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Monique Barbaroux, administratrice générale honoraire au ministère de la Culture, était cette année membre d’un des trois Jurys d’un festival mal connu, le Deauville Green Awards, Festival International du film responsable. Pour Metis, elle en parle avec Jean-Marie Bergère

Le Deauville Green Awards (DGA) a eu lieu les 15 et 16 juin. Il y avait cette année plus de 500 films en compétition. Comment sont-ils sélectionnés ? Que recouvre l’expression « film responsable » ?

Cela va vous étonner : aucune présélection. La particularité des DGA est que chaque producteur ou agence de communication peut inscrire un ou plusieurs films de l’année écoulée. Cela explique la quantité de plus en plus élevée de films à visionner par les jurés ! Un film «  responsable », c’est celui dont le contenu correspond à l’une ou à plusieurs des 17 thématiques des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU. C’est aussi, et les jurés y seront de plus en plus sensibles, des films dont la façon de les produire aura été la moins couteuse en bilan carbone ; c’est là une évolution des critères dont nous discutons.

Il y avait trois jurys distincts. À quelles catégories de films correspondent-ils ? 

Avec des thématiques aussi variées (en 2022, il y en a eu 15) que « Préservation de la biodiversité », «  Ressources durables : terres, mers, forêts », «  Santé et qualité de vie », «  Déchets, pollution, économie circulaire », «  Ecomobilité », « Droits humains »…, ce sont des compétences pointues de jugement que la direction du festival recherche, et pour éviter de noyer ses jurés, elle les répartit d’abord sur leurs thématiques d’excellence ; puis elle les aiguille sur 3 compétitions distinctes selon la longueur du film : la première, c’est Spot, c’est à dire des messages très courts de sensibilisation, parfois à peine une minute ; puis Info, pour les films d’informations et surtout institutionnels de moins de 26 minutes ; enfin Docu pour les documentaires de création et webdocs. Pour ma part, j’ai reçu sur ma plateforme de visionnage ouverte deux mois avant les DGA, des films de type Info portant sur 7 thématiques, soit près de 90 œuvres… Et chacun de ces films était regardé et noté par 5 autres jurés et deux membres de l’équipe artistique selon une grille précise. La moyenne des notes de chacun permet d’éliminer petit à petit les 3/4 des films, et ce sont seulement des discussions sur un petit nombre de films qui se mènent en présentiel à Deauville dans le magnifique Centre culturel Les Franciscaines, nouvellement réhabilité par l’agence d’architecture Snøhetta.

Les Grands prix ont été attribués à The Unknown Heroes commandité par la Croix rouge internationale, à Love commandité par WWF Deutschland et à Carbon. The Unauthorized Biography, un film documentaire réalisé pour les télévisions australienne, canadienne et ARTE. Comment caractériser cette sélection ? Que nous disent particulièrement ces films ?

Depuis 4 ans je suis jurée sur la catégorie Info et n’ai donc vu que la sélection ultime de tous les films Info, cette fois des 15 thématiques. Je ne vous parlerai donc que de Love, film de 5 minutes produit par le WWF allemand, auquel j’avais accordé la note de 20/20, comme la quasi-totalité des autres jurés. C’est une fable, avec de superbes images et un style à la Terrence Malick, autour d’un arbre centenaire qui se prend d’amitié pour un nourrisson déposé à ses pieds, mais une amitié sans retour : l’enfant boudeur devient un adolescent capricieux et gâté, puis un jeune adulte vorace mu par la seule ambition matérielle et le profit, enfin un homme mûr dominateur et d’une grande violence sociale. L’arbre, au gré des humiliations et destructions successives (coupes sauvages, déforestation, incendie, inondation…) perd peu à peu sa voix et se fond dans une image d’apocalypse. Message clair pour tous s’il en est !

Sans révéler le secret des délibérations, quels étaient les points sensibles des discussions ? Les Deauville green Awards existent depuis 10 ans, assiste-t-on à une évolution significative dans la façon de se dire « responsable », à une radicalisation des positions sur l’environnement par exemple ?

Outre l’appréciation de la qualité des scenarios, des images et du cadre, voire du jeu des comédiens, l’un des points de nos discussions portait sur notre manière de juger le degré de sincérité de certains commanditaires. Comment traquer le greenwashing si facile à gober lorsque les images d’un film sont fascinantes, la création musicale envoutante ?

