avant de rentrer chez eux. L’affaire est assez rôdée et chaque semaine plein de jeunes sont formés qui ne resteront que quelques mois.

Si je ne couchais pas avec lui, il me virait. Donc… il m’a virée.

Ni une ni deux, j’ai « retraversé la rue » comme on dit maintenant. Pour trouver un autre job. Tout aussi intense, mais d’une autre manière : la restauration brute, la salle, l’impolitesse des clients, le portefeuille à tenir et le plateau qui va avec. Moi qui n’avais jamais fait ça, je suis tombée de haut. Parce qu’à Paris on trouve peut-être du boulot dans la journée, mais qu’est-ce que c’est dur !

Je suis tombée de haut pour plusieurs raisons : d’abord, plus que la dureté du travail, c’est celle du manager qu’il m’a fallu endurer. Ensuite, si je ne couchais pas avec lui, il me virait. Donc… il m’a virée.

C’était sur les Grands Boulevards, une grosse brasserie, beaucoup de couverts. Que des filles en salle et seulement deux hommes : le barman et le patron qui recrutait son équipe sur des critères physiques uniquement. Moi, ça passait : j’étais mince, brune, les cheveux longs. C’est ce qu’on recherche dans la restauration. C’est pour ça aussi que je n’avais pas voulu demander du travail dans les cafés branchés du type Costes : on m’avait dit qu’ils ne prenaient que des filles de mon type. C’est dégueulasse pour les autres ! Je n’ai même pas voulu y aller. C’est dans cette brasserie que j’ai découvert deux types de pratiques révoltantes.

La première, on l’aura compris, c’est le harcèlement sexuel. Enfin, on ne le comprend pas comme ça au début : tout le monde est sympa, le patron peut offrir un verre à toute l’équipe à la fin du service ; certaines vont même en boîte avec lui. Mais très vite, il veut coucher avec toi. C’est ce qui s’est passé. Pas qu’avec moi d’ailleurs, avec d’autres aussi : soit la fille accepte, et ça se passe bien pour elle le temps qu’il s’en lasse. À ce moment-là, sa vie devient un enfer et elle est virée ; soit la fille n’accepte pas et sa vie devient tout de suite un enfer… avant d’être virée. On comprend pourquoi il y a un gros turnover… mais pas pour les mêmes raisons que chez Cojean. Ce genre de situation entraîne des engueulades entre les filles : celles qu’il drague, celles avec qui il a couché, etc. C’est malsain.

« Je vais te virer ! » ; « T’es virée ! »… Ce sont des mots que l’on entend tout le temps. C’est ça ma seconde découverte révoltante : comme les filles qui travaillaient dans cette brasserie étaient toutes jeunes, sans diplôme, venant souvent de banlieue, elles ne connaissaient pas leurs droits : quand on arrivait dans ce restaurant, on signait un CDI ; c’était la règle. Mais lorsque le manager disait à l’une des filles qu’elle était virée, la fille croyait sincèrement qu’il en avait le droit, un peu comme dans un film américain : tu bosses bien, tu reviens le lendemain, tu ne fais plus l’affaire, t’es virée et tu retrouves un autre boulot ; c’est comme ça. Donc, la fille virée le vendredi restait chez elle le lundi suivant puisqu’elle était virée. Et elle cherchait un autre job. Entre-temps son absence devenait un abandon de poste et hop ! c’était la fin de son contrat…

Et encore là, on avait la chance de signer un contrat. Parce que ce n’est pas partout le cas. Un été, pour me faire de l’argent, je suis retournée en restauration. Une de mes amies travaillait dans un petit bistro vers Châtelet ; elle me dit que son patron recherchait une serveuse supplémentaire pour la grande saison.

