Michel Weill est membre du comité de pilotage du club Convaincre-Rhône ; ce dernier a adhéré dès sa création au Pacte du pouvoir de vivre (PPV). À ce titre, il participe à l’animation du groupe local Lyon-Rhône. Les échanges qui y ont lieu et les initiatives qui y sont prises ne peuvent au sens étroit du terme être qualifiés de dialogue social. Mais la naissance même du PPV résulte du constat qu’il ne pouvait pas y avoir d’action sur les enjeux socio-écologiques sans lien avec des acteurs extérieurs à l’entreprise. Le social s’élargit inévitablement au sociétal… et prend de ce fait une dimension politique ! C’est ce que ce témoignage essaye de suggérer.
Né le 5 mars 2019, le Pacte du pouvoir de vivre va avoir 5 ans. Dix-neuf organisations environnementales, de solidarité et d’éducation, mutuelles et syndicats se sont engagés ensemble pour que ne soient plus dissociées les questions sociales, environnementales et démocratiques. Cette initiative de la société civile organisée a été prise suite à un triple constat : celui d’abord du profond malaise social exprimé par les mouvements de Nuit Debout et surtout des gilets jaunes, celui ensuite de leur refus d’organisation, voire de refus de formalisation de revendications, celui enfin du refus de reconnaitre la place de la société civile organisée.
Cinq ans après, ce sont une soixantaine d’organisations nationales qui ont rejoint le Pacte, sans compter des organisations locales, comme le club Convaincre de Lyon. La dimension territoriale, à travers les groupes locaux, est en effet essentielle dans son action. Au bout de 5 ans d’existence et de fort développement, il parait légitime de s’interroger à la fois sur la mise en œuvre des objectifs annoncés et sur l’interprétation de cette apparition dans le paysage sociopolitique français.
Dès l’introduction de sa plateforme, la « non-dissociation » est annoncée comme la pierre angulaire du Pacte, son principe fondateur. Nous voudrions apporter une illustration de cet effort, la contribution qui a pu être construite par le collectif Lyon-Rhône à propos du projet de Zone à faibles émissions, projet s’il en est dans lequel s’affrontent l’écologique et le social. Comme on peut l’imaginer, le débat a été long et nourri, mais le résultat unanimement salué, d’ATD-Quart Monde à France-Nature Environnement en passant par la CFDT ou OXFAM. On peut consulter le texte complet de la contribution adressé au président de la Métropole de Lyon en suivant ce lien.
Le Pacte commence par affirmer son accord avec les objectifs de l’amplification de la ZFE affichés par la Métropole, en faisant référence aux propositions du Pacte concernées. Il attire ensuite l’attention de manière détaillée sur 6 points :
- L’impact social de la RFE: les conséquences de la ZFE sur les personnes à faibles ou très faibles revenus ne doivent pas être traitées comme périphériques au projet
- La réduction de la pollution atmosphérique doit être équitablement répartie: le périmètre choisi pour la ZFE aura pour effet de réduire la pollution atmosphérique à l’intérieur de la métropole, mais pourra reporter une partie du trafic polluant à l’extérieur. Les personnes à faibles revenus trouvent peu de logements accessibles financièrement dans la partie centrale de l’agglomération et habitent majoritairement dans les secteurs périphériques, sujets à report de trafic des véhicules plus polluants.
- Les effets sur la mobilité des personnes les plus précaires : certaines personnes non motorisées actuellement n’auront pas les moyens d’acquérir un véhicule automobile compatible avec le niveau Critair. Pour d’autres, souvent propriétaire de véhicules anciens et très bon marché, vivant essentiellement en périphérie, les déplacements représentent déjà une part importante de leur budget. Ces personnes seront impactées plus fortement et plus rapidement que les autres publics, notamment s’agissant des travailleurs dits de la première ligne. Des mesures importantes devront être prises soit en accompagnement de la mise aux normes Critair des véhicules, soit dans la qualité et la tarification sociale des transports en commun et alternatifs. Il est nécessaire parallèlement d’engager un véritable dialogue social territorial avec les acteurs afin que les partenaires sociaux puissent contribuer à limiter l’impact sur les travailleurs les plus précaires et que ceux-ci s’approprient positivement la mise en place de la ZFE envisagée comme une opportunité de progresser en matière de conditions de travail.
