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La CFDT, la CFTC et l’UNSA présentent 11 préconisations sur le télétravail en vue de la reprise d’activité. L’objectif est de donner des points de repère et mettre en perspectives le sujet pour s’en (re)saisir dans les mois qui suivront. 

La période d’urgence sanitaire a grandement poussé les entreprises et les administrations à mettre en place le télétravail de manière précipitée et imposée. Cette mise en place a souvent été effectuée de façon empirique, ses conditions n’ayant pas été anticipées. De plus, le télétravail ayant été effectué en concomitance avec la garde des enfants dans de nombreux cas, celui-ci s’est déroulé dans des conditions particulières.

Privilégier ce mode de travail reste une demande forte avec le déconfinement progressif mais au-delà, devient une demande plus durable dans le temps. De nombreux travailleurs souhaitent désormais télétravailler ou télétravailler plus régulièrement qu’auparavant. Ils ont, en effet, souvent pu percevoir une plus grande autonomie et pu faire preuve de plus d’initiatives dans leur travail.

Les bénéfices de la réduction des temps de déplacement entrent aussi en ligne de compte : une moindre fatigue pour les travailleurs, et une réduction de l’empreinte écologique. En effet, la crise sanitaire a changé notre regard sur la place du travail et le rapport que nous entretenons avec lui au quotidien. La conciliation de nos vies professionnelles et personnelles est à nouveau questionnée. Si l’on met en regard les enjeux de la transition écologique et de la transformation numérique, de nombreux signaux laissent présager d’un nouvel avenir pour le télétravail. Aussi, l’expérience non anticipée du télétravail vécue actuellement doit faire l’objet d’une formalisation collective pour asseoir quelques principes indispensables, identifier les difficultés, dégager des repères communs, permettre un retour d’expérience. Cela alimentera le dialogue social d’entreprise et au sein des administrations en vue de la mise en place d’un accord de télétravail pertinent tant en période « ordinaire » qu’en période « dégradée ».

L’objectif du présent document est de donner des points de repères dans la période de reprise d’activités et mettre en perspectives le sujet pour s’en (re)saisir dans les mois qui suivront dans le cadre de dialogue social de qualité.

Faire du télétravail un objet de dialogue social

Le télétravail doit faire l’objet d’un dialogue social de qualité entre l’employeur, les travailleurs et leurs représentants pour en déterminer les conditions de mise en œuvre de manière optimale au bénéfice de tous et pour assurer un socle commun de repères et de garanties entre salariés et employeur.

Aussi, toute sollicitation d’un employeur par un salarié pour la mise en place de télétravail doit conduire à la mise en place d’une charte a minima ou mieux encore d’un accord relatif au télétravail. Un suivi de cette mise en œuvre et des retours d’expérience doivent être instaurés afin d’en adapter si besoin les modalités. Le télétravail mis en place dans le cadre de la crise sanitaire covid19 doit s’appuyer sur les accords ou charte existants dans l’entreprise ou l’administration. Le dialogue social concernant le télétravail doit à la fois se traduire dans un accord spécifique mais aussi dans les discussions relatives aux plans de continuité d’activité ou plans de reprise d’activité de l’entreprise au sein du CSE, et au sein des comités techniques et CHSCT des administrations.

Mettre en place le télétravail implique de questionner l’organisation du travail

Le télétravail est une forme d’organisation du travail particulière qui doit se réfléchir en regard des autres formes d’organisation du travail à l’œuvre dans l’entreprise ou l’administration. Les modalités de cohabitation de toutes celles-ci sont donc à examiner afin qu’elles puissent s’articuler. La mise en place du télétravail ne peut faire l’impasse d’une réflexion globale.

Le télétravail ne peut devenir une modalité mobilisable pour 100% du temps et de l’activité de travail des salariés. L’alternance télétravail/travail en présentiel doit être privilégiée afin notamment d’éviter le phénomène d’isolement du télétravailleur et les risques professionnels associés tels que les risques psycho-sociaux. La relation du travailleur avec le collectif de travail et la ligne managériale notamment par une communauté d’expérience et un dialogue professionnel sur le lieu de travail est essentielle.

Avoir une réflexion d’ensemble sur les postes éligibles

La crise sanitaire a démontré que le télétravail, pour des emplois perçus a priori comme non éligibles, était pourtant possible. Désormais tout poste, lors de sa création et/ou modification, doit intégrer la possibilité que certaines activités et/ou tâches soient réalisables en télétravail. Cet aspect pourrait ainsi être stipulé dans les offres d’emploi.

Distinguer les différentes formes de télétravail

Le télétravail peut être régulier et stable c’est-à-dire défini et prévu à l’avance, il peut s’agir d’un télétravail occasionnel en réponse à des besoins ponctuels et/ou des imprévus. Enfin, il peut être mis en place pour circonstances exceptionnelles comme la menace d’épidémie, ou en cas de force majeure. Cette dernière situation doit demeurer la seule exception au principe du volontariat qui régit le télétravail. Dans les autres cas, le principe du double volontariat entre le travailleur et l’entreprise ou l’administration doit être la règle.