Le patron était un sicilien, assez bourru avec une bonne tête d’escroc, ce qu’il était largement avec les touristes américains et… son propre personnel. Dès le premier rendez-vous au restaurant, il fut expéditif et très clair : il avait besoin d’une autre main-d’œuvre devant juste fermer sa gueule et travailler. N’ayant à ce moment-là aucune autre proposition, j’ai accepté.

Travaille et ferme ta gueule !

Le patron m’a tout de suite mis derrière le bar, pour servir les verres et faire la plonge : un classique. Rapidement, les commentaires machistes sont apparus : il ne nous appelait pas par nos prénoms, ma copine et moi, mais il nous sifflait… Travaille et ferme ta gueule, sauf qu’il méprisait notre travail, nous rabaissant en tout. Il ne nous faisait pas confiance, car bien sûr nous étions des femmes et nous rabâchait de faire attention avec l’argent de la caisse.

Un dimanche matin, je travaillai derrière le bar pour faire les cafés matinaux. Tout d’un coup, suite à une mauvaise manœuvre, une tasse s’est brisée sur mon genou et m’a entaillée assez profondément. C’est assez classique, mais ça s’appelle aussi un accident du travail. Pour le patron, c’est autre chose : ça s’appelle des emmerdements… Il m’a tout de même permis de me rendre à la pharmacie dans la rue d’à côté. Là, le pharmacien m’a demandé d’aller aux urgences. Impossible : j’avais le patron sur le dos qui me disait que je pouvais me soigner toute seule en rentrant chez moi. Ce que je fis.

Le soir même, je reçus un appel du patron, assez énervé, sur la défensive. Sans même me demander comment j’allais ou si je n’avais plus trop mal, il me questionna pour savoir si j’étais finalement partie aux urgences et si j’avais expliqué comment je m’étais blessée, tout en rajoutant qu’il espérait que je ne n’étais pas assez « conne » pour avoir fait ça…

La réalité, c’est que cette fois-ci je n’avais pas de contrat. Depuis le premier jour, j’attendais de le signer, mais je n’en avais pas encore vu la moindre trace. Quand je lui demandais s’il allait m’en donner un, tout de suite il s’énervait : « Oui, ça va arriver ! Bosse plutôt… » Après l’accident, il s’est mis à se méfier de moi ; il me parlait de plus en plus mal. À mon tour, je lui tenais tête, je ne me laissais plus faire. La situation dégénérait entre nous, mais je continuais à travailler, je voulais être payée.

Quels étourdis ces comptables !

Un matin, ma copine qui travaillait avec moi arriva deux heures en retard. Bizarrement, nous fûmes toutes les deux convoquées en bas, au sous-sol. Il commença alors à nous engueuler toute les deux, comme si son retard à elle était aussi de ma faute. En réalité, il prenait prétexte de cet incident pour me virer moi. Il me dit finalement de « dégager » du restaurant. Ce que je fis immédiatement. Je me suis même enfuie, je n’en pouvais plus. Mais virée sur un simple mot, sans contrat de travail, je n’étais plus certaine de toucher mon salaire…

Je me résignai alors à en parler à mon père qui, lui, connaît le droit du travail ; j’ai cette chance. Ensemble, nous allâmes trouver mon patron dans une scène d’engueulade mémorable : celui-ci commença par nous prendre de haut, mais je hurlai devant les clients pour l’obliger à céder et à me payer : « Si jamais tu ne me payes pas, je reviendrai te foutre la honte comme ça, devant tes clients, tous les jours ! » Mon père tenta de nous calmer, m’éloigna, lui parla contrat de travail et lui cita pêle-mêle l’Urssaf, l’inspection du travail et même les services d’hygiène de la ville de Paris… Soudainement plus calme, le patron assura que cette absence de contrat était une erreur du comptable et qu’il allait payer tout ce qu’il me devait. Il demanda juste à ce que mon père l’appelle dans quelques jours, le temps de faire les papiers ; il ne voulait plus avoir affaire avec moi. La semaine suivante, il demanda à mon père de passer seul au restaurant : mon contrat de travail, les bulletins de salaire et le papier pour s’inscrire à Pôle emploi, tout était là. Même une prime exceptionnelle qui, selon lui, avait été oubliée. Quels étourdis ces comptables !…