- La coordination avec les autres autorités de transport : La mise en place de la ZFE impacte des publics qui résident en dehors de la Métropole, mais doivent se rendre à l’intérieur du périmètre ZFE. Il convient d’articuler les mesures à prendre à l’intérieur de la Métropole avec celles relevant de la Région ou des intercommunalités. Il en est de même des aides à l’achat de véhicules qui peuvent être tout autant pertinentes pour les résidents hors Métropole.
- Une occasion de construire plus de logements sociaux accessibles dans les zones urbaines : un des moyens de réduire les besoins en mobilité individuelle des personnes en situation de pauvreté est de construire plus de logements sociaux abordables là où existent déjà les réseaux de transports en commun et de s’assurer au minimum du respect des objectifs de la loi SRU dans toutes les communes de la métropole. Cela peut être pour certaines personnes une réponse qui permet de rétablir leur droit à la mobilité et en même temps un moyen de répondre à beaucoup de situations de mal–
- Accompagnement spécifique des populations fragiles : les personnes à faibles revenus sont souvent à l’écart des informations sur les projets publics. Un effort particulier devrait être fait pour rendre cette information accessible à tous. Le guichet d’accompagnement individualisé proposé dans le projet devra être adapté aux publics fragiles : accueil en présentiel, accompagnement aux démarches en ligne sur site internet, etc. Pour l’accès aux modes alternatifs, des dispositifs aisément utilisables devront être accessibles sans nécessiter la possession d’un outil numérique. Le secteur associatif au sens large qui a un rôle essentiel dans l’accompagnement des plus fragiles, doit être lui-même accompagné financièrement pour renouveler son parc automobile dans ces déplacements dans la ZFE.
Envoyée au président de la Métropole, cette note a aussi alimenté une rencontre transversale en octobre 2022 avec un certain nombre de vice-présidents de la métropole en charge des mobilités, du logement et du social. Casser le fonctionnement en tuyaux d’orgue des grandes administrations locales comme la métropole fait partie de l’objectif de non-dissociation ; comme en fait également partie le choix de ne pas privilégier le vice-président en charge de la transition écologique, mais d’intégrer cette préoccupation dans chacune des grandes thématiques traitées. À la suite de cette réunion, un programme de rencontres avec chacun des vice-présidents sur l’accès aux droits, le logement et les mobilités a été mis en œuvre en 2023. Accord a été trouvé pour ritualiser ces rencontres. Les élus métropolitains y trouvent aussi leur compte en matière d’agenda !
Malgré Pierre-Mendes-France, Michel Rocard, Jacques Delors, ou Edmond Maire la France n’a jamais eu une vraie culture sociale-démocrate si on caractérise celle-ci par l’alliance, ou au moins une articulation forte, entre un parti politique et une organisation syndicale dominante. On en connait les raisons : les racines anarcho-syndicalistes d’où est issu un mouvement syndical méfiant vis-à-vis du politique ainsi que durablement et profondément divisé.
Mais au-delà de l’histoire, la priorité même des questions sociétales a changé, à commencer par celle de la transition écologique ; il en résulte une complexité que les syndicats, porte-parole des seuls travailleurs, ne peuvent plus porter seuls. La conclusion d’un pacte, d’une alliance, comme celle qui s’échafaude avec le Pacte du pouvoir de vivre, ne constitue-t-elle pas la vision XXIe siècle du rêve social-démocrate ? On en voit à la fois toute la richesse et toutes les difficultés, notamment en raison du paysage syndical, mais aussi d’une culture politique peu favorable au rôle de la société civile. Côté politique, point besoin aujourd’hui d’insister. Côté syndical deux faits attestent à la fois du désir d’alliance et de sa difficulté : premier exemple, celui de « Plus jamais ça », une alliance écologique et sociale, crée un an après le Pacte du pouvoir de vivre autour de la CGT et de la FSU, certaines organisations comme OXFAM appartenant d’ailleurs aux deux regroupements ; deuxième exemple celui de l’UNSA : partie prenante à l’origine du Pacte aux côtés de la CFDT et de la CFTC, elle vient de s’en retirer tellement sont grandes les divergences idéologiques et politiques au sein de cette Union.
Faut-il pour autant abandonner le rêve de cette nouvelle version de la social-démocratie ? Mais que serait la vie sans le rêve ? Et celui-ci correspond tellement à ce qu’on peut savoir des enjeux sociétaux !
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