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L’entrée en confinement des établissements scolaires à partir du lundi 16 mars 2020 a été annoncée le jeudi 12 mars. Brigitte Abad Vega est proviseure adjointe du lycée Charlemagne à Paris. Elle apporte le témoignage de cette conversion soudaine au numérique et au télé-enseignement.

Le numérique au lycée

Nous étions, pour l’ensemble des personnels du lycée du centre de Paris, psychologiquement préparés à cette mesure, prévisible et attendue, techniquement beaucoup moins. Cette situation inédite sert en effet de révélateur des usages du numérique dans notre institution. Elle en constitue également un puissant accélérateur.

Comme toutes les administrations, l’Éducation nationale « fabrique » (en sous-traitant) bon nombre de ses outils numériques, pour ne pas avoir à acquitter de droits d’exploitation, et pour conserver la confidentialité et la maîtrise des données. La Région Ile de France met à disposition des lycées un environnement numérique de travail (l’ENT monlycee.net) destiné à permettre aux professeurs, aux parents et aux élèves, d’échanger toutes sortes d’informations. Des prestataires privés proposent également les mêmes services.

L’alimentation (par les professeurs) et la consultation (par les élèves et les parents) des relevés d’absences, des bulletins scolaires, du cahier de textes, l’utilisation d’une messagerie sont ainsi entrées dans les habitudes de travail. La plateforme offre bien d’autres potentialités au moyen d’applications simples ou sophistiquées (mise en ligne de cours, de documents visuels, sonores, vidéoconférence, etc.) jusque-là largement méconnues, hormis par les quelques professeurs spontanément intéressés par l’usage de ces technologies, et en dépit des incitations et stages de formation proposés par l’institution.

Au lycée, nous avions pu présenter durant la quinzaine précédant le confinement, en une heure, un kit minimal pour assurer le lien pédagogique avec les élèves (déposer des cours et recevoir des devoirs dans un « casier numérique », utiliser un « mur collaboratif » via l’ENT), les professeurs se chargeant de préparer leurs élèves à ce mode de communication. Pour plusieurs d’entre eux, il s’agissait d’une vraie découverte, la plupart des cours se déroulant en mode magistral classique, à l’exception de l’introduction du vidéoprojecteur dans les salles de classe.

La continuité pédagogique

Le principe de « continuité pédagogique », c’est-à-dire la poursuite des enseignements et le maintien d’un lien pédagogique et éducatif, annoncé par le ministre, n’a posé aucun problème, ni aux professeurs, ni aux élèves, ni à leurs parents. Dès l’entrée en confinement, la mobilisation des enseignants a été remarquable. Peu de classes se plaignent d’un manque de travail, la tendance générale étant largement à la « surchauffe » ! Notre lycée accueille une majorité d’élèves autonomes, motivés et assidus. Les adolescents ne disposant pas de conditions matérielles de travail suffisantes ou les potentiels « décrocheurs » ont donc été repérés rapidement. Un prêt d’ordinateur a été organisé pour ceux qui n’en disposaient pas.

Un incident majeur a toutefois lourdement impacté la première semaine de mise en place du télé — enseignement. L’ENT a été complètement saturé et les connexions rendues impossibles. Visiblement, il n’était pas « calibré » pour un tel afflux de demandes simultanées. La défaillance de l’ENT a donc logiquement conduit les enseignants à se « rabattre » sur des modes de communication alternatifs, des plus innovants, pour les professeurs numériquement avertis, aux plus artisanaux pour les autres. J’en présente ci-après quelques-uns.

L’utilisation de plateformes privées

WhatsApp, Zoom, Discord (ce sont les élèves qui ont initié leurs professeurs à cet outil prisé des « gamers ») offraient les services promis par l’ENT régional. Elles présentent l’inconvénient de ne pas respecter le RGPD (Règlement général sur la protection des données privées, auquel doivent se conformer les fournisseurs européens). Quelques parents (au fait de ces questions) s’en sont offusqués ; il a fallu préciser à tous (par mail) que l’établissement en tant que tel ne pouvait pas utiliser d’applications non conformes, mais que la situation était exceptionnelle et nécessitait compréhension et coopération. Le choix de ces solutions, mêmes non-compatibles RGPD, a donc permis de créer et maintenir le lien.

Au bout d’une semaine, le CNED (Centre national d’enseignement à distance) a pu rendre opérationnelle une plateforme « Ma classe à la maison » permettant les cours en vidéoconférence. Quelques enseignants se sont emparés de cette possibilité. D’autres ont déploré le manque de simplicité de la mise en route et ont renoncé.

À présent que l’ENT fonctionne correctement, il a été conseillé aux enseignants de revenir aux outils normés, mais pour plusieurs d’entre eux, l’effort fourni pour s’adapter à une application (Zoom, Discord…) exclut, pour le moment du moins, un retour en arrière.

Le repli sur la correspondance par courriel

Tous les élèves et/ou leurs parents disposent d’une adresse e-mail connue de leur professeur. Ce mode de communication a permis de maintenir un lien avec les élèves, éventuellement d’adresser un polycopié de cours, mais il n’est pas conçu pour permettre le travail scolaire. La réception et le retour des corrections de devoirs ont pu, pour les professeurs très attachés à ce suivi pédagogique, prendre une tournure très artisanale (et chronophage), voire rocambolesque ! Par exemple : photographier des copies corrigées pour les retourner aux élèves via WhatsApp !

La multiplicité des outils a constitué un facteur de complications pour les élèves ; au sein d’une même équipe, les professeurs ayant opté pour des solutions diverses, ils ne savent pas toujours où et quand aller chercher les informations. Mais ils font plutôt preuve d’adaptation, et quand il y a des difficultés, elles sont d’ordre pédagogique, et étaient installées antérieurement.

Quels (premiers) enseignements tirer de cette aventure encore en cours ? Au-delà des péripéties technocratiques exposées dans cet article, assurément la démonstration, s’il en était besoin, de la détermination des professeurs à enseigner en conservant, contre vents et virus, la quintessence de leur métier : la transmission d’un savoir dans le cadre d’une relation pédagogique sans cesse réinventée.

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