Voilà la 9e semaine du Corona journal et la première d’une nouvelle ère, celle de l’après confinement. Victor est encore à Strasbourg… sous la pluie, mais bien coiffé.
Protocole du coiffeur et autres douceurs
Etranges ces premiers temps du déconfinement. La météo était elle-même très embêtée. Et décidée à tout pour nous en dégoûter. Du gris, du froid, du vent et des seaux d’eau, de sortir elle voulait nous interdire ! « Restez chez vous, restez au chaud », son message n’avait rien de très jojo. Mais valait plus que discours et grands mots. Quitter l’enfermement et son petit confort, c’est un peu comme après le sport : quand on arrête faut y aller progressivement et faire une série d’étirements. À petits pas j’ai voulu explorer les contours de ma nouvelle liberté. Mais par où commencer ? Quel acte donc poser ? Comment inaugurer l’ère nouvelle et ignorer les injonctions du ciel ? Tout d’un coup j’eus une idée. Ou bien plutôt une opportunité. La liste de mes envies incluait le coiffeur. Le temps n’allait quand même pas me faire peur. Bon gré, mal gré, il fit même mon bonheur. Appel et bonne nouvelle. Il restait un créneau, un seul, celui de 19 heures. Ce salon comme beaucoup d’autres était annoncé plein. Merci ô toi la pluie qui en découragea plus d’un.
Pour beaucoup d’hommes, se faire coiffer est un passage obligé. Le soin de notre chef se doit d’être assez bref. Mais ça, c’était avant. Car chez mon capilliculteur, un nouveau protocole fait désormais fureur. Désormais avant de rentrer, sept nouveaux commandements doivent être observés :
- Les clients sortants tu ne croiseras et déjà masqué tu entreras.
- Ton sac, ton vêtement tu déposeras, on les y désinfectera.
- Tes mains au gel tu te les frotteras.
- D’un siège sur deux tu disposeras, une vitre, un plexiglas du voisin te protégera.
- Une blouse jetable tu porteras, seulement avec des gants on te shampouinera.
- Masqué, les doigts caoutchoutés, le coiffeur ensuite te tondra.
- Et même si tout ne te plaît pas, jamais tu ne protesteras.
En dépit de toutes ces contraintes, à 20 heures, je touchais au but : bye-bye mèches et cheveux hirsutes ! Dehors la pluie veillait et m’attendait. Content et ruisselant, je marchais en chantant. Et suis rentré, sans me presser.
Strasbourg, l’Ill, l’Aar et ses canaux. Ville de bière, de riesling, de gewurztraminer. Mais aussi ville d’eau. Celle qui vous berce, vous caresse et parfois vous transperce. Qui tonifie et purifie. Qui vous apaise et vous protège. L’eau des cascades, qui jaillit, qui rebondit. La goutte qui vous surprend. La pluie qui mouille, qui trempe, qui rafraîchit. Bains d’autrefois. Dans la Marne, la Loire ou la baignoire. Bains de maman, il y a déjà longtemps. Des corps qui nagent, qui flottent et qui barbotent. Ceux que je palpe et qui s’échappent. L’eau érotique qui bande, qui en redemande. L’eau des larmes, aussi. Celle qui m’a manqué et que j’ai implorée. Trop risqué me disait-on avant deux opérations. Ma bouche était si sèche que j’en mangeais la peau. Mon corps était si sale sur mon lit d’hôpital. Six semaines ainsi puis direction Percy. Joie de la première douche, allongé et toujours immobilisé. L’eau bienfaisante dévale sur tout mon corps, qui jouit, qui dit encore et puis encore. Douceur de l’onde, mais aussi du regard et de ses gestes à elle. Et c’est dans un sourire que je la vis partir. Sans bruit et sans un mot, me laissant seul avec le pommeau. La joie, le bonheur coulait au milieu de mes pleurs… L’eau parfois me sert d’alcool. Pas de celui que l’on picole. Mais de celui du rossignol qui boit, qui chante et qui s’envole. J’aime ce liquide qui fait du bien à nos lipides. Il a souvent un goût de ville, de mer ou de campagne. Ou encore mieux de la montagne. Eau minérale, eau de fontaine. J’ai faim de fin de quarantaine.
La semaine s’est depuis étirée, chaque jour ou presque avait sa nouveauté. Mardi, avec Laurence, notre première invitée. Et aussi un premier marché. Pas encore très fréquenté, mais déjà bien achalandé. Les files sont bon enfant et très organisées. L’Alsacien, plus que le Marseillais, est fort discipliné ! Clients et commerçants se saluent gentiment. Certains très chaleureusement. Les uns ont fort souffert, les autres pas vraiment. Avec les livraisons, beaucoup se sont fait une raison (et pas mal de pognon). Mais pour tous, rien ne vaut le vrai marché, celui où l’on peut échanger, discuter et bien entendu négocier. Pas très facile avec tous ces masques et ces surveillants à vos basques. Les gens pourtant circulent et déambulent. Et tiennent aussi conciliabules. Il y a de tout ce matin, poissons et viandes, fromages et pains. Mais surtout des primeurs et de-ci de-là des fleurs. Festival de couleurs, d’odeurs. De petits producteurs. Sans oublier quelques cuisiniers qui vous proposent de Chine ou du Proche Orient des plats venus d’ailleurs et d’exquises saveurs. Ça parle français et alsacien, un peu plus loin, s’y mêlent du turc, du marocain. Des mots d’anglais, de russe, de portugais. Et même des sons bizarres de langues un peu plus rares.
