5 minutes de lecture

Artistes et auteurs : menaces sur leur protection

publié le 2008-01-01

Musiciens, acteurs, artistes du spectacle… l’exercice de ces professions relève à la fois du Code de la propriété intellectuelle et du Code du travail. Mais pour Jean Vincent, avocat engagé dans la défense des artistes, cette double protection est de plus en plus menacée.

Comment s’articule cette double protection ?

Dans le droit français, le Code de la propriété intellectuelle reconnaît à toute personne qui crée une œuvre de l’esprit des droits patrimoniaux et des droits moraux sur cette oeuvre. De façon assez similaire, il reconnaît aux artistes interprètes des droits sur leur interprétation des œuvres. Le Code du travail, article L. 762-1, crée une présomption de contrat de travail au bénéfice des artistes du spectacle, ce qui vise les artistes interprètes mais aussi les metteurs en scène et les réalisateurs de films. Ainsi par exemple, lorsqu’un groupe de musiciens signe un contrat de production phonographique, ce contrat est généralement un contrat de travail mais sa conclusion n’emporte aucune dérogation à la jouissance des droits de propriété intellectuelle. Cette architecture a protégé les artistes et a exercé une influence positive sur la production culturelle. Aujourd’hui, la réalité n’est plus vraiment celle-ci. Cette population de travailleurs est de plus en plus fragilisée. Nous observons que les employeurs tendent de plus en plus à imposer contractuellement la conception anglo-saxonne du copyright, selon laquelle l’auteur ou l’artiste interprète cède définitivement tous ses droits au moment où il est employé. Par ailleurs, dans le domaine du spectacle, les producteurs ont tendance à contourner le droit du travail en exigeant des artistes qu’ils s’auto emploient.

Quels sont les exemples de contournement ?

Par exemple, un organisateur de spectacle n’emploie pas les artistes mais « achète » un spectacle à une association qu’il leur demande de créer et avec laquelle sera signé un contrat de vente. La relation commerciale se substitue à la relation salariale. Cette pratique se développe et tend à fragiliser encore plus la situation des artistes car l’argent versé ne permettra généralement pas de payer des cotisations sociales. Le secteur artistique est devenu une sorte de laboratoire où les formes d’auto emploi se multiplient mais sans que cela soit maîtrisé en terme de statut. La pression porte également sur la rémunération. Dans l’audiovisuel, les artistes subissent une présomption légale de cession au producteur de tous leurs droits, avec en conséquence une incapacité à négocier leur rémunération dans le temps. S’agissant des réalisateurs d’œuvres audiovisuelles de toute nature, on voit aussi apparaître des pratiques consistant à qualifier une partie de la rémunération du travail sous la forme d’à-valoir sur redevances futures éventuelles. Dans l’édition, certains vont jusqu’à imposer une franchise de droit d’auteur sur le premier tirage de l’œuvre. Pour ce qui concerne les artistes interprètes (au nombre de 50 000 en France), on sait qu’ils génèrent par leur travail des valeurs financières très importantes mais, sauf exception pour environ 5% d’entre eux, cela ne donne pas lieu à un partage équitable de recettes encaissées par les entreprises qui exploitent leur travail.

Quelles sont les perspectives d’avenir ?

Le rôle joué par les Sociétés de gestion collective des droits (en France : SACEM, SACD, Adami, Scam, Saif, Spedidam, etc.) est essentiel. Elles sont « le dernier rempart ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces sociétés sont attaquées en permanence, y compris depuis peu, ce qui nous laisse perplexe, par quelques organisations syndicales s’estimant habilitées à négocier à leur place les droits de propriété intellectuelle des auteurs ou des artistes quand ils ont signé un contrat de travail…
Par ailleurs, et c’est là une perspective prometteuse, on voit apparaître des alternatives aux modes traditionnels d’intermédiation dans la diffusion des oeuvres. Certains artistes commencent à se regrouper pour créer des sociétés coopératives d’intérêt collectif, à une échelle professionnelle ambitieuse. Cela leur permet de mutualiser des moyens de façon créative et de se rendre plus facilement visibles sur Internet, en France comme à l’étranger. L’association Trib’alt, par exemple, installée en Ardèche, regroupe des compagnies de spectacle vivant. Il en existe plusieurs autres telles que Tchookar, Co-errances, Artenreel, Web2Bretagne, Pola, Cooerative de mai, Costa Caliente…

Propos recueillis par Frédéric Rey

Print Friendly, PDF & Email
+ posts