On attendait la peau douce, et on a eu le langage.
Longtemps, on a vu la robotique dans un environnement industriel, le robot comme un nouvel outil capable de faire des gestes, soulever des poids, exécuter des tâches le plus souvent spécialisées à partir d’une « programmation ». À côté du robot de peinture, ou de soudure, l’imaginaire était à la recherche d’une plus grande ressemblance avec l’homme, en fait l’idéal serait le robot humanoïde capable de marcher, de parcourir les allées de l’usine, ou du jardin de l’EHPAD. Encore qu’il semble que les choses les plus simples, monter ou descendre un escalier par exemple, soient les plus difficiles à faire pour un robot. Ce compagnon humanoïde a un visage lisse, une peau douce légèrement rosée avec de grands yeux de mangas japonais. Une physionomie plutôt androgyne. Un brin de féminité dans les traits apporte de la douceur.
On attendait la peau douce, et on eu le robot conversationnel, celui qui n’a pas de corps : un pur être de langage ! Au-delà d’être un gadget avec lequel on s’amuse, il est bien certain qu’il prendra sa place dans le monde du travail. Avec la tertiarisation de l’économie, de très nombreuses activités fabriquent du texte.
Le langage est un mécanisme génératif : des générations de grands linguistes du 20e siècle (Saussure bien évidemment, mais aussi le Danois Louis Hjelmslev, l’Américain Chomsky, et tant d’autres) ont fondé la linguistique moderne, tissant des liens avec la génétique et ouvrant la voie à la traduction automatique devenue aujourd’hui banale. Merci à tous ceux qui ont relayé ces théories et exercices pratiques (Barthes, Kristeva….) et nous ont rendus conscients de ces engendrements permanents qui tissent les échanges de la vie quotidienne, mais aussi la poésie et les tragédies de Racine. Avec les mots et les règles pour les combiner, on peut produire un nombre infini d’énoncés variés et tous différents les uns des autres.
Les mots, le lexique correspondent à cette manière très particulière dont une langue découpe le continuum du monde en unités discrètes : on sait que certaines langues possèdent jusqu’à vingt mots différents pour nommer une courge, ou une variété d’animaux. Les univers professionnels ne sont pas moins riches en créativité lexicale. Ils mériteraient sans doute d’être davantage étudiés.
Il y a les mots, les règles pour les combiner, la grammaire en somme. On sait que selon leur origine sociale, les enfants, dès leur plus jeune âge, ont un stock de vocabulaire plus ou moins important, on ne sait pas suffisamment la richesse que représente le fait de pouvoir puiser dans plusieurs langues.
Le langage est un mécanisme génératif et les combinaisons qu’un robot conversationnel peut en faire sont immenses. L’IA y ajoute des règles de probabilités et un nombre prodigieux de données.
C’est ainsi que la figure du robot a complètement changé : fini la bonhommie de R2D2 et les divers personnages de notre imaginaire de science-fiction du 20e siècle. D’ailleurs qu’est-ce qu’un robot aujourd’hui ? Qu’est-ce que je veux dire quand je clique sur le bouton « Je ne suis pas un robot » ? Le robot a perdu toute matérialité pour devenir une chose abstraite, juste un protocole d’automatisation d’une suite d’opérations intellectuelles (mentales serait peut-être plus juste !) Finalement le bon vieux robot d’usine, celui qui a permis que les voitures soient peintes par une machine sophistiquée et évite à des milliers d’ouvriers d’attraper de sales maladies, était bien sympathique, palpable, visible, presque vivant !
Je lis dans Le Monde du 22 novembre dernier que les « robots-taxis » de San Francisco sont mis en pause, à la suite de plusieurs accidents graves : « L’enregistrement vidéo montre un moment particulièrement pénible : quand le véhicule (le robot) redémarre alors qu’une piétonne a été projetée sur son châssis, il la traine sur six mètres pour aller se garer. Selon les experts, le robot-taxi a suivi la procédure, en cas d’incident, dégager la voie pour ne pas gêner la circulation. »
Il y a donc des robots-taxis, comme il y a des robots ménagers, c’est-à-dire des machines plus ou moins complexes qui font les choses à votre place. Une machine à laver fait à ma place ce que l’on faisait autrefois à la campagne en une grande et dure matinée de travail : faire bouillir les draps dans de grandes lessiveuses, les frotter, les brosser, les rincer au lavoir. Je suis bien contente que ma machine à laver le linge fasse tout cela.
Le problème n’est pas que les machines fassent ce que les femmes et les hommes faisaient avec leur force, et leurs petites mains. Le problème n’est pas « l’intelligence » de l’IA : il y a bien longtemps que les machines intègrent de l’intelligence, des modèles, des algorithmes, des connaissances. Le problème serait plutôt dans le mot qui n’est pas prononcé : le mot « probabilité ». C’est là que se loge ce que l’on a donné « à manger » à la machine, les attendus sociaux, les préjugés, la division sociale du travail.
Quant à moi, j’aime trop conduire (vite si possible !) et j’aime trop écrire (à mon rythme) pour en confier le soin à d’autres !
En 2020, Metis a consacré un dossier à l’intelligence artificielle, nous vous invitons à le lire, ou le relire !
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