En ce début d’année 2024, l’actualité est d’abord internationale. Il ne faut pas en déduire que cela ne nous concerne pas tant les conséquences d’évènements lointains se diffusent immédiatement à la mesure des multiples connexions matérielles, historiques et culturelles entre régions du monde. C’est vrai des guerres quand les belligérants promettent qu’elles vont durer longtemps. C’est vrai des défis écologiques qui mettent en cause, très directement, les activités humaines au premier rang desquelles celles de production de biens et de services, et donc le travail.
Les questions écologiques sont le plus souvent traitées soit au niveau global, celui de la planète, soit au niveau individuel. D’un côté les 17 Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU, les interventions alarmistes et volontaristes d’Antonio Guterres, et bien sûr les COP (Conférences of The Parties). Lors de la 28e qui vient de se terminer à Dubaï, les États se sont mis d’accord pour qu’un « après les énergies fossiles » soit évoqué dans le document final. À noter que le diplomatique « transitioning away » a été salué majoritairement comme une (timide) avancée. De l’autre, promis, nous allons trier, composter, jardiner, réutiliser, réparer, recycler, isoler, marcher et pédaler. Et écouter les conseils d’un « dé-vendeur » missionné par l’ADEME nous enjoignant de résister aux tentations consuméristes que notre pouvoir d’achat en berne ne nous avait pas déjà interdites.
Et au travail ? Dans les entreprises ? Elles seraient à l’origine des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES). En mai 2023, la Première ministre annonçait que les efforts à fournir en France pour lutter contre le réchauffement climatique seront « portés par tous : la moitié par les entreprises, un quart par l’État et les collectivités et le dernier quart par les ménages ».
Les enjeux pour les entreprises sont complexes, au croisement de logiques et de temporalités différentes, voire contradictoires. Grandes ou petites, elles sont tiraillées entre la nécessité de s’adapter a minima aux normes et contraintes nouvelles, et la volonté d’anticiper, de voir loin, sans exclure la tentation du déni et du greenwashing. Dans un article très détaillé et très précis, Martin Richer écrit « les entreprises françaises sont restées sur le seuil de leur transition climatique ». Dans le monde, les PDG semblent peu préoccupés par le risque climatique et la transition vers une économie décarbonée. Plusieurs études françaises et mondiales les disent plus inquiets de possibles cyberattaques ou de l’inflation. L’article se fait l’écho du débat entre Jean Jouzel et Patrick Pouyanné, au cours duquel ce dernier opposait « la vie réelle » à « l’avis des scientifiques ». Il ne s’agit pas là de discuter des limites de notre planète et des temps de régénération des milieux naturels, ni de mesures préservant l’acceptabilité sociale de certains efforts ou renoncements, mais de déni pur et simple.
Que font les autres acteurs des entreprises ? Des salariés sont tentés de faire sécession, par conviction, « je ne travaillerai pas pour un pollueur » — je pense aux diplômés d’AgroParisTech —, ou par choix de vie, « la permaculture plutôt que les tableaux Excel ». Dans quelques cas, des salariés se transforment en lanceurs d’alerte ou exercent leur droit de retrait, éventuellement couplé au droit d’alerte des CSE, mais cela ne concerne que les cas de danger grave et imminent, ou de risques pour la santé. Ils peuvent avoir une cause écologique, liée à un environnement ou à des produits toxiques. Encore faut-il que l’alerte ou l’accident soient suivis de transformations radicales.
Du côté des organisations syndicales et des élections professionnelles, la question est à l’ordre du jour. L’Accord national interprofessionnel (ANI) relatif à la transition écologique et au dialogue social a été signé en avril 2023. La branche Pharmacie vient de signer un accord pour que tous les Conseils Sociaux et Economiques (CSE) créent une Commission environnement. La CFDT a publié au mois de décembre un Manifeste pour une transition écologique juste comprenant une série de revendications précises. La CGT a organisé, fin novembre 2023, dans le cadre de l’IHS (Institut d’histoire sociale), un colloque titré Syndicalisme et environnement, enjeux actuels. La liste n’est pas exhaustive.
En collaboration avec Syndex et la CFDT, l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) a rédigé récemment : Quelles pratiques pour le dialogue social en entreprise sur la transition écologique ? L’institut « au service des organisations syndicales représentatives des travailleurs » organise le 6 février 2024 une journée de réflexion sur Le syndicalisme au défi des questions environnementales.
Début 2023, une consultation de la Commission Travail et emploi du Conseil économique, social et environnemental (CESE) auprès des représentants du personnel des secteurs public et privé montrait que 80 % des répondants se disent concernés par le changement climatique. En revanche, selon le baromètre Syndex-IFOP, 74 % d’entre eux estiment que leur CSE ne s’est pas encore saisi de ses prérogatives environnementales. L’avis rendu, très complet, intitulé « Travail et santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques » pointe l’importance du dialogue sur cette question : « L’urgence climatique et écologique et le lien qu’elle entretient avec le travail contribuent à replacer sur le devant de scène l’aspiration d’une participation directe et organisée des salariés aux débats sur leurs conditions et l’organisation de leur travail ainsi que sur sa qualité ».
Les termes du dialogue social sont néanmoins contraints par l’activité des entreprises. Pour certaines, il s’agira d’imaginer des process de production moins gourmands en énergie et en technologies, de convertir des déchets en ressources, d’isoler, de chauffer moins, de préférer le train à l’avion. Pour d’autres, c’est toute l’activité qui est à repenser. Pour elles, la question des finalités de la production, de l’utilité de ce qui est produit et vendu, du gaspillage et de la frugalité, est posée. Le consommateur a sa part à jouer. Les emplois et les qualifications n’en sortiront pas indemnes.
Nous allons dans les semaines qui viennent publier articles et interviews pour mieux connaître ce qui se fait, ce qui devrait se faire et tenter d’éclairer ce qui doit sans doute être pensé autant en termes de bifurcation que de transition.
Toute la rédaction de Metis vous souhaite une bonne année, grave et joyeuse à la fois. Une année au cours de laquelle chacune et chacun d’entre nous trouvera quand et comment s’engager concrètement pour ce qui lui tient à cœur.
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