Lancée à l’initiative de l’Observatoire paritaire de la métallurgie afin d’identifier ce que pourrait être une pédagogie de l’alternance de qualité, une étude a été réalisée par le laboratoire CESI LINEACT dont les résultats ont été publiés en novembre 2022. Deux documents ont été produits, le premier dressant l’état de l’art dans le domaine, enjeux, pratiques et principes directeurs et le second proposant un guide pratique. Au moment où il est question de réduire le budget dédié en 2025 aux recrutements d’alternants, Jean-Raymond Masson analyse les conditions pédagogiques de réussite de ces formations.
L’étude s’est appuyée sur une vaste documentation ainsi que sur un recueil de pratiques mises en œuvre dans une série d’établissements de l’enseignement supérieur et du secondaire, et sur une enquête conduite auprès d’un échantillon d’acteurs, alternants, tuteurs et formateurs. Parmi les 1726 alternants répondants, 925 préparaient un diplôme d’ingénieur, 330 un BTS, 192 un bac pro, 128 un master, 113 une licence ou un bachelor, 9 un CAP et 7 un CQP ; près de 80% d’entre eux provenaient de deux établissements, le CESI (Campus d’enseignement supérieur et de formation professionnelle) et le CFAI (Centre de formation des apprentis de l’industrie).
Pour une alternance intégrative
Le modèle proposé est celui d’une alternance « intégrative » entre le monde de la formation et celui du travail visant à « mettre les apprenants en capacité de construire des « reliances » porteuses d’apprentissage(s) ».
C’est pourquoi, au niveau des principes, « la pédagogie de l’alternance questionne :
- La capacité formative des environnements de travail, réels ou reconstitués dans les formations, mais aussi celle des environnements de formation, qu’ils soient intégrés au travail ou aient lieu en salle de formation ;
- La construction des relations entre ces différents environnements ;
- L’accompagnement de proximité des alternants pour faire du lien entre les différents environnements et être mis en capacité d’utiliser l’ensemble des ressources d’apprentissage »
Le « guide pratique » est structuré selon trois grands objectifs intimement liés, autonomie, compétences et employabilité, et articulés à trois logiques de mise en œuvre des moyens, individualisation, réflexivité et accompagnement.
Après une définition précise et exigeante de chacun de ces domaines et des enjeux qui s’y jouent, plusieurs leviers d’actions (deux ou trois selon les cas) sont identifiés, nourris de panoplies de recommandations détaillées, ainsi que, le cas échéant, des bénéfices que chacun des acteurs – formateurs, alternants, tuteurs – peut en tirer. Le tout est illustré de témoignages recueillis auprès de répondants engagés dans quelques bonnes pratiques. Un riche glossaire des mots de l’alternance est donné à la fin du guide. Au total, il promet une lecture stimulante dont nous extrayons certains éléments particulièrement démonstratifs.
Autonomie, compétences, employabilité
Le premier objectif identifié est l’autonomie. Elle relève d’un processus d’apprentissage plus ou moins long. Elle n’est pas quelque chose qui se décrète de l’extérieur, pas plus que quelque chose d’inné, ou encore un préalable à l’apprentissage. Elle se construit. Elle peut être fonctionnelle (faire seul), intellectuelle (penser seul) ou décisionnel (décider seul). Au final, « elle témoigne de la capacité des apprenants à articuler des ressources et des moyens pour faire face aux situations problèmes qu’ils rencontrent, … et elle résulte de la capacité des milieux de formation et de travail à soutenir l’appropriation et l’usage de ces ressources et moyens »
La présentation de l’objectif compétences met l’accent sur la dynamique qui les porte, la prise en compte du contexte où elles s’exercent et la complémentarité des situations où elle se construit. Elles ne sont pas des savoirs juxtaposés ou séparés d’une pratique. « Elles sont situées, propres à une situation, … singulières parce qu’elles dépendent de la manière dont l’individu problématise les situations qui se présentent, … contextualisées parce qu’elles se mobilisent en fonction des moyens et de l’environnement de travail, … structurées, résultat de l’articulation de ressources internes propres à l’individu et de ressources externes propres au contexte et aux situations, … et dynamiques parce qu’elles se recomposent en permanence en fonction des ressources présentes en situation. Elles sont donc une combinatoire de ressources internes et externes mobilisées de manière satisfaisante en situation ».
L’employabilité est vue comme la capacité à acquérir et entretenir ses compétences pour trouver un emploi et le conserver, mais aussi à s’adapter à différents emplois et progresser tout au long de sa vie professionnelle. Elle n’est pas quelque chose d’acquis définitivement, ni qui se construit en dehors d’une activité professionnelle concrète, ni un simple bagage technique. Au final, « l’employabilité constitue un indicateur de son degré de professionnalisation ».