J’ai encore continué quelques fois dans la restauration. Mais je me suis tournée vers des petits restaurants de quartier dont je connaissais un peu les patrons : des extras de temps en temps. Simple, efficace et en cash le soir même. Je travaille et je ferme ma gueule, mais au moins je suis payée tout de suite ; et j’empoche les pourboires. Certains restaurateurs m’ont fait pleinement confiance, me rappelant régulièrement. L’un d’entre eux me demandait même à un moment de tenir seule le restaurant jusqu’à la fermeture : à partir de 23h, il rentrait chez lui, je finissais le service et fermais le restaurant. C’est le plus dur : une fois que tout le monde est parti, rentrer les tables, nettoyer, faire la caisse…

À cette époque, je m’étais mis en tête de faire des études d’art et je donc devais économiser pour payer moi-même l’école privée à laquelle je me destinais. Je me suis donc tournée vers l’habillement et, après avoir travaillé un été pour Pimkie dans le centre commercial de Créteil Soleil, je me suis retrouvée – un peu par hasard – dans le milieu des boutiques de luxe pour enfants, en l’occurrence Bonton.

Jouer les bourgeoises

Me voici donc dans une grande boutique du 6e arrondissement : la marque Bonton qui vend des vêtements de luxe pour enfants. Mon recrutement fut assez simple, je n’ai eu qu’à déposer un CV dans la boutique. Le jour même, on me rappelait. Pour l’entretien, cela fut un peu plus compliqué que les autres bizarrement, alors que pour moi vendre des vêtements était beaucoup plus simple que de porter un plateau avec 4 bouteilles de vin dessus…

L’entretien était simple, les dix premières minutes : j’ai parlé de moi, de mon parcours professionnel, de mes expériences plus ou moins nombreuses dans la vente… En revanche, l’étape 2 s’est un peu « compliquée » : on m’a demandé de passer directement en boutique, de choisir une tenue et d’essayer de la vendre à un client ; bien sûr, sous les yeux de toutes les vendeuses de la boutique. Assez stressant, je dois dire. Bon, il faut bien se rendre à l’évidence que j’ai réussi le test, car la directrice de boutique me rappela dans la foulée pour m’annoncer la date de ma première journée de travail.

La tenue chez Bonton était sympathique, un petit tablier de couleur, différent tous les jours. Nous n’avions pas de tenue réglementaire à part ce tablier : jean, jupe, blouson tout était autorisé dans cette boutique d’un standing aussi élevé. Ce qu’on nous demandait en revanche était d’avoir une posture et une manière de parler particulièrement distinguées pour être dans les standards du quartier alors même que la quasi-totalité des vendeuses étaient des filles comme moi, plutôt classe moyenne, voire des banlieusardes ne partageant pas du tout le style d’éducation que la marque promeut à travers son image et ses vêtements.

Je me suis longtemps demandé ce qui permettait à ces vendeuses de tenir malgré cette contradiction. Et de revenir tous les matins pour jouer les bourgeoises bien élevées faisant semblant de partager les élans du cœur et du portefeuille ainsi que les choix cornéliens de jeunes parents énamourés et de grands-mères attendries. Plusieurs choses sans doute : la « mauvaise foi » d’abord, celle que Sartre a décrit quand il prenait comme modèle le garçon de café du Flore qui jouait à être… un garçon de café ! C’était à trois rues de là. Comme le garçon de café, ces jeunes filles « jouent » aux bourgeoises. Mais ce que Sartre n’avait pas vu, c’est qu’elles ressemblent d’autant plus volontiers à des bourgeoises que cela leur permet malgré tout de s’élever socialement : j’ai appris deux-trois codes propres aux familles aisés durant ces quelques mois ; ce n’est pas inutile… Car ce que j’ai vite découvert c’est que, contrairement aux petits boulots que j’avais pu faire jusqu’ici, les vendeuses, chez Bonton, font carrière : c’est leur « vrai » métier.

