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Portage salarial : salariés ou travailleurs indépendants ?

publié le 2008-04-15

Une formule viciée dans son principe. Le recours a un « tiers employeur » va se développer selon Lise Casaux- Labrunee, professeur de droit à l’université de Toulouse 1.

Comment fonctionne le portage salarial ?

portage

Ce mode d’organisation du travail permet à un professionnel, autonome dans la réalisation de missions, d’éxécuter directement des prestations qu’il a négociées avec des clients mais en étant salarié d’une structure tierce, la société de portage salarial, plutôt qu’indépendant. Après avoir trouvé sa mission (conseil, audit, formation, ingéniérie, expertise, travaux immobiliers, coiffure…) et s’être entendu sur le montant de sa prestation, il s’adresse à une société de portage qui le salarie et transforme les honoraires en salaires. Pour 1000 euros de prestation hors taxe, par exemple, environ la moitié sera reversée au professionnel sous forme de salaire. La société de portage prélève au passage des frais de gestion qui sont compris entre 10 et 15% du montant HT des prestations facturées.

Combien de personnes sont concernées par cette forme de travail ?

Selon les chiffres donnés par les grandes sociétés de portage, environ 20 000 personnes travaillent sous ce régime mais elles sont sans doute plus nombreuses en réalité. Le portage attire des travailleurs qui ne se sentent pas prêts à créer leur propre entreprise, jugeant la démarche trop lourde et trop complexe alors même qu’ils disposent des compétences et souvent de l’expérience nécessaires. Ces professionnels vont vers ces structures attirées par des présentations qui semblent avantageuses « indépendant et salarié à la fois » mais qui taisent l’insécurité juridique.

Cette pratique est-elle bordée juridiquement ?

Est-ce que nous nous trouvons dans un lien de subordination, caractéristique de la relations salariale, alors même que ces professionnels sont qualifiés d’autonomes par ceux mêmes qui s’efforcent de promouvoir cette formule ? Non. J’estime au contraire que ces professionnels ont clairement un profil de travailleur indépendant. Cette pratique du portage instrumentalise le droit du travail pour permettre aux « portés » de bénéficier de droits attachés au statut salarial. Faut-il pour autant condamner purement et simplement cette nouvelle forme de travail ? Pas forcément, si la formule est viciée en son principe, si elle contrarie le droit positif, elle n’est peut-être pas à vouer aux gémonies. Certaines pratiques juridiquement déviantes sur le marché du travail viennent souligner des insuffisances de la législation du travail ou des inégalités. Peut-être peut-on considérer sous cet angle que le portage souligne la dynamique insuffisante des politiques de l’emploi en faveur des créations de petites entreprises ou lorsqu’il s’agit de réduire le coût des charges sociales qui pèsent sur les travailleurs indépendants.

Le projet de loi de modernisation du marché du travail reprend l’idée issue de l’accord national interprofessionnel du 21 janvier 2008 de confier aux partenaires sociaux l’organisation et la sécurisation du portage salarial. Est ce une solution à cette insécurité juridique ?

Cette mesure comporte un risque de développement non maîtrisé du portage salarial. Ni l’accord interprofessionnel, ni le projet de loi ne proposent d’encadrer cette pratique. Je crains une généralisation de cette formule de « tiers employeur » qui permettra aux entreprises d’éviter plus souvent la fonction patronale et encouragera le développement du travail par missions. Les frontières déjà floues entre travail salarié et travail indépendant seront complètement brouillées au risque d’accroître la dérégulation du marché et des relations du travail.

Propos recueillis par Frédéric Rey

Pour aller plus loin, voir le numéro spécial consacré par la Semaine sociale Lamy au portage salarial. Supplément n°1332-10 décembre 2007 www.lamy.fr

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