Ce faisant, le guide accorde une grande importance aux référentiels qui « quels qu’ils soient, constituent la porte d’entrée pour penser l’ingénierie de formation des parcours d’apprentissage. Ils permettent de structurer le développement des compétences sur l’année, en termes de planification, de programmation et d’objectifs…. Ils fonctionnent comme des boussoles et orientent à la fois l’action professionnelle et pédagogique ». Dans cette perspective, il importe de contextualiser les enseignements généraux en leur donnant du sens au sein du cursus de formation. Il est également essentiel de mobiliser les compétences transversales et comportementales et de s’approprier les codes de la vie en entreprise.
Réflexivité, individualisation, accompagnement
Les trois logiques de moyens, réflexivité, individualisation et accompagnement, contribuent pleinement à la réalisation des trois grands objectifs : vue comme la prise de distance à l’égard de son agir professionnel afin d’apprendre de son expérience, basée sur des parcours d’alternance favorisant des allers et retours permanents entre les apprentissages des différents espaces de formation, la réflexivité permet de construire des liens entre théorie et pratique, de favoriser l’apprentissage par l’expérience et de développer des « savoirs d’action ».
L’individualisation des parcours est également essentielle qui appelle la prise en compte de la singularité des individus, de leurs parcours, de leurs motivations, de leurs projets, de leurs forces et de leurs faiblesses. Elle vise la co-construction de la formation entre ses acteurs et s’appuie aussi sur la résolution collective de problèmes. Elle s’appuie sur « la réalisation de rendez-vous de suivi réguliers et formalisés entre l’alternant et son tuteur, l‘alternant, son tuteur, son formateur référent, d’autres formateurs et ses collègues » ainsi que des « retours d’alternance » au début et en fin de période en entreprise et au début des période en centre de formation ».
Quant à l’accompagnement, il se réalise tout autant en centre de formation qu’en entreprise, sous la responsabilité partagée de plusieurs acteurs : le formateur référent, les membres de l’équipe pédagogique, le tuteur et les collègues de travail… et la relation d’accompagnement doit être engagée en amont du démarrage de la formation, en vue notamment d’identifier les acquis détenus par les alternants pour mieux cibler les actions d’accompagnement.
Une mise en œuvre différenciée
La lecture du guide appelle cependant quelques remarques. Il décrit un monde idéal où les acteurs et les ressources sont déjà là et où la question est celle de leur « intégration » dans un système global au service des apprenants. Il y manque une annexe qui traiterait des conditions de sa mise en pratique et des obstacles et des difficultés rencontrées dans les développements des situations d’alternance, basée sur des entretiens avec les responsables des entreprises où travaillaient des alternants. Il s’agit en particulier de la question des tuteurs, souvent considérée comme le maillon faible de l’alternance faute d’un vivier insuffisant et des questions relatives à leur rémunération et leur reconnaissance ; mais aussi des changements technologiques et organisationnels à l’œuvre sur les postes de travail, des réticences croissantes des grandes entreprises à accueillir des apprentis, et des difficultés liées au développement de la sous-traitance.
Du côté du monde de la formation et en particulier au sein du système éducatif, il s’agit des rigidités liées aux obligations de service des enseignants et du manque de moyens qui limitent drastiquement la possibilité d’approches individualisées ; de la difficulté à produire des référentiels lisibles et utilisables par les parties prenantes ; sur les difficultés des stagiaires/ alternants à trouver l’entreprise de leur choix et les limites du soutien assuré par les Campus des métiers et des qualifications (CMQ), les Comités locaux École Entreprise (CLEE) et autres institutions compétentes.
Par ailleurs, le guide n’évoque pas les différents niveaux de qualification des alternants, ce qui laisse à penser que les approches seraient identiques, du niveau CAP à celui du diplôme d’ingénieur. Sans doute le seraient-elles au niveau des grands principes, mais il conviendrait de regarder de plus près les conditions et les moyens de mise en œuvre. Enfin il ne dit rien non plus des différentes formes d’alternance, selon qu’il s’agit d’apprentissage ou de la voie scolaire (Périodes de formation en milieu professionnel -PFMP) alors que parmi les alternants observés, près de 200 étaient en bac pro et 330 en BTS, ni s’il s’agit de formation initiale ou de formation d’adultes.
Tel qu’il est, on voit mal comment il pourrait s’appliquer à la situation des PFMP des bacs pros, sauf à contribuer à une réflexion sur les grands principes et à la préparation d’une stratégie de long terme. Dans cette perspective, on s’attendrait de la part de l’Observatoire paritaire de la métallurgie à une réflexion spécifique sur les formations de niveau CAP et bacs pros.
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