Emmanuel Couvreur travaille avec le FGM-CFDT sur la qualité de la vie au travail. Il livre à Metis ses réflexions autour de la question des retraites.
Mon interrogation porte sur le fait que derrière la question des retraites c’est en fait la question du travail qui est posée. J’ai ainsi mieux compris cette forme d’hystérisation qui se manifeste au sujet du mouvement relatif aux retraites, à savoir que la vision du travail est tellement négative aujourd’hui qu’il existe un transfert des salariés sur une retraite idéale qui serait une sorte de compensation à un désinvestissement du travail. Je ne crois pas que des jeunes de 30 ans se disent préoccupés par la perspective de la retraite, mais davantage au fait que la focalisation actuelle sur le recul de l’âge de la retraite est davantage une colère liée à un travail de plus en plus contraignant et à une absence de réalisation professionnelle. Leur projet n’est plus lié à la construction d’un devenir professionnel, mais à l’eldorado d’une retraite qui était jusqu’ici la seule certitude indéboulonnable. Cette situation est d’autant plus aggravée pour la SNCF ou la RATP où on était cheminot ou conducteur de métro de père en fils. C’était devenu une forme d’héritage intouchable, la « clause dite du grand-père » en dit long sur la situation.
Quand on écoute les gens de la SNCF ou RATP, on voit bien qu’on assiste à des discussions complètement passionnelles et irrationnelles, car toute leur carrière a été construite autour de ce privilège qu’ils considèrent comme un dû. Leur colère est d’autant plus forte que chacune des deux entreprises est aujourd’hui confrontée à la concurrence internationale et va se retrouver dans un statut d’entreprise privée qui provoque chez eux un énorme sentiment d’insécurité. Je ne résiste pas à l’envie d’aller au-delà du discours ambiant pour identifier les véritables mobiles de cette colère sociale. Le vrai problème ce n’est pas celui de la retraite, mais celui d’un travail qui fait peur et ne permet plus de s’émanciper et de se réaliser individuellement ! Je comprends bien la question du financement et la nécessité d’un équilibre financier du système des retraites, mais le fond du problème est beaucoup plus celui de la place du travail qui ne permet plus de se projeter dans un avenir professionnel. Finalement, la question des retraites est une forme de bouc émissaire d’une situation professionnelle en perdition ! Ce discours je ne l’entends pas beaucoup et pourtant c’est pour moi un vecteur important de ce rejet de toute réforme du système des retraites vers un système universel qui est la négation d’une identité culturelle profonde et d’une souffrance relative à cette perte de repères sociaux. Autre dimension du dossier des retraites, celle des séniors actifs en invalidité victimes de TMS, licenciés ou démissionnaires en chômage longue durée qui représentent chaque année 400 000 salariés, soit environ la moitié des 800 000 effectifs en partance pour la retraite. Comment peut-on envisager un recul de l’âge de départ à la retraite pour tous ces salariés si aucune mesure n’est envisagée pour rendre leur maintien en activité compatible avec leur état de santé ? Une fois de plus on voit bien que parler de retraite oblige à reconsidérer la question des fins de carrière d’une manière décente et donc la question du travail et de l’organisation qui les accompagne pour une retraite en bonne santé.
Dans ce contexte, le débat actuel sur le financement des retraites et la mise en place d’un système universel gagnerait à introduire davantage la question du travail qui fait problème et son incidence sur la vision actuelle de l’évolution des retraites. Cette réflexion ne fait que renforcer la démarche de la CFDT dans sa volonté d’agir sur le travail pour rendre les salariés acteurs de sa transformation. Agir sur le travail, ou plutôt sur la qualité du travail, pour ne pas se résigner à subir toute sa carrière professionnelle en sursis d’une retraite compensatoire.
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