Protection sociale complémentaire : la fin de la solidarité ?
publié le 2008-10-21
Entretien avec Jacques Barthélémy, avocat conseil en droit social.
Quel est l’objectif des directives communautaires concernant l’assurance ?
Ces directives dites « vie et non vie » ont pour objectif de traduire les règles de libre concurrence dans le domaine de l’assurance collective des personnes donc de la protection sociale complémentaire. Leur impact a été majeur. En passant sous la coupe du droit de la libre concurrence, nous avons abandonné la philosophie née de l’ordonnance de 1945 qui avait, en ce domaine, jeté les bases d’un authentique droit de la sécurité sociale de nature conventionnelle. En effet, l’objectif de solidarité avait pu déjà se manifester précédemment grâce au recours possible à la technique de répartition. En outre, il jetait les bases mêmes d’une authentique démocratie sociale. Pour fonder un régime de protection sociale, il fallait remplir une double exigence : un accord collectif, qui pouvait prendre la forme d’un référendum, et une gestion paritaire de l’institution chargée de recevoir les cotisations et de verser les prestations. Dés lors que ces deux conditions étaient réunies, l’adhésion du salarié était obligatoire. Cette double exigence conférait son originalité à l’institution de prévoyance qui désignait non seulement une personne morale sui generis mais aussi le régime. Autrement dit, institution et régime se confondaient. La fonction protectrice était assurée par l’impossibilité pour l’employeur d’utiliser son pouvoir normatif pour mettre en place seul un système de prévoyance, ensuite par la responsabilité assumée par les représentants de l’employeur et des salariés dans la gestion donc l’éventuelle révision des prestations. Cette fonction de solidarité se manifestait également par le recours possible à la technique de répartition selon lequel les contributions versées par des actifs alimentent les prestations des allocataires.
Comment cela s’est-il traduit dans le paysage des acteurs de la protection sociale complémentaire ?
La transposition des directives dans la loi Evin du 31 décembre 1989 et la loi du 8 août 1994 a façonné une nouvelle architecture dont la philosophie est éloignée de l’idée initiale de sécurité sociale de nature conventionnelle. Le système actuel est caractérisé davantage par la référence au marché de l’assurance collective, donc de consommateurs dont la liberté consiste à pouvoir choisir entre les différents produits qui leur sont proposés par différents opérateurs. Un opérateur de ce secteur est une entreprise au regard du droit de la concurrence. L’institution est devenue d’un de ces opérateurs, concurrent des mutuelles et des compagnies d’assurance et qui ne se distingue plus que par sa forme juridique d’exploitation. De participant d’une institution, le travailleur est devenu l’assuré d’un opérateur du marché de l’assurance collective. Autre changement, le provisionnement des engagements, c’est à dire la technique de capitalisation, a été rendu obligatoire pour les opérations de prévoyance collective et de retraite supplémentaire. De ce fait, il n’est plus forcément besoin d’un accord collectif : la décision unilatérale de l’employeur peut organiser la mise en place de garanties collectives prévoyance et santé, le provisionnement assurant la protection des travailleurs.
Cela signifie-t-il la fin de la solidarité dans les régimes de protection sociale complémentaire ?
Le provisionnement des engagements a pour effet d’individualiser les droits, ce qui, a priori, est incompatible avec l’idée même de solidarité. Un espace de solidarité est toutefois possible. Elle peut se manifester, par exemple, par une action sociale en faveur des plus défavorisés et/ou par la constitution de droits non contributifs, c’est à dire indépendants de la participation financière des salariés. Elle prend la forme, notamment, d’un taux de cotisations identique pour toutes les entreprises, gommant ainsi les différences de niveau réel de risques, liés à la spécificité de chaque groupe d’assurés. Un accord collectif confie alors à un organisme précis le soin de gérer l’ensemble des opérations pour faire en sorte que ce « pot commun » serve la solidarité. L’affiliation à ce régime est obligatoire pour l’ensemble des entreprises qui entrent dans le champ, mais cette clause de désignation n’est pas contraire aux exigences de libre-concurrence dans la mesure où ce dispositif vise un objectif de solidarité. Cette possibilité d’exception est admise dans le droit interne. Dans sa jurisprudence, la Cour de justice des Communautés européennes considère qu’il est possible de porter atteinte au principe d’interdiction de position dominante, à la condition de poursuivre un objectif d’intérêt général économique, donc ici de solidarité. Mais il faut que ce privilège accordé à un organisme ne perturbe pas gravement le marché de l’assurance. Le Code de la Sécurité sociale fait de ce fait obligation aux accords qui introduisent une clause de désignation d’organiser leur réexamen périodique.
Propos recueillis par Frédéric Rey
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