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L’autre matin, un humoriste lançait à la radio un avis de recherche, les bonnes nouvelles ont disparu. Il s’en désolait pour nous et pour lui-même, rémunéré qu’il est pour nous faire rire, ou au moins sourire, à l’aube d’une journée de travail. Ce qui, n’en doutons pas, est plus facile lorsque l’actualité est légère ou pourquoi pas carrément amusante. Triste constat dans ce monde en surchauffe climatique et idéologique, les guerres, les attentats et les tremblements de terre rivalisant lorsqu’il s’agit de dénombrer les morts.

Mi-septembre, et toute proportion gardée, j’ai cru pourtant en apercevoir une, de bonne nouvelle. Une trentaine de parlementaires de plusieurs partis, habituellement en désaccord sur presque tout, avaient travaillé ensemble et signaient une tribune pour demander la régularisation des travailleurs sans-papiers. Ils prenaient acte d’une situation réelle, que des considérations idéologiques, ou de pures tactiques électorales empêchent de voir et empêchent de dire lorsqu’on les voit. Comme à d’autres périodes — le Musée de l’histoire de l’immigration retrace l’histoire de ces mouvements transnationaux sur plusieurs siècles —, les entreprises souhaitent recruter et elles ne le feront pas si elles ne peuvent pas avoir recours à des travailleurs venus d’autres pays, quels que soient les motifs qui les ont poussés à penser que pour eux un avenir n’était possible qu’à la condition d’affronter la dureté et les aléas d’un exil.

On estime qu’ils sont plusieurs centaines de milliers à vivre en France en situation irrégulière, souvent depuis de longues années. Ils ne sont « ni régularisables ni expulsables ». Ils ont été déboutés du droit d’asile et ils ne retourneront pas dans leur pays d’origine, soit que ce pays le refuse, soit qu’eux-mêmes ne s’y imaginent pas un quelconque avenir et se soustraient en conséquence à « l’Obligation de quitter le territoire français » (OQTF). Les moyens sont multiples. Quels que soient les déclarations et l’air martial de ceux qui les prononcent, c’est une vue de l’esprit de penser que des mesures accrues de police feront ce qui s’est révélé impossible depuis des années.

Une partie d’entre eux travaille, illégalement, ce qui ne signifie pas forcément qu’ils ne sont pas déclarés, salariés ou indépendants. Les signataires de la tribune ajoutent : « La France qui se lève tôt, ce sont elles et eux, si utiles, si nécessaires. Et pourtant ils n’ont pas officiellement le droit de travailler faute de pouvoir disposer d’un titre de séjour. Si ces immigrés travaillent tout de même, c’est pour survivre et parce que les employeurs ont besoin de salariés ». Les employeurs ne s’en plaignent pas et dans leur grande majorité, ils n’en abusent pas, même si les salaires proposés ne sont pas mirobolants. On se souvient de ce boulanger de Besançon faisant en 2021 une grève de la faim parce que son apprenti guinéen était menacé d’expulsion. Quelques-uns parmi ces salariés sont, au cas par cas et au compte-goutte, régularisés, dans la plus grande discrétion. Les autres vivent d’expédients et se marginalisent inexorablement, avec toutes les tentations et les conséquences que l’on imagine.

On peut discuter de la catégorie de « métiers en tension », des limites mouvantes et des caractéristiques incertaines qui en sont données, on peut discuter de la prépondérance des raisons utilitaires qui sont invoquées, discuter des conditions d’une possible intégration, le temps d’un séjour ou définitivement, pour des travailleurs qualifiés ou non, en famille ou non. On peut aussi regretter que des motifs politiques et moraux ne puissent être entendus. Les civilisations anciennes faisaient de l’étranger un hôte. L’hospitalité qui s’accompagne de marques de considération à l’égard de ceux qui cherchent un refuge, honore ceux qui s’en réclament, y compris quand l’humeur générale, sous couvert de réalisme ou de tragédies internationales, est à la peur et aux replis identitaires. Le droit à un avenir, à s’imaginer un avenir, une trajectoire professionnelle et de vie un minimum sécurisée, est, sinon un droit universel, du moins la condition d’une disqualification, d’un assèchement, de tout ce qui nourrit le ressentiment, la désespérance, la haine, et finalement la tentation d’actions violentes, fussent-elles kamikazes. N’oublions pas que ces migrants sont d’abord les perdants, les vaincus de notre histoire présente. Cela ne doit pas les priver de la possibilité d’écrire leur propre histoire.

Las, cette bonne nouvelle entrevue à la faveur de la rencontre entre un besoin de recrutement et un travail réfléchi de parlementaires, engendrant une proposition législative concrète, utile, applicable et ayant sa part d’humanité, risque de se fracasser sur le dogmatisme, les idéologies, les calculs électoraux et les craintes d’appel d’air et de grand remplacement en raison d’une supposée hyper-attractivité du système social français. François Héran dans Le Monde rappelle en quelques chiffres qu’il n’en est rien, « Si notre générosité était si attirante, on devrait voir les Syriens, les Afghans, les Irakiens ou les Ukrainiens, choisir la France bien plus qu’au prorata de notre population et de notre richesse. Or c’est le contraire qu’on observe ». Il ajoute « La vraie question n’est pas de savoir comment réduire l’attractivité de la France, mais de comprendre pourquoi elle est si peu attractive ». Peut-être n’ai-je aperçu qu’une ombre, ai-je pris mes désirs pour la réalité ? Enfin rien n’est joué. On ne sait pas encore dans quels termes la loi sera votée. Espérons. En attendant, le métier d’humoriste a du souci à se faire.

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.