Mettre en place des modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail

Le télétravail, malgré les assouplissements de la dernière ordonnance, n’est ni un droit, ni une obligation, que ce soit pour le salarié ou l’employeur. Le télétravail, dans le cadre de la relation salarié-manager, doit donc comporter un caractère doublement volontaire. Le critère du volontariat peut être formalisé dans les entreprises et les administrations par la mise en place d’un système d’autodiagnostic et/ou de candidature (questionnaire d’autoévaluation, formulaire papier, formulaire en ligne, ou mail).

Envisager le télétravail autrement qu’au domicile du télétravailleur

Le recours volontaire au télétravail est justifié fréquemment par l’éloignement entre le domicile et le lieu de travail ou la durée des trajets domicile-travail. Il n’est pas impératif que le télétravail s’effectue au domicile du télétravailleur. Les espaces de co-working et autres tiers lieux sont une solution. De même, les locaux d’un autre site de l’entreprise ou de l’administration doivent pouvoir être mobilisés et utilisés dès lors que la proximité du domicile d’un télétravailleur est connue. Les conditions d’exercice du télétravail dans ce cadre doivent être prévues.

Créer les conditions de réussite de la mise en œuvre du télétravail

La confiance est un élément essentiel et incontournable pour réussir le déploiement du télétravail qui profite à tous et toutes, entreprise ou administration, management et collaborateurs. Les conditions pour créer cette confiance s’articulent autour des éléments suivants :

• Dispenser des formations au télétravail et à ses outils en amont de toute mise en place, tant pour les managers que pour les collaborateurs

• Rappeler le rôle clé du management pour l’adaptation des objectifs des collaborateurs, agir sur la régulation de la charge de travail, tout comme sur la redéfinition/priorisation des tâches

• Utiliser à bon escient les outils numériques et collaboratifs afin de ne pas augmenter la charge mentale • Mettre en place une gestion des horaires et le cadre du droit à la déconnexion

• S’assurer de l’égalité d’accès au télétravail entre femmes et hommes est une des conditions de réussite de sa mise en œuvre.

Les pratiques managériales sont donc au cœur des conditions nécessaires à la mise en œuvre du télétravail. Elles doivent mobiliser la confiance entre les acteurs, permettre le respect des différentes sphères de la vie du télétravailleur, articuler la production en télétravail et celle en présentiel et maintenir la cohésion du collectif de travail.

Clarifier les usages des outils numériques et leurs limites

L’éligibilité au télétravail concerne les postes de travail et non le salarié au regard de son équipement personnel en matériel informatique ou de téléphonie portable. L’employeur doit fournir au télétravailleur les outils (matériels, logiciels, accès sécurisé aux bases de données de l’entreprise/administration…) et l’information sur les limites et les règles inhérentes à leur utilisation. La crise sanitaire a pu mettre en lumière l’inadaptation des parcs de matériels informatiques de certaines entreprises et administrations quant à la pratique massive du télétravail.

Intégrer les enjeux de préservation de la santé, sécurité des travailleurs comme ceux de la prévention de la désinsertion professionnelle pour les personnes pouvant être fragilisées par la mise en place de ce type d’organisation du travail

Le travailleur est un être social qui a besoin de relations sociales et professionnelles. Le télétravail n’est pas adapté à tous. Dans la période de crise actuelle, quand il devient obligatoire, il est donc fortement subi et non choisi. Les risques d’isolement et de perte de lien social avec les collègues et le management, les risques de perte de sens ou d’utilité sont à anticiper. Aussi, en période « ordinaire », le télétravail doit continuer de faire l’objet du volontariat du travailleur. Les bonnes conditions d’exercice du télétravail à domicile ou dans un tiers lieu sont primordiales pour qu’il soit vécu positivement. La prévention des risques professionnels, quelle qu’en soit leur origine doit être de mise et faire l’objet d’une prise en compte et d’une évaluation a priori. Le rôle du management de proximité est ici central : une évaluation et un suivi des situations de travail doivent pouvoir être réalisés régulièrement pour anticiper toute difficulté.

Prendre en compte les situations particulières des travailleurs handicapés

Un regard particulier doit être porté sur la situation des travailleurs handicapés pour s’assurer que l’aménagement de leur poste tienne compte de leurs besoins, tant d’un point de vue ergonomique que de communication. Les relations de travail doivent être consolidées pour prévenir tout risque de désinsertion professionnelle. Des points réguliers doivent être organisés avec le manager pour s’assurer que le télétravail ne crée pas de situation de distanciation sociale trop importante, engendrant un risque accru d’isolement. Dans ce sens, les liens avec les collègues de travail doivent être confortés.

Réinvestir le bénéfice de la reconfiguration des locaux de l’entreprise/administration dans la mise en œuvre du télétravail au bénéfice de ses conditions d’exercice

L’expérience imposée de télétravail a démontré la pertinence de cette modalité d’organisation du travail dans nombre d’entreprises et administrations. Les réflexions de celles-ci pourraient les amener à revoir la taille et la configuration de leurs locaux du fait du recours plus massif au télétravail. Les réorganisations inhérentes à ces restructurations immobilières doivent faire l’objet d’un dialogue social de qualité qui aborde les conditions de travail dans les espaces de travail reconfigurés et l’investissement dans des conditions améliorées d’exercice du télétravail (qualité des matériels, prise en charge de coûts annexes des travailleurs, formations ad hoc, investissement dans des pratiques managériales renouvelées…).

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