Autre point de cette cuvée 2022, largement partagé par les plus « seniors » d’entre nous dans l’exercice de juré DGA, une baisse d’originalité dans les scenarios, un côté sage, sérieux, bon élève, un manque de créativité dans la forme et d’ambition dans le propos. Comme si les thématiques du développement durable étaient devenues des tartes à la crème pour les Dir.com des entreprises et des agences. Trop de films parfaitement réalisés, mais bien lisses, alors que la forêt brule toujours et de plus en plus ! Serait-ce un essoufflement post Covid ? D’autres urgences ? Une lassitude dans la communication autour de la RSE désormais bien ancrée dans les « directions de l’Engagement » qui font florès dans les entreprises ?

Les commanditaires sont extrêmement variés, on y trouve aussi bien le ministère de la Culture, l’ADEME que des entreprises, ENGIE, Vinci, Michelin, et des ONG. Peut-on caractériser les films en fonction du type de commanditaire ? On imagine une typologie allant du green washing à l’activisme radical… Est-ce le cas ?

Vous avez raison, car sans trop forcer le trait, on devine souvent qui est le commanditaire lorsqu’on découvre un film. Les propositions de l’ADEME, de la Fédération des Parcs régionaux, de l’Agence française de Développement, de l’Agence de la Biodiversité… sont des films bien charpentés et documentés, non dénués d’humour souvent. Vinci, Engie ou Michelin pour reprendre votre question sont plus disruptifs, malins, mais parfois trop « feel good movies » pour être crédibles ! Quant aux ONG, elles peuvent être radicales, avec des images fortes, souvent violentes, mais le message y est toujours clair. C’est le cas pour le Grand Prix décerné à Love.

Comme dans tout festival, les projections étaient accompagnées de conférences et tables rondes. Y en a-t-il une qui vous a particulièrement frappé ?

Les jurés, s’ils le souhaitent, peuvent faire les présentations aux publics, notamment étudiants, de certains films finalistes qui passent en boucle et faire partager leur enthousiasme. Je n’ai donc pas pu assister à toutes les tables rondes, mais ai particulièrement apprécié celle intitulée «  la transition écologique est elle possible sans débat public ? » où intervenaient Chantal Jouanno, présidente de la CNDP, Commission nationale du Débat public, et sa vice-présidente Ilaria Casillo, atelier suivi d’un film en compétition (qui reçut un Trophée d’Argent) « Ma parole a du pouvoir ». Comment une commission indépendante (au même titre que le CSA, même type de composition et de nomination) peut conduire, avec une organisation du débat démocratique, à faire modifier en amont des projets dans le domaine environnemental, voire les annuler, exemples donnés à l’appui. Concertation aussi liée au sujet de l’inclusion puisque la CNDP travaille en lien avec ATD Quart Monde pour une participation des personnes en situation de pauvreté.

Le ministère de la Culture décerne un prix spécial « Fiction pour demain ». La forme compte beaucoup dans l’impact d’un film. Est-il envisageable d’intégrer à une future sélection des films de fiction, portés éventuellement pas des actrices ou acteurs populaires ?

Les DGA 22 ont vu l’expérimentation d’une nouvelle section «  Fiction pour demain » suite à la réflexion menée par le ministère de la Culture depuis quelques éditions, portant sur le regret de ne pas recevoir des films qui soient vraiment « des films de création et fiction » avec des scenarios liés à l’écologie et portés par des comédiens populaires. Comme ceux donnés à titre de simples exemples, Just Philipot avec «  la Nuée » ou Louis Garrel avec «  la Croisade ». L’essai fut concluant puisque deux courts métrages diffusés d’ailleurs au sein d’une collection par Canal ont été finalistes : «  Mauvaise Graine » de Nadège Herrygers et «  Sauvage » de Nicolas Devienne, films que je vous incite à voir sur le Net.

Depuis plusieurs années, — au ministère de la Culture ou pour un dossier publié dans So Film en 2020 — vous avez personnellement réfléchi à ce que pourrait être un tournage « vraiment green », pour la réalisation de tout type de films. Qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce qu’il y a une évolution ?

Oui, beaucoup de chemin parcouru en deux ans dans le secteur du cinéma et des images animées sur ce que doit être un « tournage vert ». Après des mesures fortes prises depuis 4 ans pour l’égalité Homme/femme et la diversité dans le cinéma, le CNC s’est enfin emparé de la question du coût écologique du cinéma (production et tournage, post production et industries techniques, exploitation des films en salles et en festivals). Je vous renvoie à son Plan ACTION ! qui a reçu un accueil formidable de nombreux professionnels et va impliquer des changements (et des contraintes) majeurs dans les modes de production dans les quatre années à venir, couplés à des formations obligatoires dans les grandes écoles publiques de cinéma. Une belle et rapide évolution qui, je l’espère, sera à la hauteur des défis à relever !

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.