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En ce milieu d’Automne, autour d’une bière fraîche, j’ai rencontré Odile Plan, présidente de l’association Or gris et coordinatrice du numéro 233 de la revue Pour du GREP (Groupe Ruralité, éducation et politique) « Vieillir actifs à la campagne ». J’ai compris que les vieux ne sont pas seulement bons à entretenir le potager ou à tricoter des bonnets.

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Matthew Bennett / Unsplash

« La vieillesse est un naufrage »

Selon l’Insee on est vieux, ou « senior », à 55 ans – 32 % de la population française est concerné par cette consternante maladie. Mes parents en ont 58, il est grand temps de s’inquiéter. Parce qu’un vieux c’est quoi ? Un vieux c’est Alzheimer, un vieux c’est l’EPHAD, un vieux ça n’entend rien, un vieux ça ne connaît pas Facebook. Un vieux, ça pèse socialement.

Enfin, c’est l’image qu’on en a. Et c’est Bernard Pivot qui, dans son livre Les Mots de ma vie, en parle le mieux.

« J’ai vu le regard des jeunes, des hommes et des femmes dans la force de l’âge qui ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge. J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard. Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables. »

Dans la revue Le Sociographe, Aniès Pecolo, Maîtresse de conférence et directrice du Master « Communication et générations » (Bordeaux 3), explore la figure du senior dans les médias et dans l’imaginaire collectif. Les vieux sont, selon elle, abordés comme « un fléau ou une fatalité dès lors qu’on les associe immanquablement à une marée grise ». Ainsi, systèmes de retraite et État-providence riment avec crises que la jeunesse devra payer.

Odile Plan dresse le même constat quand, en 2007, elle « tombe à la retraite ». Elle s’intéresse alors à la façon dont on parle des seniors. D’autant que l’image que l’on porte sur eux a, selon elle, une incidence directe sur les politiques que l’on met en place les concernant.

« Les élus, les associations, les bailleurs sociaux, tout le monde a des idées préconçues du vieillissement et donc des idées préconçues sur ce qu’on doit faire. »

Pour preuve, une étude menée par le CGET en avril 2017 selon laquelle la majorité des communes ne se concentre que sur les questions de santé et de service et pas sur les opportunités économiques et sociales du vieillissement. La prise en compte des seniors dans les territoires est souvent liée à la perte d’autonomie. C’est également ce que souligne la revue du GREP.

« On n’apprend pas aux vieux singes à faire la grimace »

« Je ne connais pas un bled rural qui ait une connaissance de sa population seniore, les seniors ne sont pas considérés comme des ressources » se désole la sexagénaire.

Elle décide alors de créer Or gris. Or gris c’est un blog avec plus de 2500 consultations mensuelles qui met en valeur les initiatives qui valorisent le pouvoir d’agir des seniors, particulièrement dans les territoires ruraux. L’objectif : casser l’image que la société se fait d’eux, et enclencher un cercle vertueux en repérant les actions dont les vieux sont acteurs. C’est sur la base des travaux de cette association qu’elle a coordonné le dossier du GREP.

Dans ce numéro, les différents auteurs abordent divers points liés au vieillissement et à la façon de le valoriser dans les territoires. De l’accompagnement par les aidants, en passant par la silver-économie, ce sont les initiatives portées par les « seniors actifs » qui ont particulièrement retenu mon attention.

Porteurs de projet, bénévoles, administrateurs, avec des réseaux, du savoir, des compétences et expériences, les vieux contribuent à la vie des associations, des entreprises, des collectivités locales, des organismes publics. « Il y a là un immense capital humain à investir ! » clame, le poing sur la table, l’énergique retraitée.

Il existe, en effet, des activités sur des territoires mises en place et réalisées par des retraités « actifs » à destination des habitants. Ces activités touchent un public large et participent ainsi de l’attractivité, mais aussi d’un certain dynamisme territorial. « Elles doivent être valorisées et servir d’exemple ». Et particulièrement dans les territoires ruraux où – comme le souligne Gérard-François Dumont dans la revue – en dépit de l’installation d’actifs dans le monde rural ces dernières décennies, la part des seniors y demeure plus importante.

La revue présente notamment une étude exploratoire réalisée par trois étudiantes pour recenser des initiatives portées par des retraités et ayant un impact sur la vie des territoires ruraux. Un groupe d’anciens mineurs qui, au travers de leur association, conservent la mémoire de la mine de Messeix ; une ancienne assistante en chirurgie dentaire crée « de l’amitié, de l’humanisme et du partage » dans un salon de Thé qu’elle a ouvert à Charoux ; une ancienne institutrice fait naître un verger conservatoire pour greffer les espèces de la commune de Savennes afin de les conserver. En Région Auvergne-Rhône-Alpes, pas moins de15 initiatives ont ainsi été recensées par les chercheuses.

Les plateformes commencent également à s’intéresser aux talents cachés de ces vieux actifs… ils se font, eux aussi, uberiser. Les talents d’Alphonse est une plateforme de mise en relation entre retraités et particuliers, pour garder les enfants ou profiter de leurs savoir-faire autour d’un cours à 15 euros de l’heure. « Votre Alphonse est une mine de talents, pour vous ou votre enfant. Profitez-en. » Les Alphonses sont certifiés par la start-up et comme sur Airbnb on peut « contacter » ou « réserver son Alphonse ». Si vous voulez vous perfectionner en Italien ou en Céramique, réservez Fiametta, 66 ans, 9 avis positifs.

« On ne peut pas s’empêcher de vieillir, mais on peut s’empêcher de devenir vieux »

Dans l’introduction du dossier « Vieillir actif à la Campagne », Odile Plan nous laisse imaginer par trois points de suspension ce qu’adviendrait d’une société où tous les seniors disparaissent – à l’image du film Une Journée sans Mexicains de Sergio Arau (2004) qui montre ce que seraient les conséquences de la disparition des Mexicains de Californie.

Les personnes âgées constituent des ressources locales rarement comptabilisées pourtant mobilisables et actrices des territoires. Elles sont de plus en plus nombreuses, une fois à la retraite, à poursuivre des activités où à s’investir dans la vie sociale, économique, culturelle et environnementale.

Les grands-parents accumulent 17 millions d’heures de garde (Kitzmann 2018 sic GREP) ; 450 000 personnes de plus de 55 ans travaillent à la retraite (Solard, 2015, sic GREP) ; 48 % des présidents d’association sont des retraités et 38 % des retraités sont dans des associations (« Les retraités et la vie associative en France », François Jeger, Unité de recherche sur le vieillissement). Mais ce n’est pas tout ! Au 1er janvier 2017, plus de 60 % des Maires étaient âgés de 60 ans et plus, 35 % de leurs adjoints et 32 % des conseillers départementaux (Les collectivités locales en chiffres 2017, ministère de l’Intérieur).

On peut tout de même se questionner, s’ils sont si présents dans le tissu associatif et dans la gestion des collectivités, pourquoi, tandis qu’ils ont bien souvent un vrai pouvoir de décision, les seniors sont-ils toujours si peu valorisés ? Peut-être parce qu’on s’estime être personnellement vieux bien plus tard, à 69 ans (« Les Français et le bien vieillir », IFOP, 2011). Ma grand-mère – officiellement 87 ans, 35 selon ses dires – parle avec une petite suffisance des « vieilles » qu’elle rencontre chez le coiffeur. Menton levé et sourire en coin, elle ne se range pas dans cette catégorie. On est tous le vieux de quelqu’un.

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