C’est une chose assez spécifique à ces boutiques : si je voulais un petit boulot, il ne fallait absolument pas le dire. En effet, la règle c’est : si je veux un CDD, je demande un CDI ; comme ils ont la trouille, ils me font toujours un CDD qu’ils renouvellent jusqu’à qu’ils ne puissent plus le faire. Alors, si c’est bon, on passe en CDI pour faire sa carrière dans cette boutique ou dans d’autres du même secteur. Mais moi, je m’en fichais parce que ce que je voulais c’était juste bosser quelques mois.

Tout cela induit alors des comportements très particuliers chez le manager et les employées. C’est une toute petite société qui se retrouve tous les jours aux mêmes heures pour faire les mêmes gestes dans le même ordre et au même rythme. Des gestes parfois inutiles lorsqu’ils ne servent qu’à occuper les employées en attendant qu’un client arrive : l’ennui n’amène pas la paresse – on est sans cesse en train de s’activer – non, il amène la méchanceté, la surveillance mutuelle, le commérage, la jalousie, la concurrence, la bêtise…

Pour le dire très sommairement, j’ai donc passé là-bas trois mois à supporter une certaine bêtise et cette méchanceté gratuite que savent si bien s’adresser les filles entre elles. Trois mois à rester sagement debout en attendant qu’un client pointe le bout de son nez. Trois mois à plier et replier et re-replier les mêmes habits. Trois mois à me morfondre et à m’ennuyer mortellement. Trois mois à essayer de passer le plus de temps possible dans la réserve afin de pouvoir me poser quelques minutes sur une chaise… Trois mois à tenter de me distraire en conseillant des parents, parfois très sympas, venus claquer « un pognon de dingues » dans des vêtements que leur enfant ne portera que quelques semaines et qu’ils prendront alors soin de ne pas abîmer pour les revendre sur le Bon Coin. Trois mois à m’amuser à faire rager mes collègues en étant la plus rapide et la plus bilingue pour conseiller des familles saoudiennes venues dévaliser cette boutique « so cute » et devenir ainsi l’employée de la semaine, celle qui a réussi la plus belle vente et peut donc repartir avec un petit cadeau offert par la maison.

Tout cela m’a ouvert les bonnes grâces de la directrice du magasin (on aime l’air frais dans les univers confinés…), mais hélas ! mon franc-parler et mon caractère ne collaient pas totalement avec l’éthique de la boutique. J’ai dû partir…

On conclura en me lisant que je dois avoir mauvais caractère pour ne pas arriver à rester plus de quelques mois au même endroit. Peut-être. Je crois surtout que tous ces petits boulots ne m’intéressaient pas ; j’en faisais le tour rapidement et, passé la joie d’être recrutée et le moment de la découverte, je m’y ennuyais vite. Sans doute aussi dira-t-on que je brosse un portrait négatif des jobs d’étudiants à Paris. C’est pourtant une réalité, surtout en tant que femme. Bien sûr, on peut toujours trouver un petit boulot avec des gens sains, mais encore faut-il sentir les choses, se faire confiance et bien s’entourer. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Car c’est ce que je retiens avant tout : à aucun moment, je n’étais matériellement contrainte de faire ces boulots ; je pouvais en partir à tout moment : je n’étais pas à la rue, je n’avais pas à payer un loyer, pas d’enfant à nourrir et quasiment pas d’études à financer… Ce n’est pas la réalité de nombreuses personnes que j’ai pu croiser au cours de ces presque trois ans. Toutes n’avaient pas ma chance. C’est à elles que je pense et que je dédie ce texte.

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