Idées folles et bénévoles
Parmi les nouveautés de ces débuts déconfinés, il y eut des achats non alimentaires, un appel à mon conseiller bancaire, une longue queue devant l’apothicaire. Rien de très palpitant, retour du monde d’avant. Il y eut aussi quelques virées, en voiture ou à pied. Un moment en forêt, une promenade près du Rhin. Je me suis même laissé aller à un fougueux baiser. À de petites folies, à vous d’imaginer.
Tandis que je faisais ma rentrée capillaire, d’autres, plus sérieux, se frottaient à la rentrée scolaire. Chez les Edmonds ça nous a fait causer et, mercredi, tout l’apéro y est passé. Notre groupe compte de nombreux parents avec enfants et plusieurs enseignants. Leurs témoignages sont édifiants, parfois navrants, souvent marrants. À les entendre, c’est aussi contrasté que compliqué. Drôle de rentrée quand nombre d’écoles restent fermées. L’une d’elle accueille 230 enfants normalement, mais ne s’ouvre qu’à 15 et timidement. Rares sont les instits qui ne sont pas présents. Beaucoup y mettent du cœur, de la bonne volonté, tentent tant bien que mal de s’adapter. Et chez certains, quelle créativité ! La pédagogie et sa fameuse continuité butent ces temps-ci sur une sacrée complexité. Nouvelle ère, nouveau protocole sanitaire et scolaire. 63 pages, pas toutes très sages. Il y a aussi d’autres difficultés. Car au-delà de motivations affichées ce sont surtout les bons élèves qui ont fait leur rentrée. Beaucoup d’autres, souvent plus pauvres, ont déjà décroché. La pandémie a, là aussi, accentué les inégalités. Depuis 10 ans l’échec scolaire avait enfin pu reculer. Tout cet effort est menacé. Raccrocher les décrochés, nouvelle priorité ? Mais la crise vient peut-être à point nommé. On pourrait s’ouvrir à de nouvelles idées, démarrer de nouveaux chantiers. Et, puisque tout part de traviole, pourquoi pas une idée folle ? Comme réinventer l’école ? Apprendre à tous, mais autrement. Dans les murs et hors les murs, une éducation plus originale, qui reste nationale, mais plus ouverte au monde global ? Il y aurait là tout un symbole, et si j’ose dire, un cas d’école.
Un mot d’ailleurs sur mes chers bénévoles. L’enquête que nous avons lancée — je vous en ai déjà parlé — s’est révélée payante et très intéressante. Commençons par les mécontents. Ils forment 40 % des répondants. Bien que dûment enregistrés et leurs missions bien validées, rien pour eux n’a démarré. Ni contact ni proposition, pas même une courte explication. Ils ont perdu patience et sont sortis frustrés de cette non-expérience. À l’inverse, ceux qui ont pu commencer et remplir une mission se montrent satisfaits. Et ont le sentiment d’avoir été utiles au service des plus fragiles. Pour beaucoup c’est un premier engagement. Et pour les assos, un vrai rajeunissement. La plateforme est même plébiscitée pour sa facilité, ses fonctionnalités. Une majorité se dit prête à la recommander. La suite pourtant est peu anticipée. Les bénévoles ne savent pas s’ils voudront ou pourront continuer. Les assos ne semblent pas faire beaucoup d’efforts pour s’emparer de ces précieux renforts. Le Président parle de société de l’engagement. De ce point de vue, le virus fut un levier puissant. Qu’en sera-t-il demain ? Beaucoup de mobilisations contemporaines diffèrent, et de beaucoup, de celles de nos parents. Adhérents, militants, c’est un langage d’antan. Syndicats, associations ont souvent bien du mal à prendre le virage du renouvellement. De ce point de vue le virus fut un levier puissant, un signe pertinent. Qu’en sera-t-il demain ? Il n’y aura pas de monde d’après sans de nouveaux engagements. Vous cherchez de l’action ? Alors tous à vos inventions !
La semaine s’est terminée dans des habits de lumière et d’été. Il faisait chaud, il faisait bleu, c’était Strasbourg sur Méditerranée. Les shorts sont ressortis, les décolletés aussi. Les gens étaient souriants, les regards plus francs, beaucoup moins hésitants. Seule étrangeté, tous ces visages, ces promeneurs masqués. Nos libertés se sont voilées et ça, ça reste compliqué.
Dans quelques jours je vais quitter Strasbourg. Et puis aussi maman. Adieu la vue sur les bouleaux, les gazouillis d’oiseaux. Bonjour la mer, bonjour la bonne, sainte patronne. Retrouver mon quartier, les ruelles du Panier. Mes collègues et mon coloc, je parle d’Abdenbi, vous l’avez bien compris. Nous fêterons ensemble la fin du ramadan. Nous irons par le port jusques aux Catalans. Sans oser s’y poser, ce n’est pas encore temps. Avant de vous quitter, j’ai une chose à vous annoncer. Victor est fatigué et rêve cette fois de vrais congés. De ce qui nous est arrivé, il n’a pas tout compris, mais a beaucoup appris. Viendra bientôt le temps de stopper ses écrits. Une semaine encore et un dernier effort. Quand il aura gagné les rives du Vieux-Port. Ce sera la fin de son journal, mais sans doute pas du Corona. Notre vie, elle, continuera. En attendant ce clap et mon échappe, je vous laisse un drôle de numéro qui tape, dérape et qui vous frappe !
- Si vous avez raté la semaine 8, la der des der du confinement, vous la retrouverez ici !
une grosse bise normale à Victore